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L E GROTESQUE À L ’ ŒUVRE : ORPHÉON ET CONTORSIONS

95 C’est désormais mieux armés sur le plan conceptuel que nous abordons Grand-mère Quéquette et Demain je meurs. Dans la mesure où la prose permet un foisonnement et une démesure que la forme versifiée limite nécessairement, le grotesque s’y développe sans doute de manière plus libre et plus variée que dans les recueils de poèmes. C’est pourquoi nous pouvons espérer une fécondation réciproque de la catégorie esthétique et de l’analyse de ces deux œuvres singulières. À travers cette étude, il ne s’agira bien évidemment pas de démontrer que dans ces romans « le grotesque est partout » (comme disait Hugo), mais de montrer en quoi, par l’emploi qu’en fait Prigent, c’est un phénomène littérairement intéressant en soi et dans le contexte littéraire actuel (liquidation, réévaluation, réaffirmation du modernisme). Autant qu’à une description, c’est ainsi à une compréhension du phénomène que l’on souhaite aboutir : il faudra tenter de déterminer ce qui, dans la perspective moderniste dont on a indiqué les grandes lignes, motive le recours au grotesque.

Laissant pour le moment de côté la question du traitement du donné biographique, l’attention se portera dans un premier temps sur les rapports de l’écriture de Prigent avec les autres voix qui la traversent, sur ce « dialogisme » parodique qui constitue l’œuvre en orphéon cacophonique. Puis on observera les contorsions déconcertantes de cette prose énergumène dans laquelle Prigent semble bien réaliser l’espèce de « programme » destructeur impliqué dans le principe grotesque : l’écrivain en effet défigure (beaucoup) le beau langage, démonte joyeusement la machine romanesque, rassemble les forces qui résistent au récit.

97

1.

« ELLES BRAILLENT DANS TA VOIX, LES

CRIARDES »

391

Dans les deux romans qui nous intéressent, l’ écriture montre constamment qu’elle s’élabore à partir d’éléments symboliques préexistants392, autrement dit que son sujet « n’est pas la vie nue, la pure substance de l’expérience, un monde indemne de langage », mais « la vie en tant que toujours-déjà, et de part en part, symbolisée. C’est-à-dire parlée par des récits, composée par des images, pensée par des savoirs ».393 Récusant l’illusion d’un rapport immédiat à la réalité extérieure ou à l’intériorité de l’écrivain, cette écriture à distance « dispos[e] l’écart »394, c’est-à-dire à la fois manifeste et épaissit le mur de langue.

L’absorption et le recyclage des éléments symboliques disponibles est depuis toujours chez Prigent un aspect essentiel du travail d’écriture, conçu comme une pratique artisanale : « Il s’agit d’une fabrique. On travaille une matière première : on l’usine, on la transforme. Il n’y a pas d’ « invention » ailleurs que dans cette transformation ».395

Ayant d’abord fourbi ses armes par le pastiche, l’auteur de Power/Powder396, explique Prigent, ne faisait même que cela : il « n’inventait rien mais transformait tout » 397, découpant, remontant, détournant par le calembour une masse d’écrits politiques et journalistiques. Bien qu’il prenne souvent des allures de bouffonnerie, le recyclage symbolique n’en est pas moins porteur d’une conception lucide de notre rapport au monde, dans la mesure où il en expose la médiatisation. Pour une sensibilité particulièrement nourrie d’influences picturales et littéraires398

, une représentation adéquate de l’expérience suppose l’accueil de ces influences formatrices. C’est là une constatation banale. La plupart des poètes ont ressenti cette présence étrangère. Aussi, pour énoncer à son tour ce lieu commun, Prigent emprunte-t-il leurs mots : c’est la voix de Michaux qui résonne dans la sienne (« Une Voix : abrah ! abrah ! abracadabra ! […] À bas qui effraie, sonne, odore, roussit, gorge, incarne, brame ou tonne ! Et tu ne sais pas de qui est la voix car

391

DJM, 139.

392 Ces supports peuvent être de nature linguistique (textes, langues, discours), mais aussi iconique (tableaux,

photographies, chromos, couvercles de boîtes de fromage), filmique, etc.

393

Ch. Prigent, Christian Prigent, quatre temps, op. cit., p. 153.

394

Ch. Prigent, Le Sens du toucher, op. cit., p. 22.

