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Partie I. La densité : entre évolutions législatives et stagnation des perceptions

C. L’idéal pavillonnaire : facteur de rejet de la densité

Ainsi, si la maison individuelle – isolée ou en ensemble pavillonnaire – est le type d’habitat le plus représenté dans l’échantillon enquêté, c’est surtout le type d’habitat qui arrive largement en tête des sondages en réponse à la question : « Parmi les différents types d’habitations suivants, si vous pouviez choisir, dans lequel habiteriez-vous ? »

On constate ainsi que 68% des sondés déclarent vivre dans un habitat individuel, et que ce même type d’habitat constitue le souhait de pas moins de 87% d’entre eux.

Figure 9 : L'habitat individuel plébiscité par les français

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Cette volonté existe de longue date, puisque l’un des premiers sondages sur les choix résidentiels des français, datant de 1947, indiquait déjà que 74% des français 35visaient le pavillon individuel comme idéal. En plus de 60 ans, cette tendance n’a pas changé et semble même s’être accentuée. Néanmoins, écrit Alain Sallez, « ce qui a fondamentalement changé depuis le début du XXème siècle, c’est que le développement de l’habitat périurbain n’est plus seulement le fait des plus défavorisés qui ne peuvent, pour des raisons financières, se loger ailleurs. Pour de nombreux jeunes ménages, il s’agit d’un choix délibéré de s’installer « au vert » tout en conservant une activité professionnelle dans la ville voisine. »24

Une publication de la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme fait également un lien entre mauvaise image de la densification et attrait pour la maison individuelle : « la crainte de la de la densification s’exprime fréquemment à l’occasion des opérations d’aménagement. L’attraction de la maison individuelle demeure très forte et les projets de lotissements à faible densité, éloignés des centres, destinés à une clientèle aux revenus moyens, ou modestes, sont nombreux »36

Certes la raison économique peut constituer une première explication du phénomène. Dans un article de 2007, Nappi-Choulet et Maury mettent en avant la dégradation du pouvoir d’achat des primo-accédants37. Celui-ci a chuté à un rythme élevé entre 2000 et 2006, rendant l’achat d’un logement dans un grand pôle urbain limité à de petites surfaces (27,5 m2 en moyenne dans Paris intra-muros), favorisant le développement d’un habitat diffus dans le périurbain. Néanmoins, si cette volonté de s’éloigner des cœurs de ville et de l’habitat collectif qui y est le plus accessible est si marquée, c’est avant tout parce que les acquéreurs français associent des caractéristiques bien précises à la maison individuelle. Le graphique suivant met en avant les qualités que les enquêtés prêtent à ce type d’habitat :

35 Sallez Alain, La ville mal aimée , Urbaphobie et désir d’urbain, au péril de la ville , Colloque au château de Cerisy-la-salle , 2007

36

FNAU, Habitat, formes urbaines : densités comparées et tendances d’évolution en France, octobre 2006 37 Maury Tristant-Pierre, Nappi-Choulet Ingrid, Logement : l’évolution du pouvoir d’achat des primo-accédants, Refléxions Immobilières n°43, février 2007

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Si nous pouvions penser a priori que la convivialité pouvait être une caractéristique associée à des typologies d’habitats collectifs, nous la retrouvons ici plutôt liée à des typologies de maisons individuelles en ville ou en ensemble pavillonnaire. Mais ces typologies, perçues comme conviviales, restent nettement moins prisée que la maison individuelle isolée, qui arrive en tête du sondage (cf diagramme précédent). Cette dernière se voit pour sa part associée au calme et à l’intimité, deux qualités qui figurent donc parmi les plus prisées par les enquêtés et qui paraissent très éloignées des habitats denses tels qu’ils les perçoivent. Cette aspiration au logement individuel, bien connue de la plupart des professionnels de l’urbanisme, de l’architecture ou de l’immobilier, est d’ailleurs corroborée par de nombreuses études et sondages. Les travaux du sociologue Guillaume Erner38 montrent que 82% des personnes interrogées aspirent à une maison individuelle, mais il explique également que ce taux peut atteindre les 90% selon les sondages.

38

G. Erner, A la découverte de la maison relationnelle, Maisons D’En France, 2004

Figure 10 : Représentations associées à l'habitat individuel

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Son étude s’intéresse par ailleurs à « l’habitat idéal des français ». On y apprend entre autres que la majorité des enquêtés préfèrent une maison avec plusieurs salles de bains (plutôt qu’avec une seule grande), souhaitent disposer d’un bureau et d’une chambre parentale la plus éloignée possible de celle des enfants. Ajoutons à cela une étude du CREDOC39, qui montre que la présence d’un jardin est « la première priorité » lors du choix d’un logement et il n’y a dès lors plus rien d’étonnant dans le rejet de la densité observé par l’étude TNS- SOFRES. Alain Sallez résume ces caractéristiques ainsi : « Sur un plan qualitatif, les gens disent apprécier l’intimité, la convivialité dans l’habitat individuel, alors qu’ils associent l’insécurité, la densité, l’anonymat aux grands immeubles, aux tours et aux barres […]. C’est donc le choix d’espace habitable supplémentaire qui est recherché dans l’habitat individuel mais aussi l’aspiration à des valeurs de distinction, d’intimité et de nature » Or, si la maison idéale des français est un pavillon individuel avec deux salles de bains, bureau et jardin (visions quelque peu simpliste, mais proche des résultats des études consultées), comment pourrait-elle se trouver dans un environnement dense, puisque celui-ci est avant tout associé à de l’habitat collectif ?

