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1.4 Synth `ese

2.1.2 L’ ´evaluation en traductologie

En traductologie, la question de l’ ´evaluation est en elle-m ˆeme un champ de recherche. Williams (2004) y r ´ef `ere par le vocable Appr ´eciation de la Qualit ´e des Traductions (AQT)2.

L’AQT trouve ses origines dans la critique de la traduction, activit ´e qui consiste `a commenter la qualit ´e litt ´eraire du texte traduit, avec ou sans r ´ef ´erence au texte original. La discipline se d ´eveloppe dans les ann ´ees 70 o `u la traductologie souhaite se doter de mod `eles avec un double objectif : donner `a l’industrie de la traduction des moyens de contr ˆoler la qualit ´e de ses produits et permettre aux ´ecoles de traduction d’ ´evaluer leurs ´etudiants. L’ ´evaluation en traductologie est diff ´erente de l’ ´evaluation en TA `a plusieurs niveaux :

– le niveau d’exigence est sup ´erieur : on ´evalue des traductions faites par des professionnels, et non pas la ressemblance avec une traduction humaine ;

– la TA ´evalue les traductions en relation `a d’autres, le but ´etant de classer des traductions de fac¸on `a classer les syst `emes qui les ont produites ; la traductologie ´evalue les traductions en elles-m ˆemes, il ne s’agit pas de comparer les traducteurs professionnels entre eux ;

– la TA utilise une traduction professionnelle comme r ´ef ´erence, la traductologie n’a pas de r ´ef ´erence de qualit ´e, le juge lui-m ˆeme est la r ´ef ´erence.

On trouve un panorama de l’AQT dans les articles de Williams (2004) et Secar ˘a (2005). Larose (1998) propose une r ´eflexion th ´eorique sur la m ´ethodologie de l’ ´evaluation des traductions. Williams (2004) distingue deux types de mod `eles : les mod `eles quantitatifs et les mod `eles non-quantitatifs. Les mod `eles quantitatifs (section 2.1.2.1) sont plut ˆot pragmatiques, ils doivent permettre de donner un score de qualit ´e `a toute traduction. Ces mod `eles produisent des grilles d’ ´evaluation utilis ´ees dans l’industrie de la traduction ou dans l’enseignement. Les mod `eles non quantitatifs (section 2.1.2.2) constituent plut ˆot des approches th ´eoriques du probl `eme de l’ ´evaluation et se concentrent surtout sur la d ´efinition de ce qu’est une “bonne” traduction.

2.1.2.1 Mod `eles quantitatifs

La plupart des mod `eles quantitatifs ont ´et ´e conc¸us par et pour des organismes qui cherchaient un moyen de maˆıtriser la qualit ´e de leurs traductions. Le premier mod `ele d’AQT a ´et ´e cr ´ee par le Bureau de la traduction du Canada en 1976. Ce mod `ele, appel ´e Sical (Syst `eme canadien d’appr ´eciation de la qualit ´e linguistique) est d ´ecrit par Williams (2001) et Secar ˘a (2005). Il s ´epare erreurs de langue (intelligibilit ´e, grammaticalit ´e, idiomaticit ´e) et erreurs de

2. Translation Quality Assessment (TQA).

Nombre maximal de d ´efauts dans une tranche de 4000 mots Cote Qualit ´e D ´efauts graves D ´efauts mineurs

A sup ´erieure 0 0 `a 6

B acceptable 0 7 `a 12

C `a revoir 1 13 `a 18

D innacceptable 1 et + 18 et +

TABLE2.4 – Grille d’ ´evaluation du mod `ele Sical - (Larose, 1998; Williams, 2004)

transfert (conservation du sens). Chaque erreur est jug ´ee comme grave ou mineure, la gravit ´e ´etant d ´etermin ´ee sur la base des cons ´equences suppos ´ees de l’erreur (par exemple, pour la traduction d’un manuel d’utilisation : erreur pouvant engendrer une utilisation dangereuse). La qualit ´e globale de la traduction est estim ´ee sur le nombre et le type d’erreurs rencontr ´ees dans un passage de 4000 mots s ´electionn ´e al ´eatoirement (voir tableau 2.4).

La grille Sical a donn ´e lieu `a d’autres variantes par la suite. De m ˆeme, diverses grilles d’ ´evaluation ont ´et ´e propos ´ees par des organismes comme l’ATA (American Translators Association), la SAE (Society of Automotive Engineers) et la LISA (Localization Industry Standards Association) ou l’agence de traduction ITR.

Toutes ces grilles d’ ´evaluation suivent le m ˆeme sch ´ema : elles consistent en une typologie d’erreurs de traduction, chaque type d’erreur ´etant associ ´e `a un co ˆut repr ´esentant sa gravit ´e. Certaines, comme le SEPT - d ´ecrit dans Larose (1998) - vont jusqu’ `a d ´enombrer 675 types d’erreurs. Larose (1998) remarque `a juste titre que tous les mod `eles s ´eparent erreurs de transfert (sens ou contenu) et erreurs de langue (forme ou expression), avec une pr ´edominance du sens sur la forme. On retrouve le m ˆeme principe dans les premi `eres versions de l’ ´evaluation humaine de la TA o `u l’on demande aux juges de noter s ´epar ´ement ad ´equation (erreurs de transfert) et fluidit ´e (erreurs de langue).

