• Aucun résultat trouvé

L’extension de la primauté du criminel sur le civil en droit de la presse

Dans le document Droit de critique et droit pénal (Page 83-86)

Section 1 : La consécration d’un « système clos »

B. L’extension de la primauté du criminel sur le civil en droit de la presse

La Cour de cassation a d’abord fait le choix d’évincer l’article 1382 du Code civil comme fondement d’une action en responsabilité, lorsque des faits incriminés par la loi du 29 juillet 1881 étaient constatés (1). Quelques années plus tard, elle prend la décision de retirer la faute civile pour tous les cas d’abus de la liberté d’expression (2).

272

VINEY G., Introduction à la responsabilité, LGDJ, 2e éd., 1995, n° 152, p. 262 273

Pour un aperçu de l’évolution de la loi, voir : Y. MAYAUD, La loi Fauchon du 10 juillet 2000 après plus de cinq ans

d’application…, AJ pénal 2006, p. 146 274

« L’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à

l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1383 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie ».

V. sur ce point : BONFILS Ph., Consécration de la dualité des fautes civile et non intentionnelles, Recueil Dalloz 2004 p. 721

275

En ce sens, voir : MAYAUD Y., Retour sur la culpabilité non intentionnelle en droit pénal… (à propos de la loi du 10

84

1. Le repli de la faute civile

Prolifération de la faute civile - En matière de presse, l’article 1382 du Code civil, en vertu

duquel « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer», pouvait à l’origine, être applicable à l’action de la victime exercée au civil. Face à une procédure rigoureuse et une liste limitatives d’infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881, les échecs de la répression pénale se sont multipliés. Les victimes se sont alors tournées vers le droit commun de la responsabilité civile pour obtenir réparation de leur dommage. C’est donc de façon parcellaire que s’est appliquée la loi de 1881 tandis que la faute de l’organe de presse ou du journaliste était souvent prouvée276. A la fin des années soixante, cet afflux de demandes a donné l’impression que la voie pénale était délaissée au profit de la voie civile, notamment du référé277. Le risque que l’article 1382 envahisse le régime spécial de responsabilité du fait de l’expression devenait trop grand et l’adage specialia generalibus derogant semblait être oublié.

Subsidiarité de la faute civile - La Cour de Cassation a finalement opté pour une éviction de la

responsabilité civile en matière d’infractions de presse. Ainsi, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans les arrêts du 12 juillet 2000, pose pour la première fois que « les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. »278 Il s’agissait en l’espèce de deux affaires relatives à la diffusion de propos injurieux dans des articles de journaux contre des personnes décédées. L’Assemblée plénière statue dans les deux cas dans le sens des Cours d’appel, et déclare que l’injure contre la mémoire des morts ayant été retenue279, les demandeurs ne pouvaient se prévaloir de l’article 1382 du Code civil.

Ces arrêts étendent la primauté du criminel sur le civil à la fois dans sa portée et dans son domaine. Dans sa portée, ce principe prend toute sa valeur en ce qu’il écarte purement et simplement l’article 1382 du Code civil. Dans son domaine, la règle est affermie car il n’est désormais plus possible pour les victimes d’utiliser la voie civile pour obtenir des dommages et

276

CA Paris 23 mars 1982 ; CA Rouen 20 avr. 1971, Gaz. Pal. 1971, 2, p. 447 ; TGI Paris 26 avr. 1968, JCP 1969, II, 15841, note A. Chavanne

277

DREYER E., Disparition de la responsabilité civile en matière de presse, Recueil Dalloz 2006 p. 1337 278

Cass. ass. plén. 12 juill. 2000, CCE 2000, n° 108, obs. A. Lepage 279

85 intérêts alors même que les auteurs ne sont pas condamnés au titre de l’une des infractions prévues par la loi de 1881280. La primauté du droit pénal sur le droit commun a été définitivement cristallisée dans un arrêt de la Cour de Cassation qui exclut complètement la responsabilité civile du droit de la presse.

2. Le retrait de la faute civile

Disparition de la faute civile - Dans un arrêt du 27 septembre 2005281, la Cour de cassation franchit encore une nouvelle étape. En l’espèce, un article relatif à la disparition d’une famille paru dans un journal de grande diffusion, ce qui a amené la famille des victimes à agir devant les juridictions civiles. Plusieurs d’entre eux ont ainsi fondé leur demande sur l’article 9 de du Code civil, invoquant une atteinte à leur vie privée, ainsi que sur l’article 1382 du même Code. La Cour d’appel a fait droit à toutes ces demandes mais la Cour de cassation estime que les juges du fond ne pouvaient pas admettre la recevabilité de l’action en indemnisation sur le fondement de l’article 1382. Elle formule alors un attendu selon lequel « les abus de la liberté d’expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. » A ce titre, elle conclut que « même en l’absence de diffamation ou d’atteinte à la vie privée, les abus de la liberté d’expression ne peuvent être poursuivis sur le fondement de ce texte. » La responsabilité civile n’est donc plus écartée uniquement lorsqu’il est question d’abus de la liberté d’expression prévus par la loi de 1881 mais de tous les abus d’expression envers les personnes.

Précisions - On peut se demander que recouvre précisément l’expression « abus de la liberté

d’expression envers les personnes. » La notion de « personne » est relativement large et comprend à al fois les personnes physiques et les personnes morales. Par déduction, il semble que la première chambre civile ait voulu limiter la mise à l’écart de l’article 1382 « aux propos visant ou désignant les personnes par opposition à ceux visant les produits, services ou créations intellectuelles.» Seuls les abus de liberté de critique à l’égard des produits peuvent donc être poursuivis sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, ce que plusieurs arrêts ultérieurs ont

280

JOURDAIN J., Responsabilité civile des dommages résultant d’un délit de presse : exclusion de l’article 1382

même lorsque les auteurs ne sont pas punissables, RTD civ. 2000, p. 845 281

Civ. 1ère, 27 sept. 2005, RTD civ. 2006. 126; Cass. 1ère civ., 27 sept. 2005, n° 03-13.622 : JurisData n° 2005- 029905

86 d’ailleurs confirmé282. Sont ainsi soustraites à cet article toutes les atteintes aux droits de la personnalité, telles que les atteintes à un nom, à la dignité ou alors à la diffamation.

Comme l’a très justement déclaré le professeur Emmanuel Dreyer, « dans cet océan d’impunités, un îlot de responsabilité devrait subsister s’agissant du dénigrement de produits. »283 Le « système clos » évoqué par Jean Carbonnier en 1951 prend alors tout son sens et vient à se concrétiser. L’intrusion de sanctions que peut constituer la mise en jeu de la responsabilité civile sur le fondement de l’article 1382 est désormais exclue. Si cette jurisprudence a eu peu de répercussion par la suite284, il est important de montrer ses limites et de mettre en évidence les méfaits d’une exclusivité pénale. En effet, un tel système clos présente des faiblesses non négligeables qui mettent un terme à l’illusion de l’équilibre et de la mesure.

Dans le document Droit de critique et droit pénal (Page 83-86)