395 Ch. Prigent, Christian Prigent, quatre temps, op. cit., p. 153. 396 Ch. Prigent, Power/powder, Paris, Christian Bourgois, 1977. 397

Ch. Prigent, Christian Prigent, quatre temps, op. cit., p. 127.

398 « Mon rapport sensuel et intellectuel au monde doit énormément à ce qu’en a formé et colorié la découverte de

98 on n’est pas seul dans son estomac » 399

, DJM, 23), ou celle de Baudelaire (« Elles braillent dans ta voix, les criardes. Elles instillent poison dans ton sang. Elles sont la plaie et le couteau, la joue et le soufflet. […] Et tu te vois toi en moche au miroir où ces mégères te regardent. », DJM, 139). Si le jeu des références se fait le plus souvent parodique, c’est parce que le tissu symbolique qui médiatise notre rapport au monde est éprouvé comme inadéquat et faux. Cette écriture se veut donc corrosive : c’est une consommation de « blocs de significations » en vue de leur consumation.400

La définition de cette forme particulière de réécriture qu’est la parodie est assez fluctuante : la notion est définie tantôt de manière large (Bakhtine, Hutcheon), tantôt de manière restreinte, strictement textuelle (Genette). Le flou tient à la diversité des objets susceptibles de devenir des cibles de la parodie401 mais aussi à l’ambiguïté de la relation parodique, entre « hommage et profanation ». La littérature parodique entretient en effet un rapport ambivalent avec la culture, puisqu’elle est à la fois conservation (reconduction) du modèle et déformation critique. D’autres questions restent par ailleurs en suspens, comme la nécessité de la présence de l’élément comique (Genette conçoit une parodie sérieuse), le seuil de densité intertextuelle à partir duquel on peut parler de parodie, ou encore la définition de la

parodie comme pratique emblématique du postmodernisme.402 D. Sangsue n’échappe pas aux

hésitations, puisqu’après avoir défini la parodie comme « la transformation comique, ludique ou satirique d’un texte singulier », il ajoute qu’il « ne s’en tient pas toujours à cette définition » mais envisage parfois la parodie « dans une acception plus large, qui englobe le pastiche, de même que la parodie de genres ».403 Pour éviter ces incohérences, nous définirons plutôt la parodie comme « la transformation ou l’imitation comique, ludique ou satirique d’un objet verbal ». Nous verrons en effet que le dialogisme parodique chez Prigent ne consiste pas seulement en jeux intertextuels, mais se décline encore en une traversée des langues et des discours ainsi qu’en l’exploitation ironique des clichés. Car pour l’écrivain, toute pratique linguistique, dès lors qu’elle est codifiée par des règles ou que ses traits se figent donne prise à la parodie.404

399

On reconnaît les interjections du « Grand combat » et la formule « on n’est pas seul dans sa peau ».

400 La « loi » de l’écrit étant qu’il n’y a pas de consumation possible sans cette consommation : « l’écrit doit

relever ce défi d’avoir à consommer des images pour nourrir ce qui s’efforce précisément, parce que lancé dans des portées rythmiques et sonores, de consumer des images. », Ch. Prigent, Le Sens du toucher, op. cit., p. 20.

401

Ce peut être aussi bien un texte, une œuvre, un style, un genre, une esthétique, etc.

402 D. Sangsue fait très clairement le point sur ces questions dans La Relation parodique, Paris, José Corti, 2007. 403 D. Sangsue, La Relation parodique, op. cit., p. 14.

404

La parodie telle que la pratique Prigent doit ainsi beaucoup aux théories de Bakhtine, qui étend la notion de parodisation aux divers langages de la société et aux discours (idéologiques, pathétiques, sérieux). Cf. M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit.

99

1.1.P

LUMES D

AUTRUI

1.1.1. Contrastes et hybridations

Telle que nous l’avons définie, la parodie recouvre (entre autres) les « pratiques hypertextuelles » comiques (ludiques ou satiriques) identifiées par Genette405, mais chez Prigent elle prend aussi souvent une forme plus diffuse406 et donc moins aisément repérable. Si, dans nos romans, certaines réécritures sont signalées par des indices (dans le corps du texte ou le péritexte), nous ne sommes pas toujours, loin s’en faut, sur le « versant ensoleillé »407

de l’intertextualité, et le substrat intertextuel est souvent singulièrement composite et stratifié.408

Cependant, l’expérience de la lecture des romans de Prigent démontre que ces textes saturés de références valent aussi par eux-mêmes (par leurs formes et leurs effets intrinsèques), c’est-à- dire que la perception du jeu parodique de similitudes et d’écarts par rapport à un hypotexte doit être envisagée davantage comme un surcroît de plaisir pour le lecteur que comme la condition sine qua non d’une « bonne » réception.

