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Au sein d'une décennie délimitée entre 1832 et 1841, un savant britannique et trois autres français exprimèrent l'idée d'une vie marine limitée en profondeur. Bien que les cadres d'étude étaient la géologie et l'histoire naturelle, les contextes dans lesquels se manifestait l'expression de cette limite, sous plusieurs formes, apparaissaient divers même si des liens particuliers existaient entre eux.

Le géologue Henry Thomas De La Beche (1796–1855) exposa ainsi cette idée dès 1832. Dans un premier temps, nous nous proposons donc d'étudier en détail celle-ci.

4-1 – La limite en profondeur de De La Beche (1 832-1834)

Henry Thomas De La Beche (Figure 4.1), acteur important et influent de la géologie britannique, œuvrait au cœur de celle-ci comme l'exposa l'historien de la géologie Martin

Rudwick 302. Ses travaux connurent ainsi une large diffusion, au sein de la science britannique

302 RUDWICK Martin, 1985, The great devonian controversy. The shaping of scientific knowledge among gentlemanly specialists, The University of Chicago Press, Chicago et Londres, p. 420.

mais aussi à l'étranger. Dans différentes publications, il exposa ses conceptions sur les entités et les phénomènes terrestres en lien avec la géologie. Dans cette optique, il aborda les profondeurs marines en exposant l'idée d'une limite en profondeur pour les êtres marins.

De La Beche est souvent cité dans les sources secondaires pour avoir inspiré la théorie de Forbes que nous détaillerons ultérieurement. Il aurait ainsi énoncé l'idée d'une limite pour la distribution du vivant en profondeur peu après 1830. Pourtant cette idée n'a jamais été

détaillée chez les historiens qui l'évoquèrent brièvement 303. Dès lors, il s'avère nécessaire de

lire De La Beche dans le texte afin de comprendre son approche des profondeurs. Quelles étaient donc ses conceptions des profondeurs ? Comment et pourquoi il y percevait une limite

au vivant ? Cette idée évolua-t-elle ? Quelle diffusion et quel impact connut-elle ?C'est à ces

questions que nous souhaitons répondre dans cette partie en reprenant pour ce faire les occurrences de son œuvre qui investirent la profondeur.

Figure 4.1. Portrait de Henry Thomas De La Beche.

Gravure réalisée par William Walker à partir d’une peinture de Henry Pierce Bone (1779-1855) antérieure à 1848. Le géologue y est représenté dans un univers rocheux muni de son marteau.

4-1-1 – De La Beche, géologue vers les profondeurs

En premier lieu, il apparaît nécessaire d'exposer quelques éléments biographiques du personnage, bien qu'une biographie détaillée lui fasse défaut comme le soulignent Paul

Mc Cartney et Tom Sharpe malgré les deux biographies sommaires qu'ils rédigèrent 304.

303 Un exemple d'évocation parmi d'autres : ANDERSON Thomas et RICE Tony, 2006, op. cit., p. 132. 304 SHARPE Tom et McCARTNEY Paul J., 1998, The papers of H.T. De La Beche (1796-1855) in the

National museum of Wales, National museum of Wales, Cardiff, p. 7-9, et Mc CARTNEY, Paul J., 1977, Henry De La Beche : observations on an observer, Friends of the National museum of Wales, Cardiff, 77 p.

Issu d'une famille aisée, Henry Thomas De La Beche passa son enfance à Lyme Regis dans le sud-ouest de l'Angleterre au cœur d'un paysage de falaises côtières qui l'amena à s'intéresser à la géologie, dans la localité où la collectionneuse de « curiosités » Mary Anning (1799-1847) fit ses découvertes de « monstres » marins fossiles. En 1827, le premier compte-rendu portant sur la géologie de la Jamaïque fut publié sous la plume de De La Beche.