En comparaison au domaine de la TA, on peut ˆetre surpris par l’absence de processus de validation ou de comparaison des diff ´erents mod `eles propos ´es. Bien que g ´en ´eralement conscients de la subjectivit ´e des jugements humains, rien n’est fait pour tenter de la quantifier. On pourrait tout `a fait envisager de comparer ces mod `eles sur la base d’un accord inter- annotateur. Il en est de m ˆeme pour le co ˆut en temps. Mise `a part pour le Sical, qui est suppos ´e prendre 1h pour ´evaluer un passage de 4 000 mots, aucun auteur n’indique le temps que prend une ´evaluation en suivant telle ou telle grille.

Ces mod `eles quantitatifs, `a vis ´ee op ´erationnelle, sont assez critiqu ´es par les tenants des mod `eles non-quantitatifs, comme nous le verrons dans la partie suivante.

2.1.2.2 Mod `eles non-quantitatifs

Une des principales critiques des tenants des mod `eles non-quantitatifs envers les grilles d’ ´evaluation utilis ´ees dans l’industrie est le niveau d’analyse de ces grilles. En effet, la plupart des mod `eles quantitatifs restent au niveau des mots et de la phrase et se pr ´eoccupent rarement du niveau discursif. Les grilles d’ ´evaluation sont monolithiques, suppos ´ees valables pour toutes les traductions, sans prendre en compte la fonction du texte, la situation de communication dans

laquelle il a ´et ´e produit ou les attentes du commanditaire de la traduction.

Williams (2004) par exemple, sugg `ere de passer d’une approche micro-textuelle (celle des mod `eles quantitatifs, bas ´ee sur la phrase) `a une approche macro-textuelle qui repose sur l’analyse et la comparaison de la structure argumentale des textes source et cible. Williams d ´ecoupe chaque texte en six modules d’argumentation, qui sont ind ´ependants du genre, type, fonction ou domaine du texte traduit. Dans ce cadre th ´eorique, une bonne traduction est une traduction qui reprend chacun des modules pr ´esents dans le texte source et reproduit fid `element leur contenu et relations. L’auteur consid `ere l’absence d’un des modules comme une erreur majeure, mais ne donne pas plus de d ´etails.

Reiss (1971) propose une approche fonctionnelle de la traduction. Elle affirme que les crit `eres d’ ´evaluation doivent d ´ependre de la fonction du texte. Pour cela, elle sp ´ecifie quatre types de textes :

Textes centr ´es sur le contenu -content-focused≫ Ce sont des textes

d ´enotatifs, r ´ef ´erentiels, qui privil ´egient la description de faits : articles de presse, travaux scientifiques, notices. Le traducteur adapte totalement la forme du texte `a la langue cible, il am `ene le texte au lecteur, en respectant en priorit ´e le sens du texte source.

Textes centr ´es sur la forme -form-focused≫ Ce sont les textes ayant une fonction

po ´etique, par exemple les textes litt ´eraires, artistiques. Le traducteur am `ene le lecteur au texte, en respectant en priorit ´e la forme du texte source, le traducteur jouit d’une plus grande libert ´e au niveau du transfert du sens.

Textes incitatifs -appeal-focused≫ Ce sont les textes conatifs, destin ´es `a provoquer une

r ´eaction chez leur lecteur : publicit ´e, propagande. Dans ce cas, la traduction devient une adaptation libre : son but premier est de conserver l’effet du texte sur le lecteur, il n’y a pas d’obligation de respect ni de la forme ni du sens.

Textes audio-m ´ediauxaudio-medial≫ Ce sont les textes qui ne sont pas transmis par le

support ´ecrit : pi `eces de th ´e ˆatres, discours. Le traducteur doit adapter le texte `a son environnement et `a la mani `ere dont il sera prononc ´e : mouvement des l `evres dans le sous-titrage, rythme dans les chansons. Cette derni `ere cat ´egorie est assez bancale car elle se situe `a un niveau de classification sup ´erieur aux trois autres (oral vs. ´ecrit) : un texte peut ˆetre incitatif et audio-m ´edial (publicit ´e radio vs. publicit ´e sur affiche), centr ´e sur la forme et audio-m ´edial (pi `ece de th ´e ˆatre vs. œuvre litt ´eraire), etc.

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A l’instar des m ´ethodes d’ ´evaluation pr ´esent ´ees jusqu’ici, Reiss distingue sens et forme et donne des crit `eres sur lesquels ´evaluer les traductions. Par contre, elle ne donne pas de grille d’ ´evaluation `a proprement parler. Elle diff ´erencie les ´el ´ements linguistiques comme les aspects s ´emantiques, lexicaux, grammaticaux, stylistiques des ´el ´ements extra-linguistiques (situation de communication, sujet, ´epoque, lieu, audience, locuteur, enjeux affectifs). Chaque crit `ere a une influence plus ou moins grande sur la qualit ´e globale de la traduction, en fonction du type de texte traduit. Par exemple, dans le cas des textes orient ´es vers le contenu, l’ ´equivalence totale entre ´el ´ements s ´emantiques du texte source et cible est obligatoire, alors que le non-respect de l’ ´equivalence stylistique est tol ´erable, voire recommand ´e si cela permet, en adaptant le texte source `a la langue cible, un meilleur transfert du sens.