Quoi qu’il en soit, dans les cas de réécriture massive et incontestable, Prigent exploite toute la gamme des procédés parodiques (parfois conjugués de façon complexe) sur lesquels reposent les « genres officiellement hypertextuels » que sont, selon la terminologie genettienne, le pastiche satirique (imitation caricaturale du style par exagération et grossissement de ses traits caractéristiques), le travestissement burlesque (dégradation du modèle par transposition en style bas, trivial ou puéril), la « parodie stricte » (déformation minimale de la lettre du texte détournée par son application à un sujet vulgaire, ou simple transformation ludique de la lettre du texte) et le pastiche héroï-comique (traitement en style élevé d’un sujet vulgaire).409

De cette classification, il ressort que la transformation parodique

405 G. Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 16. Genette définit l’hypertextualité (par opposition à la métatextualité ou

« relation critique ») comme « toute relation unissant un texte B [...] à un texte antérieur A [...] sur lequel il se greffe d’une manière qui n’est pas celle du commentaire », Palimpsestes, op. cit., pp. 11-12.

406

D. Sangsue rappelle que S. Murhpy « a introduit la notion de parodique (le parodique) pour désigner des phénomènes plus diffus que la stricte hypertextualité de la parodie, et qui peuvent aller […] jusqu’à l’intertextualité d’un ou deux mots seulement. », La Relation parodique, op. cit., p. 15.

407 Genette déclare qu’il se cantonnera au « versant le plus ensoleillé » de l’hypertextualité c’est-à-dire aux cas de

réécriture massive, déclarée, incontestable. Cf. Palimpsestes, op. cit., p. 16.

408 Cette difficulté est soulignée par H. Marchal, qui remarque que Prigent « écrit peut-être moins en français

qu’en littérature française », allant jusqu’à supposer que « le jeu des allusions est si dense que la majeure partie des auteurs retenus par l’histoire littéraire sont probablement convoqués», H. Marchal, « Le coup de canon : Christian Prigent lecteur des anciens », Histoires littéraires, n° 27, juillet-septembre 2006.

409 « Le travestissement burlesque, précise Genette, modifie donc le style sans modifier le sujet ; inversement, la

« parodie » modifie le sujet sans modifier le style, [...] soit en conservant le texte noble pour l’appliquer, le plus littéralement possible, à un sujet vulgaire (réel et d’actualité) : c’est la parodie stricte […] ; soit en forgeant par voie d’imitation stylistique un nouveau texte noble pour l’appliquer à un sujet vulgaire : c’est le pastiche héroï- comique », G. Genette, Palimpsestes, op. cit., pp. 29-30.

100 peut concerner aussi bien les thèmes et le sens que la lettre même du texte. En outre, l’arsenal des procédures dont elle dispose est en réalité plus riche que ce que les définitions générales n’en disent : on peut mentionner par exemple « l’adjonction ou la suppression, le grossissement ou le rétrécissement, l’inversion, le déplacement, la schématisation et le

dédoublement, la condensation et la fragmentation »410 ou encore la

« transcontextualisation ».411 Plus que sur le détail de leur mise en œuvre, Prigent insiste sur le principe de ces procédures : il s’agit de produire la réanimation et la mise en mouvement des textes, de bousculer leur matière dans une intense circulation, de sorte « que les mots sortent à volonté des mots, qu’un texte soit la ressource de cent autres textes ».412

Ce qui frappe tout d’abord dans les proses de Prigent, c’est l’extrême diversité de la nature des textes convoqués, du fait de l’absence de restriction concernant l’époque et le « niveau » (culturel, intellectuel, esthétique) des matériaux susceptibles de venir nourrir l’écriture. « Les proses sont des éponges capables d’absorber une masse d’informations disparates »413 et n’importe quel autre texte : Pline et le « Cantique des cantiques »414 aussi bien que « Perrine la servante » ou « Bonjour ma cousine ».415 Cette écriture parodique puise à toutes les sources : mythologie, légendes, religion, littérature (aussi bien les « classiques » que les auteurs dits « mineurs »), presse, ouvrages « savants » et culture « populaire ». Les références populaires sont elles-mêmes de natures variées, puisqu’il peut s’agir aussi bien de contes416, de comptines417 et de chansons418 que de slogans publicitaires. 419 D’une façon générale, le mélange du populaire et du savant, de l’enfantin et de l’érudit participe d’une esthétique de l’hétérogène et de l’hybridation, mais il dessine aussi un autoportrait culturel420

