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3 CAS DE LA RTU BACLOFENE

3.1 LE BACLOFENE : DE L’UTILISATION EN NEUROLOGIE A LA PRESCRIPTION HORS

3.1.3 L’histoire de la prescription hors AMM du baclofène

Le développement de la prescription hors AMM du baclofène à hautes doses dans l’indication du traitement des troubles de l’usage de l’alcool remonte essentiellement à l’année 2008.

Cette année coïncide avec la publication du livre grand-public du Pr. Ameisen : Le dernier verre. Le Pr Ameisen espérait, suite à la publication de son case-report en 2004 (69), que des études randomisées contrôlées soient rapidement lancées afin de confirmer la validité du concept de la suppression dose-dépendante par le baclofène des symptômes de la dépendance à l’alcool.

Cependant, pendant les années qui suivent cette publication, il n’y a que peu d’écho dans le monde médical, la prescription de baclofène dans le traitement reste confidentielle. Le Pr Ameisen décide donc de faire de son histoire un livre grand public afin de mobiliser l’opinion. Ce livre intitulé Le dernier verre (81) ou en anglais : The End of my addiction est vendu à plus de 40 000 exemplaires. Il suscite un immense espoir chez les patients et leurs proches. Le Pr Ameisen déclare en couverture du livre : « alors que j’avais sombré dans l’alcool, un médicament m’a libéré de l’envie compulsive de boire », et ce, après seulement quelques semaines de traitement.

3.1.3.2 L’exposition médiatique

Ce livre propulse le baclofène sur le devant de la scène ; l’histoire de la découverte et de la guérison du Pr. Ameisen est médiatisée de manière importante ; les articles dans la presse grand public se multiplient et décrivent le baclofène comme un potentiel traitement miracle. (82)

Un article du Monde juillet 2009 intitulé « Contre l’alcool, le remède interdit » (83) décrit le livre du Pr Ameisen comme « un coup de tonnerre » qui suscite de nombreux espoirs parmi les alcooliques et un intérêt certain chez ses confrères. Il s’accompagne de témoignages de patients pour qui le traitement s’est révélé « révolutionnaire ». L’une des patientes citées a convaincu son médecin généraliste de lui prescrire ce traitement. Des médecins prescripteurs témoignent également, parfois de manière anonyme « pour ne pas s’attirer les foudres » de certains confrères.

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3.1.3.3 Une forte mobilisation des patients et des prescripteurs

La demande des patients croit ; les médecins généralistes ou spécialistes voient arriver de nombreux patients demandant une prescription de baclofène dans le traitement des problèmes liés à l’alcool. Dans une étude réalisée pour une thèse sur la prescription de baclofène, 33% des médecins interrogés ont prescrit le baclofène car un patient leur avait demandé (84).

Des associations actives regroupant patients et premiers prescripteurs de baclofène (baptisés primo-prescripteurs) voient le jour ; les forums de ces associations partagent les coordonnées de médecins acceptant de prescrire le baclofène, les patients et médecins y échangent témoignages et conseils au sujet du traitement.

L’association AUBES est créée en 2010 à l’initiative d’un médecin

généraliste, le Dr Jousseaume, et d’un groupe de patients. Elle se présente comme un réseau patients-médecins(85). Le site internet et son forum reçoivent depuis sa création plus de 3000 visites par jour, et l’association répond à 70 demandes de prescripteurs par jour. Elle regroupe 55% de patients, 25% de proches de malades et 20% de médecins.

L’association BACLOFENE est créée en 2011, avec pour objectif de

faire connaître et reconnaître l’efficacité et l’innocuité du baclofène dans le traitement de la maladie alcoolique.

Ses adhérents décrivent ce traitement comme une découverte majeure (86), et affirment avoir constaté auprès de nombreux patients la même chose de le Pr. Ameisen ; la fin de leur dépendance.

Nous pouvons également citer l’association RESAB (Réseau Addictions Baclofène) créée par des médecins primo-prescripteurs, regroupant les professionnels de santé et du social s’intéressant au baclofène, et l’association

Olivier Ameisen dont les actions visent principalement à la poursuite des

recherches sur l’efficacité du baclofène ainsi qu’à l’internationalisation des prescriptions.

