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Dans le cadre du programme de travail « décrire et quantifier les régimes de protection de l'UE pour les fruits et légumes et l'huile d'olive » du projet FP6 EUMED-AGPOL coordonné par le Centre Inter-national des Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes et l'Institut Agronomique Méditerra-néen (CIHEAM-IAM) de Montpellier, j'ai mesuré le régime de protection européen de l'huile d'olive (Drogue, 2005 [4]). L'huile d'olive depuis la création en 1966 de l'Organisation commune de marché (OCM) pour les huiles et matières grasses est un secteur très soutenu par la Politique agricole com-mune (PAC) (Drogue, 1998 [78]). Les ESP que j'ai calculés pour l'huile d'olive entre 1995 et 2003 représentaient en moyenne, 42 % de la valeur de la production. Ces résultats étaient proches de ceux obtenus par d'autres auteurs mais ont été calculés à partir d'un prix de référence mondial dif-férent. En effet, prendre comme référence pour le prix mondial, la valeur unitaire des importations extra-UE par exemple, introduit un biais dans la mesure où la plupart des importations européennes sont stimulées par les préférences que l'UE accorde à certains de ses partenaires, notamment la Tunisie. J'ai donc utilisé la valeur unitaire des importations des Etats-Unis en provenance de la Tur-quie comme référence de prix mondial. Dans une seconde partie j'ai mesuré le niveau de protection de ce produit au niveau 8 chiffres du système de codification douanière de l'UE. Les résultats mon-traient que les droits de douane étaient très élevés (supérieurs à 50 % en équivalent ad-valorem) et que, à part pour la Tunisie, les préférences accordées par l'UE étaient très limitées au vu de la taille des quotas.

b. L’accord avec les pays du Mercosur

Parallèlement, des négociations entre l'Union européenne et le Mercosur visant à créer la plus grande zone de libre-échange au monde ont été entamées en 2000. L'accord définitif a été conclu en juin 2019 mais est toujours en suspens car la France s’oppose à cet accord. Pendant de nombreuses années, cet accord a achoppé à cause de l'offre mercosuline en matière de services et de marchés publics du côté européen et de l'offre agricole européenne, côté mercosulin. Le volet agricole a tenu une place importante dans les discussions. Une ouverture plus importante des marchés de l'UE aux pays latino-américains risquait de mettre en péril les fondements même de la Politique agricole commune (PAC) et de bouleverser l'équilibre laborieusement trouvé pour assurer aux producteurs européens une perspective stable. En effet, les pays du Mercosur et notamment les deux « géants » Brésil et Argentine étaient en mesure de concurrencer les produits européens, sur leur propre marché et ce malgré des niveaux de protection qui restaient assez élevés. Et donc, bien que classés parmi les pays en développement, les pays du Mercosur n'ont jamais bénéficié des avantages généralement accordés par l'UE à ces pays, en matière d'accès à son marché.

26 Nous avons analysé cinq filières agricoles : maïs, blé, sucre/éthanol, viandes et produits laitiers grâce à des indicateurs de compétitivité de court et long terme (Drogue et al., 2004 [3]). Ces travaux montraient que le bloc mercosulin bénéficiait d’une compétitivité-prix très avantageuse par rapport à son concurrent européen sur toutes ces filières et si jusqu’alors les taxes aux importations réussissaient à faire la différence, l’ouverture de plus larges quotas aux agriculteurs et éleveurs du Mercosur risquait de mettre en difficulté leurs homologues européens. En effet, malgré une faiblesse structurelle dans la productivité des facteurs (terre, travail, capital), le Mercosur tirait son épingle du jeu grâce à sa compétitivité coût des facteurs notamment de la main d’œuvre (Drogue et Ramos, 2005 [81]).

c. Le système des préférences généralisé

Le système des préférences généralisé (SGP) a été adopté par l’UE en 1971 pour offrir des préférences tarifaires aux pays en développement. Ce système est renouvelé tous les 10 ans. Il comporte 3 volets un accord « général » (SPG), des accords dits « spéciaux » (SPGE) pour la protection des droits des travailleurs, pour la protection de l’environnement et pour la lutte contre la production de drogue et un accord pour les pays les moins avancés (PMA) appelé aussi initiative « Tout sauf les armes » (désigné par SGPA) introduit en 2001. En mobilisant les bases de données disponibles sur les tarifs et le commerce (voir Encadré 1), nous avons réalisé 2 analyses de « l’intérêt » pour les pays bénéficiaires des préférences accordées par les SPG (DeMaria, Drogue et Mathews 2008 [88] ; DeMaria, Drogue et Rau 2015 [45]). Nous avons étudié l’impact du SPG entré en vigueur en 2006 et de celui entré en vigueur en 2014. Ces 2 analyses reposent sur des calculs d’EAV et de marge préférentielle. Bien que des efforts aient été accomplis par l’UE pour offrir un accès privilégié à ses marchés aux pays en développement, le constat reste mitigé.