: il est le reflet d’un univers intellectuel singulier, marqué par l’influence de deux bibliothèques : celle de la mère, fréquentée enfant (la comtesse de Ségur, Jules Verne, Jack London, Fenimore Cooper, les feuilletons populaires et les bandes dessinées du début du XXe

410

D. Grojnowski, H. Scepi, présentation des Moralités légendaires de J. Laforgue, Paris, Flammarion, 2000, p. 42.

411 La transcontextualisation et l’inversion sont pour L. Hutcheon les deux opérations fondamentales de la

parodie. Cf. D. Sangsue, La Relation parodique, op. cit., p. 82.

412 Ch. Prigent, Christian Prigent, quatre temps, op. cit., p.144. 413

Ibidem, p. 182.

414 « Quitte le tétrachrome melinum + sil, avec sinopis et atramentum vus du temps d’Apelle » (DJM, 329) ; « le

goût de miel des lèvres de Marie » (DJM, 238).

415 DJM, 339 ; GMQ, 213. 416

« èye hooo ! èye hooo ! Grand-mère va au boulot. Blanche-Neige, c’est bibi […] J’aimerais mieux en Cendrillon, courant vadrouille loin en citrouille. Ou Belle au Bois dans l’aquarium, sans godeluron pour sonner matines. Ou si mini Poucet qu’invisible à l’ogre. » (GMQ, 52-53).

417

« Papa est en bas : il touille Ricoré, il cajole son bol entre ses deux mains paternellement […] Maman est en haut à fourbir programmes d’emploi de ton temps » (GMQ, 20).

418 Prigent cite par exemple intégralement le refrain de « Papa n’a pas voulu » de Jean Nohain (DJM, 311). 419 En particulier dans le chapitre de Grand-mère Quéquette intitulé « la caravane passe » (la caravane

publicitaire du Tour de France). Cf. GMQ, 217-223.

420Dans Demain je meurs, ce mélange des cultures offre aussi une image textuelle de l’histoire du père (du grand

101

siècle), et celle du père, découverte plus tard (bibliothèque gréco-latine, écrits politiques et

«grands classiques »).421

Si le caractère disparate des références produit déjà en lui-même du comique, cet effet est souvent accentué par un savant enchevêtrement d’hypotextes hétéroclites. Ces rapprochements et hybridations incongrus produisent des « monstres » littéraires, comme ce passage de l’entrée en scène de Mona où Prigent articule malicieusement trois distorsions parodiques (La Fontaine, A. Le Braz et la Bible) :

[…] et que vole Oiselle, et que son plumage avive ramages mais sans dérapage en marge de vie sédentarisée. Et que feuille tremblote quand elle sifflote. Et même si son père c’est, vu le poil feu et la braise à l’œil et le court-vêtu sur les avantages422

, plutôt Satan ou Lucifer que Celui qui mit en incubation le petit Jésus dans Vierge Marie, qu’elle danse, la Serpente, et qu’on voie ses pommes de perdition. (GMQ, 112)

Ces compilations intertextuelles peuvent avoir un principe thématique, comme dans le chapitre de Demain je meurs où la réécriture recense les cas d’anthropophagie traités en littérature (chez Dante, Kleist, Robert de Boron, Swift, etc.)423, ou dans cet art poétique parodique où l’on passe sans transition de Du Bellay à Boileau puis Rabelais :

Tout concitoyen […] ne vomira plus de fond d’estomac paroles de boue comme les ivrognes, ni ne les étranglera de gorge comme grenouilles, ni ne les découpera au palais comme piafs, ni ne les sifflera des lèvres comme serpents mais fera patois en grandeur de style, mots magnificents, sentences gravées, audace et variété des figures et autres lumières – en bref : énergie et cet esprit que les vieux Latins, m’a dit mon papa, nommaient genius et c’est bonne mesure pour goûter d’oreilles. Et lettres aux amis, requête aux impôts, odes et virelais pour la bonne amie, […] il les remettra sans cesse au métier, souventes fois les limera et à la manière des ours, à force de lécher, leur donnera forme en façon de membres avec le limpide et bonne grammaire et les élégances. (GMQ, 164)

