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L’hétérogénéité des logiques de production: la dichotomie secteur formel / informel

INTERNE AUX ORGANISATIONS: LES APPROCHES CENTRÉES

2.1 L’hétérogénéité des logiques de production: la dichotomie secteur formel / informel

Le concept de secteur informel a focalisé, depuis le début des années soixante-dix, l'essentiel des débats sur les formes d’organisation des échanges dans les économies africaines13. D’une approche statique et statistique de la notion d’unité de production informelle, les recherches ont évolué vers une approche dynamique qui privilégie les comportements et les logiques d’acteurs.

2.1.1 les approches statistiques du secteur informel

L’intérêt des économistes pour la notion de secteur informel naît de la prise de conscience, au début des années 1970, qu’un nombre important d’activités économiques échappent aux techniques classiques de recensement. Les premières recherches, initiées par le Bureau International du Travail (BIT), ont pour objectif d’évaluer les potentialités du secteur informel en termes de création d’emplois et d’accroissement des revenus. D’un point de vue théorique, elles cherchent à se démarquer des approches dualistes14 qui appréhendent le secteur traditionnel d’un point de vue négatif, en s'attachant à étudier les règles spécifiques de fonctionnement des activités informelles. Dans cette perspective, l’entreprise est prise comme unité d’observation et les modes d’organisation et de gestion comme objet d’étude.

13 Le terme de secteur informel a été créé au début des années soixante-dix à l’occasion du Programme mondial de l’emploi lancé par le Bureau International du Travail (BIT). Utilisé pour la première fois par Keith Hart (1973) dans une étude sur le Ghana, le terme a été popularisé par un rapport du BIT sur le Kenya (International Labour Office., 1972).

14 Les analyses dualistes, telle que celle de Lewis (1954) considèrent que le secteur de subsistance a un rôle passif de fournisseur de main-d’œuvre au secteur capitaliste à un taux de salaires déterminé par le revenu de subsistance.

Les hypothèses qui sous-tendent l’élaboration des enquêtes s’inspirent directement de la théorie des marchés imparfaits. L’économie informelle serait une illustration de l’économie de marché, mais segmentée, c’est-à-dire non directement reliée au marché moderne:

- en premier lieu, il est "admis que les petites entreprises sont exposées à diverses imperfections du marché qui leur sont préjudiciables, [que] le rapport entre le prix du travail et celui du capital est tel qu’il favorise l’adoption de techniques à forte densité de main-d’œuvre [et que] la main-main-d’œuvre y est beaucoup moins productive que celle des grandes entreprises formelles@ (Sethuraman ,1976, p.87).

- en outre, on suppose que les rémunérations dans le secteur informel sont régies par la concurrence et s’établissent à un niveau d’équilibre très inférieur au salaire moyen pratiqué dans le secteur formel où s’applique une législation du salaire minimum (Charmes, 1987). - enfin, la facilité d’entrée dans le secteur informel ferait de celui-ci le débouché de l’exode rural et de la pluri-activité des salariés.

Les critères utilisés par le BIT pour délimiter la population soumise à enquête reflètent directement ces hypothèses de départ. Une subdivision du secteur informel en deux sous-secteurs est décidée arbitrairement: un secteur "marginal@, constitué d’activités individuelles pratiquées irrégulièrement ou frauduleusement, et un secteur "moderne@, composé d’activités économiques supposant un certain degré d’organisation et produisant des biens et des services parallèles à ceux du secteur formel (Nihan, 1982). Les activités du secteur informel moderne sont supposées détenir un potentiel d’accumulation qui leur permettrait d’évoluer vers le secteur formel, et sont donc les cibles privilégiées des enquêtes, qui excluent généralement le secteur "marginal@.

Les résultats des enquêtes menées par le BIT (1980) dans un nombre important de pays africains sont beaucoup plus contrastés et ne permettent de conclure ni à une spécificité structurelle du secteur informel, ni à une possible continuité des deux secteurs (Nihan, 1980). Si l'organisation des unités informelles se caractérise effectivement par un rapport capital/travail marqué par la prépondérance de l'apprentissage et des techniques intensives en main-d’œuvre, par un mode de financement familial et par des règles de gestion

"traditionnelles", telles que l'absence de comptabilité, la rémunération des facteurs ne traduit pas pour autant un fonctionnement concurrentiel. D’une part, les revenus du secteur informel s’établissent à un niveau relativement élevé, proche du salaire minimum du secteur moderne, d’autre part, on note un effet de seuil dans la croissance de la productivité du travail avec l'investissement semblant indiquer une faible capacité des entreprises informelles à évoluer de manière interne vers des entreprises modernes (Hugon, 1980).