Lorsqu'on analyse les données commerciales, les pays en développement semblent avoir réussi à tirer parti de l'amélioration de l'accès au marché offerte par les préférences de l'UE. La valeur des importations agroalimentaires en provenance des pays bénéficiaires et ayant bénéficié du SPG européen a considérablement évolué entre 2004 et 2013 (voir Tableau 2). Pour les pays SPG, elle est passée de 35 à 64 milliards d’euros. Pour les pays du SPGE, ces importations ont doublé. Seuls les pays SPGA n’ont pas vu leurs exportations agroalimentaires vers l’UE augmenter énormément. Quand on s’intéresse au classement des pays en fonction de la valeur de leurs exportations agroalimentaires vers l’UE, on s’aperçoit que ce sont les pays émergents qui sont les grands bénéficiaires de ce régime préférentiel.

Il y a plusieurs raisons à cela : (i) les coûts de participation aux régimes respectifs empêchent les exportateurs des petits pays en développement en particulier de bénéficier des préférences disponibles. Les coûts de participation sont liés à l'administration, au suivi et aux règles d'origine, mais

27 aussi aux exigences en matière d'importation ; (ii) certains bénéficiaires du SPG peuvent choisir de négocier une préférence dans le cadre d’un accord de libre-échange (ALE), et ils peuvent préférer cette alternative dans certains cas.

Nos résultats montraient que les régimes SPG n'apparaissaient pas toujours comme les régimes préférés et les plus avantageux. L’analyse des marges préférentielles sur les 3 années étudiées (2004, 2006 et 2013) a montré que, bien que le droit SPG moyen n’ait pas beaucoup changé entre ces trois périodes, les importations, et donc la valeur de la marge globale, en provenance des pays bénéficiaires avaient évolué favorablement, quel que soit le régime adopté (SPG, SPGE ou SPGA). Ces évolutions étaient dues à l’augmentation du volume des importations mais aussi à un changement dans leur composition. Cette évolution était cependant à nuancer en fonction des pays bénéficiaires. Le nouveau SGP confirmait la présence en tête de pays émergents tels que la Chine, le Brésil, l’Argentine, l’Inde ou l’Afrique du Sud, mais il voyait apparaître de nouveaux venus comme la Thaïlande, le Vietnam ou la Russie parvenus à tirer parti des préférences offertes par l’UE (voir Tableau 2).

Tableau 1 : Valeur des importations agroalimentaires de l’UE des pays bénéficiant du SPG et taux d’utilisation des préférences accordées par l’UE (toutes préférences confondues).

Importations agroali-mentaires UE de pays

bénéficiant du SPG (€ million)

MFN non-0 (%)

MFN-0 (%)

Pref-0 (%)

Pref non-0 (%)

Taux d’utilisation (%) SPGA

2013 3,576 2.30 32.42 65.28 0.00 97

2006 2,510 2.37 35.50 61.90 0.23 84

2000-2005 2,289 6.14 29.66 63.97 0.22 87

SPG

2013 64,577 18.07 46.24 21.58 14.12 88

2006 43,202 22.67 40.43 16.76 20.14 77

2000-2005 35,704 27.58 41.39 16.89 14.13 84

SPGE

2013 10,590 18.62 33.98 38.11 9.28 92

2006 7,139 29.85 30.73 32.14 7.28 87

2000-2005 5,209 37.51 29.26 26.17 7.05 85

Source: DeMaria, Drogue et Mathews 2008 [88] ; DeMaria, Drogue et Rau 2015 [45]

28 Tableau 2 : Valeur des importations agroalimentaires de l’UE des 10 premiers pays en

développement qui perdent leur statut SPG au 01/01/2014, par groupe de préférence en 2013.