Ces associations, actives et militantes, agissent :

-en aidant les patients dans leur démarche d’obtenir et de suivre un traitement par baclofène :

-par la mise en communication des patients via des forums, -par l’orientation vers des médecins acceptant de prescrire le traitement,

-en diffusant l’information autour du baclofène : formations de médecins, interventions dans les médias ;

62 -en interpellant les pouvoirs publics, le corps médical et les autorités de santé sur la nécessité de reconnaitre ce traitement et de normaliser sa prescription ;

-en participant au recueil de données concernant le baclofène (réalisation d’une enquête auprès des patients réalisée par l’association BACLOFENE : 1085 témoignages ont été analysés).

3.1.3.4 L’augmentation du nombre de prescriptions

Les données suivantes montrent une augmentation massive des prescriptions hors AMM du baclofène entre 2008 et 2014. La proportion de l’usage hors AMM du baclofène dans le traitement des troubles de l’usage de l’alcool correspondrait à 50% des ventes du médicament en France (87).

Les données de l’assurance maladie

Ces données ont été obtenues par la Sécurité Sociale (à partir des données du Système National d’Information Inter-Régimes de l’Assurance Maladie – SNIIRAM) grâce à l’utilisation d’un algorithme basé sur les soins hospitaliers, les ALD et les soins de ville pour répartir les personnes en fonction du motif présumé de prescription, la mention « hors AMM » n’étant que rarement mentionnée sur l’ordonnance. l’Assurance Maladie a ainsi pu déduire les chiffres suivants concernant l’évolution de la consommation de baclofène dans l’indication du traitement des troubles de l’usage de l’alcool(88) (89) :

-une forte hausse des prescriptions en octobre 2008 suite à la publication du livre Le dernier verre ;

-200 000 patients ont débuté un traitement de baclofène entre 2007 et 2013, dont 52,0 % soit plus de 100 000 patients dans l’indication du traitement

des troubles de l’usage de l’alcool ;

-En 2013, 58,9 % de ces patients avaient eu pour prescripteur initial un médecin généraliste ;

- Plus de 10 000 médecins généralistes ont prescrit au moins une fois du

baclofène dans l’indication des problèmes de consommation d’alcool à un

patient ayant débuté ce traitement en 2012, dont au moins 1600 à des doses supérieures à 120 mg/jour.

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Les données de l’Indicateur Avancé Sanitaire d’OpenHealth

La méthodologie développée par Celtipharm pour l’IAS Indicateur Avancé Sanitaire d’OpenHealth et l’association Olivier Ameisen, prend en compte les ventes totales de baclofène per os en France et une estimation des quantités consommées dans le cadre de l’indication initiale (spasticité musculaire)(90). Le résultat est exprimé en nombre de comprimés de 10 mg achetés dans le cadre d'un traitement de l'addiction et permet un suivi en temps réel (91).

Evolution dans le temps du nombre de comprimés vendus dans l’indication du traitement des troubles de l’usage de l’alcool jusqu’à la RTU – données de l’IAS OpenHealth (91)

Les chiffres du graphique correspondant aux évènements marquants de l’histoire du baclofène :

1) 9/10/2008 Publication du livre Le dernier verre par le Pr Ameisen

2) 8/02/2010 Publication de l’étude du Pr Ameisen et du Dr De Beaurepaire (71)

3) 6/06/2011 Mise en garde de l’AFSSAPS sur l’utilisation hors AMM du baclofène dans l’alcoolo-dépendance

4) 24/04/2012 Point d’information favorable de l’ANSM sur le baclofène

5) 08/04/2013 Publication du livre du Dr de Beaurepaire, Vérités et mensonges sur le baclofène

6) 03/06/2013 Colloque baclofène à l’hôpital Cochin

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3.1.3.5 La polémique autour du baclofène

Une arrivée dans le monde de l’addictologie inhabituelle :

En l’absence de données scientifiques sur l’efficacité et l’innocuité indiscutables, l’opinion médicale se divise entre médecins pour ou contre le baclofène. Cette molécule arrive dans le champ de l’addictologie par un chemin inhabituel ; là où la plupart des médicaments arrivent après avoir obtenu une AMM grâce à des études démontrant en théorie leur efficacité, promus par un laboratoire, le baclofène est un générique, promu et demandé par les patients, et dont les études démontrant l’efficacité et la sécurité à haute dose n’ont pas un niveau de preuve suffisant pour de nombreux médecins.

