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Chapitre 2 : Les modèles et héros d’une société française mise en danger

B. Un futur mari : le bolchévique

Hermann-Paul met en scène différents prétendants pour Marianne afin de renforcer la féminité des antipatriotes. S’il se concentre généralement sur l’Allemand, l’artiste actualise sa critique en réponse à l’accroissement de la peur rouge en Europe. Le choix du bolchévique permet d’expliciter le contact, l’influence, l’union avec l’URSS. Le caricaturiste traite ce rapprochement marital en évoquant une Marianne complice (dessin du n° 235) ou une Marianne victime qui subit une union forcée (dessin du n° 312).

Le dessin du n° 235189 de 1935 présente Marianne enlaçant son bras avec celui de

Staline, identifiable par sa moustache longue et les symboles communistes : chapeau militaire à étoile, marteau dans la main droite et faucille dans la main gauche. Marianne est représentée avec son bonnet phrygien affublé d’un drapeau français en macaron sur le profil gauche. L’allégorie française s’exprime ainsi : « De la guillotine à l’assiette au beurre, quel chemin, camarade ! », l’homme russe lui répondant : « Vous me l’avez montré, chère amie. ». Le terme

camarade dans la bouche de Marianne renvoie à la complicité entre les deux protagonistes. De

plus, le geste des deux bras enlacés rappelle celle des couples en promenade. Enfin, l’expression chère amie révèle une intimité, celle d’une relation de concubinage ou de couple marié. Marianne est représentée ici en bourgeoise, comme le rappellent son embonpoint et la mise en valeur de son collier de perles par la position de sa main sur sa poitrine. Elle s’est engraissée sur le compte du peuple français par la fiscalité (l’assiette au beurre). Cette condamnation, comme avec l’Allemagne, est un signe de l’évolution idéologique de l’auteur puisqu’il réutilise un topos de la gauche : une Marianne bourgeoise pour dénoncer la prise de pouvoir par cette classe économique. Les propos échangés entre les deux personnages renforcent cette hypothèse : « De la guillotine à l’assiette au beurre ». Si la guillotine fait référence à la gauche révolutionnaire qui prend le pouvoir de la jeune république en 1793, l’assiette au beurre fait référence, de son côté, à la fiscalité qui semble être mise en place pour

favoriser la bourgeoise (la droite) au détriment des plus pauvres. Marianne bourgeoise a donc agi pour son intérêt personnel au détriment de la patrie comme les ennemis de la nation : politiciens, juifs, francs-maçons, pacifistes ou communistes. Elle choisit une union contre la France par une mésalliance avec le nouvel ennemi communiste. Le positionnement de la caricature permet également de déceler la hiérarchie du couple. En effet, Staline est grand et semble, par sa position, diriger une petite Marianne.

Le dessin issu du n° 312*190 de 1936 présente une image de Marianne très différente.

La représentation est organisée autour de trois éléments : une porte, Staline et Marianne. La porte est affublée des emblèmes communistes. L’entrée semble être la porte de la chambre du couple Staline/Marianne. Marianne incarne la femme faible dans la construction d’un couple étrange : Staline pour mari et la France pour femme. Staline est représenté au milieu touchant du bout des doigts la porte. Il tient fermement Marianne dans un de ses bras. Cette étreinte est à la fois violente et sensuelle. L’homme de Moscou déclare : « Un instant : Blum fait le lit ». Blum, figure centrale du Front populaire, apparait comme le complice de Staline qui entraine la France vers le communisme en trompant les Français. Marianne est plus petite et fine que son homologue communiste. En effet, elle est bloquée dans cette étreinte forcée et elle semble tétanisée et dominée. Staline force cette union maritale avec Marianne. Blum sert ici de catalyseur, car il est la cristallisation de plusieurs critiques de l’artiste : il est juif, de gauche, internationaliste et pacifiste. La porte signale par analogie la menace du passage d’un régime à un autre, d’une position de dominant de la France à celle de dominée par la Russie dans une mésalliance forcée. Marianne est représentée comme physiquement faible : plus petite, fine, bloquée et passive face à un dangereux Staline. Il s’agit peut-être, dans le corpus, de l’une des images montrant avec le plus de force la peur d’Hermann-Paul, soit l’avilissement de la France par Léon Blum, un des chefs des ennemis politiques de la nation.

Figure 9 : JSP, 312, 14 novembre 1936 (la Contemporaine, bibliothèque archive musée, Paris-Nanterre).

D’un point de vue genré, Herman-Paul insiste donc sur la faiblesse physique de Marianne, la rendant victime. Dans les caricatures négatives, il s’attarde sur l’oisiveté et la passivité face à l’homme viril de l’action. Par la suite, il pointe la superficialité et la sophistication des femmes face à l’homme du peuple viril par sa force. Pour finir, il traite de l’importance du mariage pour la femme et la transmission de son statut de mineure.

Hermann-Paul craint cette France en changement : il dépeint ses deux modèles de la société, des archétypes partagés par une société qui vit depuis plus d’un siècle sous le modèle militaro-viril : une grande Marianne et un protecteur-héros, le soldat. La peur de la dégénérescence et la brutalité du conflit de 1914-1918 mettent à mal ce modèle issu du cycle révolutionnaire.

Le dessinateur use de l’allégorie de Marianne pour exprimer ses craintes. Cependant, nous avons montré que les Marianne d’Hermann-Paul ne cadrent pas avec la typologie énoncée par Agulhon. Quatre types dominent chez le caricaturiste : Marianne positive comme victime et symbole de la Grande France, puis un ensemble de trois représentations négatives : une Marianne passive et incompétente, une Marianne superficielle et limitée par sa condition de mineure perpétuelle, enfin une Marianne à marier.

L’artiste perçoit des dangers qu’il identifie comme les fruits de la dégénérescence et de la destruction de la société. Des ennemis-antipatriotes s’opposent au modèle du héros militaire. Nous retrouvons donc sous son trait, le juif, le franc-maçon, le politicien (signe d’un régime défaillant). Ces ennemis intérieurs, selon Hermann-Paul, manipulent, déshonorent, trompent, avilissent la grande Marianne et s’allient contre la France avec les ennemis extérieurs, l’Allemagne et les ennemis hybrides, c’est-à-dire les communistes. Cependant, si ces modèles d’ennemis-antipatriotes sont communs aux contemporains de l’artiste, ce dernier ajoute, comme on le verra, un autre contre-modèle spécifique à la période : le pacifiste. Dans un dernier chapitre, nous verrons comment ce modèle s’enracine chez l’artiste dans les ennemis de la nation et comment Hermann-Paul construit, par ce biais, une nouvelle interprétation de la virilité.