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Chapitre 3 : Le pacifiste, un nouvel ennemi ?

2) L’homme passif ou l’absence de virilité

La condamnation des pacifistes se construit dans l’inaction, qui les mène à être dominés par les hommes virils. Ils sont dans une virilité subordonnée ou marginalisée205.

Pourtant, il est intéressant de constater que l’action des hommes de paix n’est pas inexistante chez l’illustrateur : elle est plutôt minorée jusqu’à atteindre une forme de passivité ou d’absurdité dans l’action. Ces comportements sont assimilables à la passivité ou une action non virile dictée par la peur.

La peur est un sentiment révélateur d’une faiblesse, d’une dominance de la peur sur soi. Un homme viril contrôle ou masque sa peur. Une grande part de la construction de l’homme viril s’oriente pour museler ce type de sentiment206. Il est d’autant plus essentiel de contrôler

ce sentiment, car si ce dernier n’est pas contraint, il peut engendrer des comportements

203 Voir la segmentation en quatre temporalités du pacifisme français par Maurice Vaïsse expliqué au chapitre 1. 204 Consultation de la série Le monde à l’envers d’Hermann-Paul dans le Fond de la Contemporaine aux invalides

à Paris.

205 Raewyn Connell, Masculinities, Berkeley, University of California Press, 1995, p. 78-81. 206 Corbin, op. cit., 2, p. 63-79.

indignes et condamnables. Un de ces comportements est la lâcheté207 ou la poltronnerie208 qui

sont assimilées au caractère inné des pacifistes selon le caricaturiste.

Afin de rendre compte de cette assimilation comportementale, nous utiliserons trois exemples qui couvrent l’ensemble de la période puisque le premier dessin issu du n° 94 parait en 1932 et le plus tardif des exemples est issu du n° 468 paru en 1939.

Le dessin du n° 94*209 illustre la pensée d’Hermann-Paul sur le pacifisme et son

impuissance face au danger allemand. Le dessin s’intitule : « Pacifisme... » et montre Marianne fuyant face aux Allemands et criant : « Jetez vos fusils ! Les Boches vont tirer... » La peur de l’Allemagne, qui selon Hermann-Paul gangrène la diplomatie française durant l’entre-deux-guerres, est ici instrumentalisée pour décrédibiliser la politique de paix. Marianne fuit avec lâcheté le combat face à l’ennemi, elle renonce donc à se battre et accepte la domination de l’Autre. Le pacifisme devient alors synonyme de lâcheté, incompatible avec la virilité210. Hermann-Paul crée une adéquation entre pacifisme et peur des Allemands, qui

superpose l’angoisse de l’ennemi d’hier et la lâcheté de la politique française.

Cette représentation est aussi un exemple du paradoxe de la condamnation des pacifistes chez Hermann-Paul et, dans une certaine mesure, de son incapacité à sentir les évolutions sociales en raison d’un cadre d’interprétation rigide et restrictif. Les soldats de la Première Guerre mondiale forment en effet une partie non négligeable des pacifistes de l’entre-deux-guerres211. Plusieurs groupes d’anciens combattants sont les incubateurs des

nouveaux mouvements pacifistes. Or, l’artiste ne peut pas condamner ceux qui incarnent la virilité triomphante. Les caricatures d’Hermann-Paul souffrent ainsi d’une étonnante absence : dans l’ensemble du corpus, jamais le soldat n’est représenté en pacifiste, et jamais le pacifiste n’est présenté comme un ancien combattant. Le dessin du n° 94, se trouve être paradoxalement

207 « LÂCHE adj. », Dictionnaire de l’Académie Française, neuvième édition, en ligne (consulté le 2 février

2019).

208«POLTRONNERIE n. f. », Dictionnaire de l’Académie Française, neuvième édition, en ligne (consulté le 2

février 2019).

209 Figure 12 : JSP, 94, 10 novembre 1932 (la Contemporaine, bibliothèque archive musée, Paris-Nanterre). 210 Corbin, op. cit., 2, p. 7.

211 Antoine Prost, Les anciens combattants et la société française, 1914-1939, Paris, Presse de la Fondation

une illustration de champs de bataille où ne figure aucun soldat – la scène est une représentation de débâcle militaire et de fuite devant l’ennemi, qui est un acte dévirilisant.

Figure 12 : JSP, 94, 10 novembre 1932 (la Contemporaine, bibliothèque archive musée, Paris-Nanterre).

Le deuxième de ces exemples est le dessin du n° 468212, déjà analysé au chapitre 2. Ce dessin

délaisse Marianne au profit des soldats. Ce choix s’inscrit dans contexte de l’année 1939, ultime année de paix, alors que l’Europe se prépare au pire. Le dessin utilise l’imagerie des soldats pour illustrer la différence entre les hommes virils et les hommes de paix. Les « vrais hommes » ont toujours cru au combat salvateur pour la nation et vont de nouveau sauver la France. Les pacifistes, eux, n’ont cessé de déconstruire l’action des soldats : ils sont maintenant à l’arrière avec les « faibles » soit les femmes et les enfants. Le dessin publié est une scène de guerre et montre de tranchées. Les pacifistes ne sont pas présents, car ils ne participent pas aux activités virilisantes du combat et du sacrifice pour la nation. La

condamnation est donnée directement par les deux soldats en guerre, représentant l’incarnation par excellence du couple citoyen/soldat et donc de la virilité : « La guerre se fait à l’avant ! – La paix se défait à l’arrière ! » Leurs propos acquièrent une dimension d’argument d’autorité en raison de leur statut d’idéal viril. Les activités du soldat sont valorisées par le terme l’avant pour désigner le fait que le soldat viril est en première ligne face au danger. Les pacifistes sont présentés ici l’antithèse par excellence des soldats et donc des hommes virils. Leur comportement est aux antipodes de la position à l’avant des soldats.

Toutefois, Hermann-Paul ne se contente pas de décrédibiliser les pacifistes en les classant dans la catégorie des dominés ou des faibles. Dans la troisième partie, il est question d’une critique plus virulente de l’artiste, celle de trouver dans les hommes de paix, un bouc émissaire de la peur de la dégénérescence de la civilisation occidentale.

3) L’homme source de chaos social ou la destruction de la virilité