Par héritage, il y possédaitdes plantations de cannes à sucre. Par la suite, de 1832 à 1835, il

étudia la géologie du Devon. En 1834, lors de ce travail, il découvrit une strate rocheuse particulière contenant des fossiles de plantes similaires au système Carbonifère, mais ne contenant pas de fossiles du Silurien. Cette strate devint un nouveau système qui s’intercala entre ces deux périodes et qui fut nommé ultérieurement « Dévonien ». Par ailleurs, il avait élaboré l'idée, puis supervisé le projet, de la mise en place d'une carte géologique du Royaume-Uni afin notamment d'aider les industries minières. En ce sens, à partir de 1835, il devint directeur de la Geological Survey of Great Britain qui venait d’être créée récemment à son initiative. De 1847 à 1849, il fut président de la Geological Society de Londres. Il a

également contribué à la mise en place de laRoyal School of Mines en 1851 dont iloccupa le

poste de premier proviseur. Son statut social élevé lui permit de se faire élire membre de la Royal Society dès 1819. Il fut ensuite anobli chevalier en 1848. Son œuvre visa à développer l’intérêt populaire, ainsi que l'enseignement, pour la géologie notamment par les publications

de A geological manual (1831), de How to observe (1835) et de Geological observer (1851).

Les historiens de la géologie s'intéressent au personnage de De La Beche en se focalisant naturellement sur ses travaux propres à cette discipline. Or ses recherches allaient

parfois au-delà de la géologie stricto-sensus. Ainsi, il est à noter que le premier article qu'il

publia en 1819 portait sur l'étude de la profondeur du lac de Genève qu'il put étudier lors d'un

séjour en Europe continentale 305. Le lac Léman était un lieu de passage prisé dans les Alpes

dont l’intérêt provenait de l'attrait émergeant pour les montagnes que façonna, entre autres, de Saussure (voir 1-2-2). De La Beche aurait suivi ses traces en étant le premier Anglais à tenter l'ascension du Mont Blanc par Saint-Gervais, mais aussi en étudiant le Léman.

En ce qui concerne cette expérimentation, faite lors d'une dizaine de jours de

navigation, elle fut à l'époque qualifiée de « recherche curieuse » pour son originalité 306. La

305 Elle fut publiée à Genève et à Édimbourg : DE LA BECHE Henry Thomas,1819,« Sur la profondeur et la température du lac de Genève », Bibliothèque universelle des sciences, belles-lettres et arts, Bibliothèque universelle, Genève, vol. 12, p. 118-126. ; DE LA BECHE Henry Thomas,1820,« On the depth and temperature of the Lake of Geneva », Edinburgh Philosophical Journal, vol. 2, n° 3, p. 106-110.

306 Anonyme, 1819, « [sans titre - note de bas de page] », in : DE LA BECHE Henry Thomas, 1819, op. cit., p. 118.

raison de cette étude demeure méconnue. Toujours est-il que le jeune géologue y effectua des sondages associés à des mesures de température jusque 163 brasses (près de 300 mètres) à l'aide de lignes de sondage classiques et du même type de thermomètre enregistreur que celui employé lors de l'expédition de John Ross en Arctique. Il s'agissait vraisemblablement du

thermomètre enregistreur élaboré par le Britannique James Six (1731-1793) en 1780 au sein

duquel des index, situés sur deux colonnes, indiquaient les températures maximales et

minimales atteintes sur une période donnée 307. Le calme et la stabilité de la surface lacustre

lui permettait de vérifier sa mesure de sondage « deux ou trois fois » avant d'immerger le

thermomètre 308. Il remarqua en définitive une température constante d’environ 6° C pour les

profondeurs supérieures à 80 brasses (146 mètres). En outre, sur la carte qu'il dressa, il représenta quatre coupes verticales figurant la profondeur pour quatre sections du lac. C'est ainsi que, attiré par la montagne, le Britannique étudia la profondeur aquatique. Le lac formait une porte d'entrée à un domaine profond.

Plus tard, en 1823 et 1824, il profita de sa traversée l'Atlantique à destination de la Jamaïque pour y réaliser des mesures de température de la surface de l'océan 309 : sa connaissance de l'océan était façonnée par une pratique rendue possible par un voyage. Néanmoins, ce voyage ne lui permit pas de réaliser des sondages profonds car ceux-ci nécessitaient indubitablement des pauses lors du déplacement alors que le navire de transit n'était pas destiné à être mis en station.

