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Un équilibre en matière de presse

Dans le document Droit de critique et droit pénal (Page 52-56)

Section 1: Une répression justifiée

B. Un équilibre en matière de presse

Cet équilibre est sous-jacent au droit de la presse et se manifeste, là encore, par une exigence de prudence et d’objectivité (1) ainsi que par la protection des sources journalistiques (2).

1. Une exigence de prudence et d’objectivité

Obligation de prudence - Il est une constante en matière de critique que celle-ci doit toujours

respecter une obligation de prudence conduisant notamment son auteur à s’assurer de l’exactitude des informations ou des faits relatés.169 En matière de presse, cela se manifeste par une exigence, pour celui d’informer, de « bonne foi ». La jurisprudence a dégagé quatre critères cumulatifs pour qu’elle soit admise : la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, l’existence d’une enquête sérieuse et la prudence dans l’expression.170 La bonne foi implique donc des faits donnant à penser que l’auteur s’est comporté correctement et avec professionnalisme en réalisant

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CEDH, 16 févr. 2010, Akdas c/ Turquie, n° 41056/04, § 27 168

Commission, 12 mars 1983, DR 34, p.158, Obs. Du Pr. Cohen-Jonathan 169

Agissements fautifs, Droit de critique et de satire, Répertoire Dalloz, 2010 170

53 par exemple une « enquête sérieuse, minutieuse, prudente et objective »171 ou encore en écrivant des articles « modérés et prudents »172. Le journaliste doit donc s’assurer faire preuve, d’une façon générale, de modération dans sa présentation des informations. Il ne saurait déformer ses informations pour former implicitement sa critique ou pour lui donner davantage de poids. La Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion de préciser « si un journaliste peut, dans la retranscription des propos recueillis, commettre des erreurs que les guillemets n’ont pas pour vertus d’effacer, l’usage de ce procédé typographique traduit, tout au moins de la part du journaliste, la volonté d’affirmer à ses lecteurs que les propos recueillis ont bien été tenus par la personne entretenue dans la forme où ils ont été rapportés. »173 Il convient néanmoins de préciser que l’appréciation des guillemets reste à la libre appréciation des juges et dépend de chaque cas d’espèce. La Cour de cassation a, par exemple, conclu dans un arrêt de 1983 que l’usage des guillemets créait un doute préjudiciable à la personne concernée174. Ce qui ne fait nul doute néanmoins tient à ce que les passages incriminés doivent s’apprécier au regard de l’ensemble de l’article et de son contexte et ne pas se limiter aux mots placés entre guillemets175.

Devoir d’objectivité - Plus qu’un devoir de prudence, le journaliste est soumis à un devoir

d’objectivité. Les journalistes ont pour obligation d’informer le public et de renseigner les lecteurs ou les auditeurs sur les évènements présentant un retentissement d’intérêt général. Celui- ci doit donc faire preuve d’honnêteté et d’objectivité de manière à ne pas altérer la sincérité de sa démarche176. Ce devoir d’objectivité passe par deux types d’obligation177. D’une part, une obligation négative pèse sur le journaliste, en ce qu’il ne saurait se prévaloir de la notoriété du fait ou de sa publication antérieure178. D’autre part, une obligation positive de vérification des renseignements, véritable marque d’objectivité, s’impose à lui. Le journaliste qui publie des

171

CA Paris, 10 mai 1994 172

CA Paris 1er Avril 1997 173

Cass 2e civ 24 juin 1987, 86-10.642 174

Crim, 15 mars 1983 : JCP G 1984, II, 20145 175

Crim 29 janv. 2008, n°06-88.097, F-D : JurisData n°2008-042712 176

TGI Paris, 4 juill. 1985 : D. 1986. 5 177

B. BOULOC, Critique et objectivité, causes d’exonération de la diffamation, La liberté de critique, Colloques & débats, 2007, p.15

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54 déclarations spectaculaires sans être en mesure de rapporter la preuve de leur authenticité n’a donc pas respecté ce devoir de vérification179.