SPGA

Valeur du com-merce sous

préfé-rence (million €)

SPG

Valeur du com-merce sous

préfé-rence (million €)

SPGE

Valeur du com-merce sous

préfé-rence (million €) 2013

Bangladesh 324,75 Chile 2289,19 Ecuador 1,454.42

Tanzania 228,57 China 1970,11 Peru 1,117.34

Madagascar 223,43 Morocco 1942.71 Costa Rica 696,21

Senegal 209,90 South Africa 1586.05 Colombia 661.09

Mozambique 192,98 India 1400.59 Guatemala 343.66

Malawi 181,26 Thailand 1167.20 Honduras 165.08

Ethiopia 169,42 Argentina 1099.83 Sri Lanka 119.10

Cambodia 161,89 Cote d'Ivoire 1075.57 Nicaragua 113.15

Uganda 133,51 Vietnam 836.62 Georgia 91.75

Mauritania 114,57 Kenya 703.21 El Salvador 69.00

2006

Bangladesh 133,12 China 1252.33 Ecuador 755.43

Senegal 87,14 Argentina 1065.39 Peru 461.70

Tanzania 81,25 India 732.04 Costa Rica 380.31

Mauritania 49,02 Brazil 596.69 Colombia 375.04

Maldives 44,28 Thailand 588.23 Guatemala 130.88

Uganda 43,07 South Africa 564.88 Sri Lanka 104.66

Ethiopia 33,01 Vietnam 479.37 Panama 92.13

Yemen 32,01 Ukraine 404.79 Honduras 88.24

Zambia 26,56 Indonesia 277.48 Venezuela 68.05

Madagascar 22,49 Russian Fed. 263.75 Georgia 58.13

2004

Bangladesh 120,31 China 678.12 Ecuador 473.40

Tanzania 91,72 Argentina 603.82 Peru 316.95

Senegal 90,74 India 529.05 Colombia 198.24

Uganda 37,39 South Africa 448.02 Guatemala 118.57

Mauritania 36,44 Brazil 299.53 Costa Rica 91.42

Madagascar 29,67 Indonesia 265.73 Pakistan 73.42

Malawi 29,10 Iran 226.24 Honduras 71,40

Maldives 25,94 Malaysia 153.78 Venezuela 69,90

Yemen 23,46 Ukraine 149,56 Panama 45,71

Ethiopia 16,16 Cuba 137,72 El Salvador 31,72

Source : DeMaria, Drogue et Mathews 2008 [88] ; DeMaria, Drogue et Rau 2015 [45]

Ces évolutions commerciales ont eu pour effet que la réforme du SPG de 2013 allait affecter surtout les pays qui ne bénéficient que des régimes SPG et/ou qui se sont spécialisés dans des produits gradués des préférences. C'est le cas de certains pays émergents, comme le Brésil et la Russie, qui ont perdu leur statut SPG pour exporter vers l'UE. En tant qu'acteurs importants du commerce international, on

29 peut toutefois s'attendre à ce que ces pays soient compétitifs sur le marché mondial ainsi que sur le marché de l'UE. La Chine conserve son statut SPG mais a perdu ses conditions préférentielles d'accès au marché pour de nombreux produits agroalimentaires. On peut donc s'attendre à ce que les pays en développement qui perdent leur statut SPG concluent davantage d’accords de libre-échange4, y compris des accords de partenariat économique (APE), avec l'UE pour maintenir leur accès préférentiel à ce marché.

Dans un contexte de globalisation de l'économie, un certain nombre d'interrogations et de préoccupations concernant les effets potentiels de la libéralisation des échanges ont émergé du côté des producteurs comme des consommateurs. Il ne s’agissait plus de mesurer le niveau de la protection mais d’évaluer son impact. Les travaux de quantification de l'impact des politiques commerciales sur les échanges, les prix ou le bien-être sont au cœur des démarches d'aide à la décision publique dans ce domaine. Ces sujets ouvrent nombre de questions de recherche empiriques et méthodologiques. La section suivante est consacré à mes travaux en lien avec la mise en œuvre des politiques commerciales.

Je présente trois points méthodologiques : la prise en compte des quotas tarifaires et de la concurrence imparfaite dans les modèles

1.3. Exemple de simulation de scénarios de libéralisation commerciale et points méthodologiques

a. La prise en compte des quotas tarifaires

La plupart de mes travaux en commerce international ont été également des exercices de simulation d’accord de libre-échange réalisés avec des modèles d'équilibre général calculable (EGC). Ces modèles EGC sont devenus un instrument standard dans l'analyse de l'impact des négociations commerciales.