À l'époque, un rite initiatique semblait être de rigueur pour le savant-naturaliste ou géologue britannique : le voyage en Europe continentale, voire parfois autour du monde. Il s'agissait d'un tour pour chaque jeune homme de classe aisée, dans la veine du Grand Tour des Lumières. Un tour formateur tel un tremplin pour une carrière. À l'image de son empire qui voyageait et étirait ses frontières sur la surface du globe, le Britannique devait parfaire sa formation en voyageant, en étirant ses propres frontières, géographiques mais aussi mentales. La mode était donc au Tour. Mais un tour qui impliquait un retour : je pense ainsi que la finalité n'était pas l'ailleurs mais l'appropriation d'une richesse (de divers types : intellectuelle, pratique...) soustraite à l'ailleurs. Le modèle d'enrichissement de l'empire se transférait jusque dans les comportements sociaux de l'élite savante. De La Beche rapporta des Alpes une

307 Pour plus d'informations sur ce thermomètre : AUSTIN Jillian F. et McCONNELL Anita, 1980, « James Six F.R.S.. Two hundred years of the Six's self-registering thermometer », Notes and records of the Royal Society of London, vol. 35, n° 1, p. 49-65.

308 « two or three times », DE LA BECHE Henry Thomas,1820,op. cit., p. 108.

309 DE LA BECHE Henry Thomas, 1825, « Notice on the temperature of the surface water of the Atlantic, observed during a voyage to and from Jamaica », Annals of Philosophy, nouvelle série, vol. 10, p. 333-335.

proximité avec un fond lacustre : un modèle extensible ? Pour y répondre, il faut ouvrir son

premier ouvrage majeur, A geological manual...

4-1-2 La vie limitée en profondeu r (1832)

La première édition de A geological manual parut en 1831 310. Il s’agissait d’un ouvrage généraliste didactique portant sur la géologie. Il comprenait une description de la Terre ainsi que des composantes et des phénomènes géologiques qui s’y présentaient. L’ouvrage se voulait destiné aux personnes qui s’initiaient à la géologie et il constituait donc un manuel d’enseignement :

« À l’exception des listes de débris organiques, l’auteur n’a cherché à donner dans cet ouvrage que des Esquisses générales, quoique souvent il fût fortement tenté de développer davantage tel ou tel sujet, et qu’il n’ait cédé qu’avec regret à la nécessité de se restreindre ; il espère cependant en avoir dit assez pour être utile à ceux qui veulent se livrer à l’importante science de lagéologie. » 311

Son succès fut tel que la première édition était épuisée en quelques mois. L'auteur obtint alors la « faveur du public » facilitée par sa « (...) réputation (…) acquise depuis plus de dix ans par

les nombreux Mémoires géologiques qu’il a publié ».Il s'ensuivait une influence manifeste de

l’ouvrage sur les savants de l'époque. Cette entreprise était considérée comme un rassemblement d’une « masse considérable d’observations anciennes et récentes », chose qui n'était parue depuis longtemps sous la forme d'un ouvrage généraliste de géologie en Angleterre. Sur le continent, les traductions en allemand puis en français ont été effectuées,

respectivement, dès 1832 et 1833 312.

La vie des profondeurs marines ne constituait évidemment pas le sujet de l’ouvrage. Seuls quelques passages ébauchaient ce thème. Ces passages, peu développés, ne se révélaient

310 DE LA BECHE Henry Thomas, 1831, A geological manual, Treuttel et Würtz, Londres, 535 p.

311 DE LA BECHE Henry Thomas, 1833, Manuel géologique, trad. française par BROCHANT DE VILLIERS André Jean Marie, Levrault, Paris, p. l.

312 Le géologue Heinrich vonDechen (1800-1889) réalisa la version allemande qui fut critiquée par le

géologue André Jean Marie Brochant de Villiers (1772-1840) qui estimait que le traducteur avait pris trop de libertés.Nous privilégions dans notre analysela seconde édition corrigée de l’ouvrage, parue en 1832 et traduite en français en 1833. Les passages traduits, présentés ci-après, proviennent de la version réalisée par Brochant de Villiers, alors membre de l’Académie des sciences, lequel indiquait : « je me suis donc fait une loi de conserver strictement le texte de l’auteur, et je me suis efforcé de rendre fidèlement ses idées » en le faisant relire par De La Beche lui-même. BROCHANT DE VILLIERS André Jean Marie, 1833, « Préface du traducteur », in : ibid.,p. e-f.

pourtant point anodins. Ils furent ajoutés suite à la première édition de 1831 qui ne les contenait pas. Cela dénoterait une volonté de répondre à un questionnement – de l'auteur

lui-même ou de ses lecteurs ? 313 – qui serait survenu après la première publication. Ces passages

apparaissaient dès le début de l’ouvrage dans la première section portant sur la description générale de la Terre : il s’agissait donc d’une caractéristique générale que l’auteur considérait comme admise.