Le concept de la réduction de la consommation et de l’indifférence :

Outre ces données jugées insuffisantes, certains médecins « anti-baclofène » réfutent le concept de « l’indifférence à l’alcool » accompagnant le baclofène. Il implique qu’une réduction de la consommation pour le patient est possible, sans abstinence. Le Dr Batel s’exprime dans Libération : « l’extinction complète de l’envie de boire je n’y crois pas » (92)

Ce concept est en effet nouveau dans l’addictologie, remettant en cause le dogme de l’abstinence définitive et absolue, notamment prôné par l’association des Alcooliques Anonymes. Pourtant ce modèle de l’abstinence, repris dans les conférences de consensus de la Haute Autorité de Santé, ne serait pas fondé sur des données scientifiques (93) et pourrait provenir du fait que la maladie de la dépendance à l’alcool a longtemps été considérée comme une maladie de la volonté. Selon l’association BACLOFENE et de nombreux médecins prescripteurs, l’abstinence forcée pendant le traitement n’est pas jugée comme nécessaire et est perçue comme une contrainte qui freine les patients dans leur démarche thérapeutique. Elle est un facteur de rechute fréquente (86)(94) et n’est pas souhaitée par les patients dans plus de 50% des cas (95).

Cependant cette idée de l’abstinence comme critère d’efficacité est tenace ; c’est d’ailleurs le critère de jugement principal de l’étude ALPADIR, l’une des études à grande échelle actuellement en cours pour évaluer l’efficacité du baclofène(96). Le Dr Jousseaume s’exprime à ce sujet dans le Quotidien du médecin. Il ne comprend pas ce choix : « Seuls les abstinents mériteraient-ils que l’on s’occupe d’eux ? (...) La révolution du Baclofène, c’est qu’on est passé du statut de l’abstinence au statut de l’indifférence à l’alcool. Et que, justement, des patients puissent se sevrer, se guérir même, sans trop souffrir. » (97)

La polémique enfle notamment sur internet, patients, associations de patients, médecins, membres de l’industrie pharmaceutique s’y affrontent et y débattent parfois

65 violemment sur l’utilisation du médicament dans les troubles de l’usage de l’alcool(98). Si, pour certains, « rien ne justifie l’utilisation du baclofène à part l’enthousiasme »(99), le Dr De Beaurepaire dénonce un scandale et une non-assistance à personne en danger en cas de refus de prescription du baclofène (100).

3.1.3.6 La prise de position des sociétés savantes et de l’AFSSAPS/ANSM

Les sociétés savantes restent sur leurs gardes :

-La Fédération Française d’Alcoologie en 2008 « souligne qu’elle ne peut approuver les prescriptions qui seraient faites, tant que les indications formulées par l’AMM (Autorisation de mise sur le marché) ne comportent pas celle de l’alcoolo-dépendance » ; (101)

-La Société Française d’Alcoologie conclut à une insuffisance de preuves scientifiques, les études existantes étant hétérogènes, sur de petits groupes de patients et affectées de biais méthodologiques. Elle demande des études de meilleure qualité sur l’efficacité et le profil de sécurité du médicament ; en attendant la prescription de baclofène ne doit être faite qu’en dernière intention. (102)

Devant l’usage hors AMM grandissant, l’AFSSAPS met en place dès mars 2011 un suivi national de pharmacovigilance afin d’analyser le profil de tolérance du baclofène à haute dose dans l’indication des troubles de l’usage de l’alcool.