Parmi les projets qui ont eu le plus de succès, le modèle Global Trade Analysis Project (GTAP) s'est révélé un instrument utile pour les modélisateurs du commerce international partout dans le monde.

L’intérêt et la force de GTAP est que c’est à la fois un modèle mais aussi une base de données mondiale.

Dans Ramos et Drogue (2005) [29] nous avons utilisé GTAP pour simuler les effets de la création d'une zone de libre-échange entre l'UE et le Mercosur. Notre objectif était d'évaluer l'impact de ce plus large accès aux marchés de l'UE pour des produits agroalimentaires du Mercosur ; pour l'UE, le Mercosur et les partenaires commerciaux de l'UE. Comme l'offre européenne était construite en termes de quotas tarifaires (TRQ), nous avons utilisé la méthodologie et le programme de (Elbehri et Pearson, 2000) pour introduire des quotas dans le modèle GTAP. Nous avons ajouté un bloc de variables et d'équations

4 L’Equateur a signé un accord de libre-échange avec l’UE en 2014 pour garantir ses préférences.

30 pour tenir compte de cet instrument de politique commerciale, puis effectué des simulations en sui-vant le scénario des négociations. Cette proposition concerne l'ouverture de TRQ pour le bœuf, la vo-laille, le blé, le maïs, et les produits laitiers.

Les résultats montraient que la mise en œuvre de ces propositions aurait entraîné une perte globale de bien-être de 5 millions de US$. Sans surprise, dans ce scénario, l'UE est la principale perdante et le Mercosur le principal gagnant. Ces gains et pertes sont essentiellement dus aux changements dans les termes de l'échange et aux transferts de rentes de quotas5. Dans l'hypothèse où toutes les rentes de quotas sont captées par les exportateurs, le Mercosur gagnerait 75 % de son bien-être par transfert de rentes. Il semble que dans les pays du Mercosur il y ait une sorte de concurrence sectorielle sur les facteurs qui entraînerait une redistribution des ressources de tous les autres secteurs vers ceux de la volaille et du bœuf. Globalement, la redistribution des ressources induirait des gains positifs de bien-être, mais le fait que ces ressources soient dirigées vers un nombre réduit de secteurs entrainerait des inefficacités techniques du fait de la perte de valeur ajoutée dans les services et l'industrie. Cependant, contrairement à ce qu'on aurait pu prévoir, les détournements de commerce au détriment des princi-paux partenaires commerciaux de l'UE auraient été limités et auraient affecté surtout les principrinci-paux fournisseurs de viande. Une intégration plus profonde entre l'UE et le Mercosur aurait affecté certai-nement les agriculteurs européens, en particulier si cette plus large intégration comprenait les produits agroalimentaires parmi les plus protégés en Europe, qui sont également parmi le plus compétitifs dans le Mercosur. Dans ce document nous avions fait l'hypothèse que 100 % des rentes de quotas étaient transférés aux exportateurs. Il en ressortait que, l'administration des licences de quotas semblait à cette époque l'obstacle principal des négociations entre l'UE et le Mercosur.

b. Modèle CGE et concurrence imparfaite

Un autre modèle est venu « concurrencer » GTAP, c’est le modèle MIRAGE du Centre d’études pros-pectives et d’informations internationales (CEPII) (voir Encadré 6). Ce modèle développé par le CEPII très utilisé pour simuler les propositions de négociations de la France et de la Commission européenne présentait deux innovations par rapport à GTAP. La 1ère était l’introduction de l’hypothèse de concur-rence imparfaite à la Krugman (Krugman, 1995) et la 2nde était l’utilisation de la base de données sur les droits de douane MacMaps (Market Access Maps). C’est ce modèle que j’ai utilisé pour simuler un accord de libre-échange entre l’UE et la Russie (Drogue, Pyykkönen et Virolainen, 2008 [30]). L'objectif

5 Un quota tarifaire est une restriction quantitative au commerce (à l’intérieur du quota le droit de douane est inférieur au droit NPF voire nul et égal au droit NPF à l’extérieur du quota). Contrairement à un droit de douane qui s’applique à tous, le quota est administré par le partenaire commercial qui peut donc choisir quelle entre-prise pourra bénéficier de la préférence. La rente de quota est le bénéfice que l’exportateur retire de sa marge préférentielle « in-quota ».

31 était d'évaluer l'impact des différents niveaux d'un accord commercial entre la Fédération de Russie et l'Union européenne.