Il arrive parfois que les hypotextes se superposent : la première partie du parcours du narrateur dans Demain je meurs (le trajet à vélo jusqu’à l’hôpital) parodie ainsi le récit de la Passion, avec en sus en filigrane la parodie jarryque du même épisode biblique (« La Passion considérée comme course de côte »)424 : « Au bout de la côte qui fait les mollets, c’est Croix- du-Calvaire. Notez, ça nourrit l’idée : addenda de Golgotha. » (DJM, 16)

421

Cf. Ne me faites pas dire ce que je n’écris pas, op. cit., p. 47.

422

« La Charlézenn si fort sifflait / Que le chêne feuillu s’effeuillait» ; « On la croirait fille de Dieu / N’était son poil couleur de feu» ; « sa jupe en loques tombant à peine jusqu’à son jarret, découvrant sa jambe longue », A. Le Braz, La Charlézenn, Vieilles histoires du Pays breton, Rennes, Terre de Brume, 1999, pp. 36, 28.

423

Recensement à la manière des démonstrations d’érudition parodique chez Rabelais (cf. DJM, 218-219).

424 Le texte de Jarry constitue ici ce que D. Sangsue appelle un « hypotexte-relais », La Relation parodique, op. cit., p. 251.

102

1.1.2. Parodia sacra et carnaval des classiques

Les nombreuses références à Jarry disséminées dans les romans de Prigent attirent l’attention sur les aspects « potachiques » de cette écriture. Le dialogue avec la bibliothèque s’établit principalement sur le mode de la parodie burlesque, ou plus exactement de la carnavalisation425, c’est à dire de la déformation –plutôt que « dégradation », qui suggère une piètre qualité du résultat- triviale, et parfois obscène de textes sérieux, de citations célèbres426 ou de grandes figures de la littérature. Opérant le rabaissement systématique du spirituel au matériel et du métaphorique au littéral, la parodie chez Prigent se présente souvent comme une lecture idiote et désinvolte de textes prestigieux, où la mise entre parenthèses de l’intelligence et du savoir historique permet d’exploiter les pouvoirs comiques de l’anachronisme. Un bel exemple de ces lectures idiotes est la leçon que l’enfant retire du texte accompagnant la « frise – pas gaie ! –» des « squelette[s] en gavotte d’os »427

:

En bref, tous au tombeau : c’est le sens du propos.

Prélat, grand capitaine aussi bien que manant. Même le pape, toi, moi, papa et maman, Pareil pour Pif le chien et pour Jacques Duclos. (DJM, 134)

La parodie potachique produit du comique par le contraste établi entre l’hypotexte prestigieux ou érudit et la langue triviale de l’hypertexte. Plus le modèle est consacré, plus le contraste sera important et l’effet saisissant. C’est ainsi que la « Chanson d’Aimé (enfant) » traduit du Lamartine en version comptine : « Ah, pouce ! / Pédale douce, / Vitesse du temps ! / Attends ! » (DJM, 102). Autre grand texte faisant l’objet d’une relecture carnavalesque : la Bible. Comme tous les textes fondateurs de notre culture, elle constitue en effet pour la parodie une cible privilégiée. 428 Dans Grand-mère Quéquette, on note par exemple, outre l’intitulé des sept parties qui reprend les heures liturgiques, l’extraction de la mère hors de la 2

425 Dans la mesure où le burlesque correspond à un genre et à des procédés bien spécifiques, on préfèrera parler

de façon générale de carnavalisation. Le burlesque, dans son emploi spécialisé (genre poétique développé en France aux environs de 1640-1660), est défini dans le TLF comme « parodie généralement en vers dont le propos était de travestir de manière comique […] une œuvre de style noble, en prêtant aux héros des actions et des propos vulgaires et bas ».

426 La déformation peut être un calembour intertextuel, comme dans cette sentence : « l’à venir de l’homme, c’est

toujours l’infâme. » (GMQ, 29).

427 Prigent déplace la danse macabre d’une chapelle de Plouha dans celle de Plougrescant. Le mort dit au

connétable : « C’est de mon droit que vous mainne / À la dance gens connétable / Les plus forts comme

Charlemainne / Mort prant c’est chose véritable / Rien n’y vault chère espuantable / Ne force armure en Cette

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