Trois mois plus tard, elle publie une mise en garde concernant l’utilisation du baclofène (103) : « Le bénéfice du baclofène dans l’alcoolo-dépendance n’est pas démontré à ce jour et les données de sécurité d’emploi dans cette indication, où les doses utilisées sont le plus souvent supérieures à celles évaluées et autorisées, sont limitées. Aussi, dans l’attente des résultats d’une étude clinique dont elle soutient la mise en place, un suivi national renforcé de pharmacovigilance a été instauré et l’Afssaps met en garde contre une utilisation du baclofène chez les patients alcoolo- dépendants. »

Plusieurs médecins écrivent ensuite à l’AFSSAPS dont le Pr Granger pour dénoncer la mauvaise foi de l’agence et protester contre cette mise en garde. Selon lui cette mise en garde « avait été établie à la suite d’une réunion « d’experts » parmi lesquels certains avaient des liens d’intérêt avec les firmes commercialisant ou devant commercialiser des produits concurrents. » (104).

Une correspondance prolongée s’ensuit. Les échanges vigoureux entre le Pr Granger et l’AFSSAPS sont publiés sur internet (105), et vont jusqu’à des menaces de poursuites pénales envers le ministère de la Santé et le directeur général de l’AFSSAPS. L’agence est accusée de non-assistance à personne en danger par son inertie, qui constitue une perte de chance pour les patients, et par un trop fort principe

66 de précaution au vu de l’existence de résultats encourageants pour le baclofène et d’un profil de sécurité rassurant y compris à hautes doses.

Le Dr de Beaurepaire explique dans son livre grand public Vérités et mensonges sur le baclofène la réticence des autorités médicales par notamment l’existence d’intérêts économiques qui seraient menacés face à ce traitement peu couteux et générique (106).

Les médias se font de nouveau le relais de cette « affaire baclofène » (Paris Match (107)).

Le 24 avril 2012 l’AFSSAPS devenue l’ANSM émet un nouveau point d’information sur l’utilisation du baclofène dans l’alcoolo-dépendance et reconnait l’efficacité du baclofène chez certains patients (108). L’Agence maintient cependant la nécessité d’un essai clinique à grande échelle et autorise le lancement d’un essai clinique contrôlé chez des patients présentant une consommation d’alcool à haut risque qui seront suivis pendant au minimum un an. Le ministère permet de financer un Programme Hospitalier de Recherche Clinique qui permettra la réalisation des essais cliniques.

3.1.3.7 L’attente d’une Recommandation Temporaire d’Utilisation

L’annonce d’une RTU à venir concernant le baclofène, sans restriction de prescripteurs, est faite le 3 juin 2013 par le Pr Maraninchi, alors directeur de l’ANSM.

Cependant l’attente est longue, de nombreux médecins soutenus par les associations de patients publient une tribune soulignant l’urgence d’autoriser ce traitement efficace ; « pendant ce temps-là, les patients peuvent mourir »(109). Ils soulignent les milliers de témoignages favorables concernant ce traitement. Selon l’enquête de l’association BACLOFENE ayant recueilli 1085 témoignages (110) : 86% des 477 patients ayant terminé le traitement le considèrent comme un succès c’est- à-dire déclarent avoir une consommation d’alcool désormais dans les recommandations de l’OMS.

Après plus de 8 mois d’attente, la RTU concernant le baclofène sera finalement effective le 14 mars 2014. Le remboursement du baclofène dans cette indication ne sera annoncé qu’au mois de juin 2014.

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3.2 LES RAISONS D’UNE RECOMMANDATION TEMPORAIRE D’UTILISATION DANS

LE CAS DU BACLOFENE

Dans l’attente des résultats des études en cours, l’ANSM a instruit et élaboré une RTU (108) afin de sécuriser et d’encadrer la prescription hors AMM du baclofène tout en recueillant des données supplémentaires d’efficacité et de sécurité, dans un contexte de besoin thérapeutique dans le traitement des troubles de l’usage de l’alcool et d’un rapport bénéfice-risque présumé favorable dans cette indication.