Pour autant, l’étude TNS-SOFRES laisse poindre une sorte de paradoxe intéressant. En effet, dans l’idéal, les enquêtés souhaitent disposer de services tels qu’écoles, médecins, espaces verts et commerces de proximité dans un rayon de moins de 1 kilomètre autour de chez eux. Gares, supermarchés, hôpitaux, piscines, salles de cinéma…devraient quant à eux être situé à moins de 10 kilomètres de la maison individuelle (cf pages suivante).

39 Djefal S., Eugène S., Etre propriétaire de sa maison, un rêve largement partagé, CREDOC, Consommation et Modes de Vie N°177, septembre 2004

Figure 11: La proximité au service : un désir plutôt associé aux espaces denses

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D’une manière générale et pour citer l’étude TNS-SOFRES pour l’Observatoire de la ville, il « s’exprime également une forte demande de services urbains, de proximité et de

mouvement qui caractérisent plutôt le tissu urbain dense ».

A ceci près que ces éléments, qui sont perçu comme des atouts pour le cadre de vie et donc le choix du logement, ne sont jamais rattachés à l’idée de densité.

On en vient alors à se composer une nouvelle façon d’envisager la notion de densité, qui découle directement de la densité perçue. La densité ne semble en effet vécue qu’au travers de ses nuisances. Lorsque celles-ci sont présentes sur un espace et indépendamment de la densité calculée – qui peut être moindre - l’espace sera alors facilement perçu comme dense. Puisque il ne semble pas y avoir de lien direct entre densité calculée et densité vécue, puisque la densité est principalement remarquée pour ses nuisances, on s’aperçoit alors que la densité n’est plus vraiment, dans les représentations, un indicateur objectif ni même subjectif, mais qu’elle est en elle-même une nuisance qu’il convient de corriger.

Cette perception paraît relever de facteurs d’ordre culturels, avec un habitat pavillonnaire individuel érigé en idéal qui rentre donc en contradiction avec les représentations associées à la densité. Ce phénomène ne s’observe d’ailleurs pas nécessairement dans d’autres aires culturelles.

On peut s’appuyer ici sur les travaux menés sur le Japon par Cécile Asanuma-Brice dans le cadre de sa thèse40. Elle y explique notamment :

« Si les cités de logements sociaux ont stigmatisé des territoires entiers en France, il ne semble pas en être de même partout. Une enquête menée lors de précédents travaux de recherche, auprès d’une cinquantaine de Japonais vivant depuis plus d’un à Paris nous a révélé que tandis que les Français retiennent comme image de la banlieue la triste épopée des cités de logements publics, les Japonais, quant à eux, entretiennent une image champêtre de ces mêmes territoires […]Le Japon ayant connu les mêmes cycles économiques que la France, nous nous sommes interrogés quant à un décalage possible entre la réalité formelle et l’imagé retenue et véhiculée collectivement d’un même lieu »

Une partie de son étude est ainsi consacrée à montrer que l’image que l’on peut avoir d’un territoire est moins liée au territoire lui-même, à la forme urbaine, qu’aux pratiques qui ont cours ou qui ont eut cours dans ce territoire, constituant la « culture du lieu ». Elle y démontre que, bien que la périphérie de Tokyo soit marquée par la présence de tours d’habitations « de très haute densité », ces espaces périphériques restent majoritairement associés, dans la représentation des japonais à des paysages agricoles et de campagne. Selon elle, l’influence de la forme urbaine sur les perceptions est contrebalancée par des éléments culturels, et en particulier à un résiduel historique qui trouve sa source dans les meisho – type de peintures médiévales valorisant particulièrement les paysages périphériques. Cette image vient ensuite « se mêler aux diverses tentatives d’intégration de modèles urbains occidentaux (les cités-jardins) et s’associer à la notion de modernité, inhérente au mouvement d’occidentalisation de la société »

40

Asanuma-Brice Cécile, sous la direction de Bercque Augustin, « La transformation de la périphérie urbaine de Tokyo par les organismes de logement public » , soutenue à Paris, EHESS, 2012

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A l’inverse, elle pointe un phénomène faisant qu’en France : « la banlieue fut rapidement assimilée à la triste épopée des grands ensembles, faisant table rase de son histoire antérieure, à tel point que l’objectivation de cet espace en est désormais rendue quasi impossible. Les conséquences ne se laissèrent pas attendre : on assiste rapidement au délaissement des logements sociaux par les habitants pouvant prétendre à un autre type d’habitat, tandis que la population restante est qualifiée de captive. »

Si cette situation n’est pas nécessairement franco-française, l’éclairage apporté par l’exemple japonais dénote du fait que, au-delà de la question des formes urbaines et de l’attrait pour le pavillon individuel isolé (type d’habitat également très présent et apprécié au Japon), des facteurs culturels plus profondément ancrés dans l’histoire et la culture nationale influencent la perception de la densité.La perception qui prime en France est donc celle d’une source de nuisance contre laquelle il convient de lutter, et qui est rattachée à des usages et pratiques qui ne semblent pas vraiment évoluer.

Cette approche de la densité est-elle cependant partagée par le législateur ? 3. Le revirement d’un cadre législatif devenu favorable à la densification

Dans cette partie, nous allons nous employer à exposer les évolutions qu’on subies les réglementations d’urbanisme liées à la densité, en parallèle de celles du contexte territorial national (évolution de l’étalement urbain, artificialisation des sols, croissance démographique…). Nous montrerons ainsi comment et pourquoi les législations et les outils favorisant son application ont évolués d’une incitation au bâti diffus vers l’obligation de construire plus dense.

A. Des POS à la loi Deferre : lutter contre des densités trop importantes aux enjeux encore