Au sein la partie consacrée à la salure et à la pesanteur spécifique de la mer, dès la

cinquième page du manuel, l’auteur exposa sa conception de la vie dans les profondeurs

marines :

« La pression de la mer doit aussi avoir une influence considérable sur le type d’animaux ou de végétaux présent à différentes profondeurs : et nous pouvons conclure qu’au sein des mers très profondes cette vie ne doit pas exister, la grande pression et l’absence de lumière nécessaire étant aussi destructrices pour la vie que le froid et la rareté de l’air le sont dans les hautes régions de l’atmosphère. » 314

C'est ainsi que la lumière et la pression formaient les deux facteurs perçus par le géologue comme limitant la présence de vie dans les profondeurs. La lumière paraissait alors « nécessaire » tandis que la pression se révélait trop forte. En outre, l'auteur invoquait les hautes altitudes pour lesquelles le froid et la rareté de l'air présentaient cette même caractéristique « destructrice ».

De plus, l’auteur indiqua que cette « compressibilité de l’eau » avait été démontrée

expérimentalement par le chimiste Edward Turner (1798-1837) dans ses Elements of

chemistry publiés en 1827 : « il en résulte qu’à de grandes profondeurs, et sous une forte

pression de l’Océan, une quantité donnée d’eau doit occuper moins d’espace qu’à sa surface, et que par conséquent cette circonstance doit à elle seule augmenter beaucoup sa pesanteur spécifique » 315.

Il est à remarquer que le terme de « grande profondeur » utilisé par De La Beche n'était pas chiffré. L'espace pensé était certes un espace concret mais aux limites floues, c'est à dire non définies par des bornes quantifiées. La comparaison avec les hautes altitudes, évoquée dans ce passage, refit surface plus loin dans l’ouvrage.

313 Une analyse des sujets de discussion de ses correspondances, de 1831 et 1832, conservées au Musée national du Pays de Galles de Cardiff, ne nous a pas permis d'y répondre. Les résumés des correspondances sont rassemblés dans l'ouvrage suivant : SHARPE Tom et McCARTNEY Paul J., 1998, op. cit., 257 p. 314 DE LA BECHE Henry Thomas, 1833, op. cit., p. 6.

Au sein d'une note au bas de la page 27, dans une partie consacrée à la température de l’atmosphère, l’auteur y ajoutait un complément sur sa vision de la distribution de la vie sur la composante verticale :

« Si nous considérons que la vie animale et végétale devient moins active à mesure que l’atmosphère devient plus froide et moins dense, et que les êtres vivants dans la mer sont moins nombreux à mesure que la pression de la mer augmente et que la lumière nécessaire diminue, nous obtenons, si je puis m’exprimer ainsi, deux séries de zones, l’une au-dessus du niveau de la mer, l’autre au-dessous, dont les termes les plus rapprochés du niveau de l’Océan sont ceux qui présentent la plus grande masse de vie animale et végétale, toutes les autres circonstances qui peuvent la favoriser étant supposées égales. » 316

La « grande masse de vie » se situait accolée de part et d’autre du niveau de l’océan, au-delà et en-deçà elle s’estompait progressivement. Chez De La Beche, il se dessinait de la sorte une symétrie verticale composée par les profondeurs de la mer et les hautes altitudes, lieux où s’esquissaient les limites de la vie. Il s'agissait dès lors d'un nouvel exemple de la proximité affichée entre la profondeur marine et l'altitude, une comparaison que nous avons déjà croisée chez d'autres auteurs et que nous recroiserons encore. Cette récurrence des auteurs à invoquer l'altitude visible découlait de leur position d'observateur pour qui le rôle de la vue, sens premier, s'avérait essentielle. L'observable venait au secours de la description de l'invisible.