Malgré ces résultats nuancés, les institutions internationales montrent un regain d'intérêt pour la micro entreprise informelle au moment où la crise économique et financière des années 1980 oriente les pays africains vers des politiques de désengagement de l'Etat. Pour la Banque Mondiale (1981), le commerce privé s'appuierait sur une technologie plus appropriée, moins intensive en capital et plus souple que celle utilisée par le secteur public. En outre, leur capacité d'adaptation aux fluctuations du marché permettrait un approvisionnement des centres urbains à un coût moindre.

Devant l'hétérogénéité des résultats obtenus par l'approche purement structurelle, l’intérêt pour le secteur informel a progressivement évolué vers des approches centrées davantage sur l’incertitude et faisant appel au corpus théorique de l’Economie industrielle. Le thème de la flexibilité est ainsi apparu comme pertinent pour rendre compte de la logique propre aux unités de production relevant du secteur informel ou de celle des petites entreprises.

2.1.2 les approches de l’unité de production informelle en terme de flexibilité

L’objectif de ces travaux est proche de celui des économistes du BIT: il s’agit de caractériser la fonction de production et les comportements propres aux unités de production du secteur informel. Mais, à la différence des approches précédentes, on cherche à donner une cohérence aux différents éléments issus de l’observation des unités de production informelles, permettant de rendre compte de leur fonctionnement par un concept unique. La notion de flexibilité, développée par les théoriciens de l’Economie industrielle, est particulièrement mobilisée.

Le concept de flexibilité est le principal support d’une analyse suscitée par l’émergence, dans les années 1980 en Europe, d’un "nouveau modèle d’entreprise@ fondé sur des "systèmes de production flexibles@, caractéristiques d’entreprises de faible taille, et que les travaux distinguent radicalement du système de production de masse dominant (Piore et Sabel, 1989). Dans la typologie des systèmes de production flexibles construite par Cohendet et Llerena (1990) en fonction de la nature de l’information provenant de l’environnement, le nouveau modèle d’entreprise, fondé sur une "flexibilité dynamique@, correspond à une forme d’adaptation à un marché régi par l’incertitude. Il concerne des formes de production caractérisées par une forte aptitude à passer rapidement d’une configuration du produit et/ou du processus de production à une autre. Il est opposé, dans la typologie, à deux formes de flexibilité:

- la flexibilité dite de "variété@, ou "flexibilité statique sur les qualités@, adaptée à une demande variée, qui concerne la capacité de l’entreprise à ajuster dans les plus courts délais les quantités produites à la hausse ou à la baisse sans compromettre fortement le niveau de productivité;

- la "flexibilité statique sur les quantités@ correspondant à un marché où la concurrence joue sur le prix, et la flexibilité du système de production ne concerne que les quantités produites.

Les travaux sur les "systèmes de production flexibles@ soulignent l’importance, au niveau de l’entreprise, d’une part, d’équipements ou de main-d’œuvre capables d’être déployés rapidement pour des tâches très variées, d’un degré de différenciation du produit élevé permettant d’occuper des niches du marché et du raccourcissement de la filière de production, au niveau global, d’autre part, d’une division du travail poussée et de l’insertion des entreprises dans un réseau de sous-traitance généralisée. En outre, les travaux insistent sur le rôle de la proximité entre les entreprises et avec les services spécialisés, pour faciliter les interactions et la communication propices au changement technique. L’importance de ce facteur de proximité a conduit à rapprocher le concept de production flexible et celui de district industriel (Pyke et al., 1990).

flexibilités, adaptées à des environnements et impliquant des modes d’organisation différents. La capacité de l’entreprise à s’adapter aux évolutions de son environnement devient l’enjeu central de performance de l’entreprise et structure son organisation.

2.1.2.2 l’unité informelle: un modèle de flexibilité?