Ce devoir de prudence, d’objectivité, de circonspection et de sincérité dans l’expression est une constante qui ne souffre que de rares exceptions180. Hormis les cas où la critique est consubstantielle à l’activité, le devoir de prudence et d’objectivité gît au cœur du droit de critique. Il en constitue l’essence même et lui donne toute sa légitimité. C’est particulièrement dans les rapports individuels que la modération prend tout son sens, et ce pour répondre à une logique d’harmonie et de tolérance. Cet impératif s’accompagne de la possibilité pour un journaliste de protéger ses sources.

2. La protection des sources journalistiques

Principe - La Cour européenne des droits de l’homme a énoncé avec force et à plusieurs reprises

que la protection des sources journalistiques était « la pierre angulaire de la liberté d’expression »181. La Cour a toujours condamné les Etats ayant porté atteinte à ce secret des sources qui consiste à protéger les journalistes plus particulièrement exposés au risque de condamnation pénale. La France n’a pas toujours été bonne élève en la matière puisque seule la loi du 4 janvier 1993, dite loi Vauzelle, prévoyait une mesure permettant de ne pas révéler l’origine des sources journalistiques. Ainsi, l’alinéa 2 de l’article 109 du Code de procédure pénale dispose que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l'origine ». Cette disposition ne vise que « l’origine des informations » et non leur contenu, et ne concerne que le contexte particulier de l’instruction. Quant aux moyens de contourner cet article, ils ne manquent pas et les journalistes se voyaient sans cesse condamnés. L’article 109 n’assurant pas la protection absolue des sources au journaliste, et dans un souci de conformité avec le droit européen, le législateur est intervenu à nouveau. La loi du 4 janvier 2010 a ainsi inséré un article 2 à la loi de 1881 qui dispose que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public. » En cela, le droit français aligne sa jurisprudence sur celle du droit

179

CA Paris, 9 mars 1990, D. 1990, IR 67 180

V. Infra p. 19 : en matière de polémique politique et électorale, mais aussi dans un contexte humoristique 181

55 européen et admet officiellement que le droit pour les journalistes de garder secrètes leurs sources fait partie de « la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques. »182

Limites - Toutefois, cette liberté est loin d’être absolue et souffre de limites formulées à l’alinéa

3 de l’article 2. Nulle atteinte ne peut en effet être portée à cette protection des sources sauf si « un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. » En d’autres termes, l’intérêt public vient l’emporter sur le principe de protection des sources dans le but d’instaurer un équilibre entre la protection des sources et les nécessités de l’ordre public. La chambre criminelle n’a pas encore eu l’opportunité d’en mesurer l’application par les juges du fond mais l’idée reste que, pour des raisons impérieuses de sécurité nationale, il pourrait être justifié de démasquer une source d’information. Ainsi, la loi précise que « l’identification dans le cadre d’une procédure pénale de l’origine d’une information ne pourra être recherchée qu’à titre exceptionnel et à condition que la nature et la particulière gravité du crime ou du délit ainsi que les nécessités des investigations le justifient ».

Depuis quelques mois, la protection des sources journalistiques est mise à mal par deux affaires politico-médiatiques. Dans l’affaire Bettencourt, des poursuites pour violation du secret des sources journalistiques sont engagées suite au vol de trois ordinateurs appartenant à des journalistes impliqués dans l’enquête et à la révélation d’informations provenant d’enregistrements clandestins. Dans l’affaire Wikileaks mettant en cause l’armée américaine en Irak et en Afghanistan, c’est au contraire le problème de l’absence de source qui s’est posé. La transparence a alors été portée à son paroxysme et la question du « droit de savoir » est amenée sur le terrain183. En tout état de cause, en matière de transparence et de droit de savoir, seuls règnent les principes de mesure, d’équilibre et de balance des intérêts. Ces affaires témoignent de l’absence de cette mesure et sont symptomatiques des difficultés de concilier liberté d’expression et intérêt public.

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CEDH, 4ème sect. 15 déc. 2009, Financial Times LTD et autres c/ Royaume-Uni, Req. n°821/03 183

Rapport annuel 2010 de la Cour de Cassation, Etude : le droit de savoir, troisième partie, Avant-propos d’A. LEPAGE

56 Si l’équilibre entre une parole libre, les droits personnels et l’intérêt public est indispensable, il n’est pas toujours respecté, ce qui amène le droit pénal à remplir son rôle de sanctionnateur. De nombreuses incriminations viennent alors réprimer les atteintes à autrui et à l’ordre public.

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