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Partie II : L’internationalisation des images et le discours des acteurs internationaux

Chapitre 4 : le discours politique : une empathie humaine ou une tactique discursive ?

I. Un contrat de communication

4. L’image d’Aylan Kurdi objet de tactiques discursives

L’analyse des discours des chefs d’État présentée ci-dessus permet d’identifier un certain nombre de tactiques discursives suivies par les locuteurs. Nous allons ci-après essayer de mettre en avant certaines tactiques.

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Nous avons sus-indiqué que le contact de communication ne se limite pas à un acte d’information. Le pourquoi de la communication ou le gain de l’enjeu que le locuteur poursuit est aussi important dans cette relation contractuelle. Du coup, les discours sus- analysés pourraient incarner des enjeux et chercher des gains à travers des tactiques discursives.

La première tactique est la dramatisation et de l’émotion. Nous avons repéré dans les trois discours que les aspects dramatique et émotionnel étaient évoqués par les trois chefs d’État. Cette tactique peut générer auprès de l’interlocuteur des réactions et des comportements. Patrick Chareaudeau (2014) avance que cette question de dramatisation est utilisée par les acteurs politiques afin de capter l’auditoire pour le persuader en s’imprégnant de l’affect. Basé un discours sur une image comme celle d’Aylan Kurdi permet de mettre en exergue l’aspect dramatique et émotionnel. Cependant, l’auteur conditionne la réalisation de l’effet émotionnel sur l’auditoire de la combinaison de trois facteurs : « la nature de l’univers de croyance auquel renvoie le discours (vie/mort, accident, catastrophe, massacre…), la mise en scène discursive qui elle-même peut apparaître dramatique, tragique, humoristique ou neutre et le positionnement de l’interlocuteur quant aux univers de croyance qui sont convoqués, et l’état d’esprit dans lequel il se trouve »186. L’auteur insiste sur la nécessité de savoir choisir les univers de

croyance et de les thématiser d’une manière qui permet de produire un effet sur les interlocuteurs. Dans notre cas, les trois interlocuteurs ont fait l’usage d’un lexique qui réfère au drame, à l’émotion et à l’aspect humain en exprimant leur position afin de créer cet effet sur le public. Dans notre cas, la mort d’un enfant dans un naufrage avec les membres de sa famille en fuyant la guerre est une situation considérée universellement dramatique.

L’analyse des discours des chefs d’État a permet de constater un autre aspect partagé. Il s’agit de de la morale et de la responsabilité. François Hollande a dit que « l’Europe, c’est ensemble de principes et valeurs » et qu’il s’agit d’« une interpellation à l’égard de la conscience européenne » et d’«une obligation morale ». Pour sa part, le Premier ministre britannique a aussi parlé de l’aspect moral en disant que la nation britannique est une nation de la morale et qu’ils vont assumer leur responsabilité. Merkel a évoqué le partage de la responsabilité. Il s’agit ici d’une tactique discursive. Patrick Charaudeau parle dans son ouvrage l'analyse du discours politique de la crédibilité de l’ethos de « vertu ». D’après l’auteur, les hommes politiques essaient de donner l’exemple par ce qu’il représente le peuple. Les hommes politiques dont une preuve de l’honnêteté et de l’engagement moral. Ils essaient de montrer que leurs actions sont inspirées des valeurs morales et du respect des engagements. Ils cherchent à laisser percevoir une force de conviction qui anime leurs actions.

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Nous avons constaté également que les trois locuteurs se sont emparés de l’image d’Aylan Kurdi pour mettre en exergue un éthos d’« humanité ». Cet éthos renforce la crédibilité du discours auprès du public en outre d’améliorer l’image de l’homme politique lui-même. « « Etre humain » se mesure à la capacité de faire preuve de sentiments de compassion envers ceux qui souffrent, mais c’est aussi savoir avouer ses faiblesses, montrer quels sont ses goûts jusqu’aux plus intimes »187. Cet éthos justifie pourquoi les hommes politiques se

rendent au public pour exprimer leurs propres afflictions et sentiments vis-à-vis des victimes d’un accident comme le cas des réactions autour de l’image d’Aylan Kurdi, par exemple le Premier ministre britannique dit dans discours : « en tant que père, je sens profondément touché en voyant ce petit enfant sur la plage en Turquie ». Il apparait bien que David Cameron a essayé de montrer son aspect humain en signalant qu’il est père et qu’il était touché par l’image de l’enfant Aylan.

En guise de conclusion, nous pouvons dire que le discours des hommes politiques sur l’image d’Aylan Kurdi répondent aux caractéristiques du discours politiques et s’inscrivent dans les stratégies discursives courantes dans le champ politique. L’objectif est de persuader et de donner la crédibilité au discours en faisant appel à des tactiques discursives. Nous limitons notre commentaire sur l’image d’Aylan Kurdi à ce stade. Nous allons dans ce qui suit s’intéresser au lien entre le discours politique et les médias.

II. Un filtre de cadrage

La diffusion de la photo d’Aylan Kurdi a provoqué des débats médiatiques. Des critiques ont été adressées aux responsables politiques en Europe. Pour se défendre, les acteurs politiques choisissent de parler à travers les médias. Nous allons essayer dans cette partie d’identifier les intérêts que les acteurs politiques cherchent à réaliser en s’exposant aux médias et comment ils peuvent influencer les récepteurs.