À la différence des limites que le géologue estimait pour les hautes altitudes, la température n’était pas citée par l'auteur comme limite pour la vie dans les profondeurs marines. Par ailleurs, au début de sa carrière, l’auteur avait lui-même réalisé des mesures des fonds du lac Léman. Il y notait une faible température du fond (environ 6° C) qui correspondait selon lui à l’hypothèse du « maximum de densité de l’eau » qui serait responsable d’une eau définie par une température avoisinant 4° C dans les profondeurs

lacustres. Concernant la mer, il ne partageait pas l’image des abîmes glacés marins de

François Péron car la température tendrait « vers le terme de 3°,88 à 4°,44 centig. », ce qui correspondait ainsi au maximum de densité de l’eau de mer ainsi qu'aux conclusions de son

expérience lacustre. Il appuyait également son argumentation sur les relevés de différents

navigateurs. Partisan de la théorie de l'existence d’une « chaleur centrale » de la Terre, cette température du fond des mers n’y serait pas en contradiction car il évoquait pour cela « (...) la loi suivant laquelle, dans les eaux, les différentes parties s’arrangent entre elles selon leur plus

grande pesanteur spécifique » 317. De la Beche partageait ainsi l'idée de « la théorie de 4°C » communément admise pour les profondeurs et établie à partir du maximum de densité de l'eau

douce 318. Malgré des exceptions, l'image d'un abîme à la température uniforme domina ainsi

les esprits pendant plus de trois décennies.

De La Beche énonça également sa conception de l’absence de courants dans les grandes profondeurs. Partant du principe que les courants étaient dus au vent, ceci impliquait des courants de surface plus puissants que ceux des fonds. La profondeur représentait donc une limite inférieure où les courants s’estompaient par l'annulation de la force motrice à cause de la forte densité de l'eau : « au-delà d’une certaine profondeur qui dépend de l’intensité de la cause motrice à la surface, toute la masse des eaux doit être constamment immobile, et par conséquent sans aucune force de transport ». Le calme des grands fonds était ainsi défini : « nous n’avons aucune raison de supposer que les eaux charrient à de grandes

profondeurs » 319.

Vivant et agitation disparaissaient ainsi avec la dimension profonde. Cette vision d'un espace aquatique dévalorisé, car sans vie, se retrouvait lié à son caractère dénué de mouvements. Ce lien pourrait ainsi découler du courant néo-hippocratique pour lequel, selon l'historien Alain Corbin, « tout mouvement, toute agitation, de l'eau comme de l'air est

bénéfique » 320. En contrepoint, l'univers figé que représentait la profondeur marine se

retrouvait aisément conçu comme un espace néfaste, d'où, par extension, inhabité. En société, pour se débarrasser des miasmes, « l'aérisme », la ventilation des espaces, était alors conçu comme nécessaire, ce qui impliquait une conséquence sous-jacente : « un tel système de convictions scientifiques a conduit à goûter les espaces ventilés et à déprécier très fortement les paysages au sein desquels semblait régner une totale immobilité » 321. Une forme de dépréciation subconsciente dévalorisait de cette façon la profondeur marine. Cette caractérisation d'un univers autre – un ailleurs –, par une appréciation subconsciente

ordinairement portée sur les espaces fréquentés par l'homme, suggère un anthropocentrisme

sous-jacent. Ce caractère figé, que je nommerai une trame culturelle, parcourait notre période

d'étude en réapparaissant chez de nombreux auteurs sous différentes formes, nous y reviendrons donc.

317 Ibid., p. 24-26 et p. 28.

318 « the 4°C theory », RICE A. L., 1975, « The oceanography of John Ross's arctic expedition of 1818; a re-appraisal », Journal of the Society for the Bibliography of Natural History, vol. 7, Fasc. 3, p. 291. À ce sujet : DEACON Margaret, 1978, op. cit., p. 28.

319 DE LA BECHE Henry Thomas, 1833, op. cit., p. 131-132. 320 CORBIN Alain,2005, op. cit., p. 87.

L'ensemble des conclusions de l'auteur reposait par conséquent sur diverses observations grâce auxquelles il pouvait élaborer son modèle théorique des profondeurs. Cependant il laissait ses hypothèses, de l'ensemble des sujets, ouvertes à la critique : « (…) il

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