L’expérience des systèmes de production flexibles, qui concernent essentiellement des petites entreprises, ont conduit un certain nombre d’économistes à s’interroger sur l’adaptabilité de ce modèle aux économies en développement (Helmsing, 1991; Schmitz et Musyck, 1993). Elle est également à l’origine de l’intérêt croissant des économistes du secteur informel pour la notion de flexibilité. Un certain nombre de travaux cherchent ainsi à évaluer dans quelle mesure les caractéristiques des unités informelles traduisent des formes spécifiques d’adaptation aux fluctuations de l’environnement (Rey, 1991a).

Les travaux ont pour point commun de caractériser les unités informelles par l’importance des fluctuations auxquelles elles doivent faire face (Lachaud, 1985; Servet, 1990). Les spécificités des unités informelles en terme de mode de production et de rapport capital/travail sont ensuite interprétées, non pas comme le résultat de barrières à l'entrée comme dans les analyses statistiques, mais comme une stratégie volontaire de réduction des risques (Evers et Mehmet, 1994). Le caractère familial de la main-d’œuvre permet, par sa divisibilité, une parfaite adaptation aux fluctuations de l’activité (Pourcet, 1993); la pratique de la production à la demande autorise un éventail de prix et de qualités répondant à une demande personnalisée et apte à réduire les délais de réaction; la pluriactivité dynamique (qualifiée de "pluriactivité séquentielle@), définie comme la succession d’activités différentes, ou la diversification "d’opportunisme@, définie comme l’adjonction conjoncturelle d’une activité à une activité existante, permettent également de réduire les risques, de même que la multiplication des établissements relevant d’une même unité de décision, dans la mesure où elle autorise les transferts financiers entre les différents établissements (Rey, 1992).

L'intérêt de cette approche est qu'elle appréhende le secteur informel comme une forme spécifique de régulation des déséquilibres, distincte à la fois de la régulation marchande et du

mode de régulation des échanges dans le secteur formel (Rey, 1991a). Il apparaît ainsi que la formation des prix dans les échanges informels résulte, non pas de la rareté des produits, mais d’une négociation propre à chaque transaction, qui tient compte de la nature des contractants et de leurs besoins de financement. Ainsi, alors que "traditionnellement l’équilibre par le marché s’établit a posteriori, la production à la demande qui est une des caractéristiques du secteur informel conduit à une fixation des prix ex ante et discontinue par rapport au marché pris dans son ensemble@ (Rey, 1991a, p.14).

A l’instar des analyses de type structurel, les analyses en terme de flexibilité rencontrent des difficultés pour définir des lois de fonctionnement spécifiques aux activités qui relèvent du secteur informel (Rey, 1991b). Selon Ph. Hugon (1980), ces difficultés tiennent en partie à ce que les activités sont étudiées indépendamment de leur environnement économique et de la stratification sociale. On peut remarquer par ailleurs que les hypothèses ne sont quasiment jamais testées sur l’ensemble des unités de production constituant un secteur économique, mais sur une population qui est définie ex ante comme relevant du secteur informel. Comme le souligne J. Charmes (1987), cette méthode présente le risque d’aboutir à des résultats tautologiques. Enfin, la distinction entre deux "secteurs@, informel et formel, ne permet pas de rendre compte de l’imbrication des logiques formelles et informelles au sein d’entreprises qui combinent des éléments de l’organisation informelle et des éléments de l’organisation formelle15, ni des relations entre secteurs. Or, cette configuration est probablement essentielle pour comprendre la dynamique des unités (Penouil, 1990).

Une réponse partielle aux insuffisances constatées par Ph. Hugon peut être trouvée dans les travaux des anthropologues, et en particulier dans ceux qui relèvent de l’anthropologie économique. Les activités économiques à petite échelle, la petite entreprise, le réseau commerçant constituent en effet de longue date des objets de recherche pour l’anthropologie économique, qui les étudie généralement en relation avec les groupes sociaux dans lesquels ils s’insèrent.

15 Les enquêtes du BIT sur le secteur informel excluent par exemple explicitement les opérations qui "fonctionnent dans une structure moderne bien que leur gestion soit encore informelle@ (Nihan, 1980, p.267).