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Pour expliquer les difficult ´es de la traduction technique, nous nous appuierons sur l’ouvrage de Christine Durieux (2010) qui s’inscrit dans le cadre de la th ´eorie interpr ´etative de la traduction (ou th ´eorie du sens) de Danica Seleskovitch.

De prime abord, on pourrait croire que la traduction sp ´ecialis ´ee est uniquement concern ´ee par l’acquisition d’ ´equivalences traductionnelles entre termes (apprentissage de la terminologie). Or, comme l’explique Durieux (2010), la traduction technique ne peut ˆetre r ´eduite `a un processus de production d’ ´equivalences terminologiques, d ´emarche qu’elle appelle

transcodage≫et qui consisterait simplement `a transposer les termes en langue cible sans

vraiment les comprendre. L’auteure estime qu’une bonne traduction technique ne peut ˆetre produite que si le traducteur est r ´eellement `a l’aise avec les notions d ´esign ´ees par les termes : ≪on ne traduit pas une suite de mots, mais un message dont on a auparavant appr ´ehend ´e le sens(op. cit., p. 42). Le travail du traducteur implique donc une part d’auto-

formation au domaine technique par une recherche documentaire pr ´ealable permettant de d ´ecouvrir la terminologie du domaine en contexte. Durieux conseille d’effectuer la recherche documentaire dans des œuvres de vulgarisation comme les encyclop ´edies o `u les notions sont d ´ecrites avec un vocabulaire facile d’acc `es plut ˆot que dans des ressources sp ´ecialis ´ees (revues scientifiques). Les ressources sp ´ecialis ´ees ne sont employ ´ees que dans un second temps, pour affiner certaines notions.

Il en est de m ˆeme pour les usages stylistiques : Durieux note qu’il existe des ≪tournures particuli `eres≫ propres `a chaque domaine. Certaines constructions syntaxiques, certaines

collocations peuvent ˆetre plus fr ´equentes dans le discours sp ´ecialis ´e qu’en langue g ´en ´erale. Souvent, les collocations propres `a un domaine de sp ´ecialit ´e impliquent une traduction diff ´erente d’un des collocats. Par exemple,to spread se traduit par r´epandre en langue g ´en ´erale maisto spread insecticide se traduit par traiter `a l’insecticide ; unscheduled se traduit par impr´evu en langue g ´en ´erale maisunscheduled maintenance se traduit par entretien curatif . La traduction des pr ´epositions est d ´elicate car la pr ´eposition peut changer le sens d’un terme : exception d´etect´ee par le programme a un sens diff ´erent de exception d´etect´ee dans le programme. De plus, le choix de la pr ´eposition peut ˆetre idiosyncratique au terme : on parle deper¸cage par laser ,

de soudure par laser mais de d´ecoupe au laser . Ici aussi, Durieux pr ´econise une recherche documentaire syst ´ematique permettant de relever les usages linguistiques propres au domaine.

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A la lecture de Durieux, on comprend qu’un traducteur sp ´ecialis ´e passe une partie de son temps `a effectuer de la recherche documentaire dans le but de constituer manuellement des fiches terminologiques qui mettent en correspondance non seulement des termes mais aussi des contextes (contextes d ´efinitoires pour le sens de termes, contextes “langagiers” mettant en lumi `ere les collocations et aspects stylistiques).

D’autres ´etudes viennent appuyer les constations de Durieux. Ainsi, Darbelnet (1979) consid `ere qu’une langue de sp ´ecialit ´e est sp ´ecifique par sa≪nomenculature≫mais aussi par

(ce qu’il nomme) son≪discours≫:

Dans l’emploi de ce qu’il est convenu d’appeler les langues de sp ´ecialit ´e, il y a d’une part les choses techniques qu’il faut pouvoir d ´esigner exactement et d’autre part le texte qui v ´ehicule et actualise ces notions et qui doit r ´epondre `a certaines exigences de forme. Il s’ensuit que l’auteur du texte doit poss ´eder une double comp ´etence : bien connaˆıtre la nomenclature du sujet et ˆetre capable de tirer pleinement parti, dans un certain registre, des ressources langagi `eres propres `a mettre en valeur les ´el ´ements de la nomenclature. [...] Dans cette perspective, on peut consid ´erer que chaque langue de sp ´ecialit ´e se pr ´esente sous ce double aspect, que nomenclature et discours ne peuvent aller l’un sans l’autre et qu’il est souvent plus facile, gr ˆace `a la documentation appropri ´ee, d’acc ´eder `a la nomenclature qu’aux ressources du discours sp ´ecialis ´e.≫(op. cit.)

Reprenant la distinction de Darbelnet, Scurtu (2008) nous livre une analyse fine des difficult ´es de la traduction des textes juridiques franc¸ais vers le roumain. Un point notable est qu’elle consid `ere que les ´el ´ements de la nomenculature (i.e. les termes techniques) ne posent pas n ´ecessairement de difficult ´e de traduction. Scurtu d ´ecompose la nomenculature en trois cat ´egories :

Les mots d’appartenance juridique exclusive Il s’agit des termes techniques, employ ´es par

les initi ´es. Certains peuvent ne poser aucune difficult ´e de traduction parce qu’ils ont un correspondant direct en langue cible (voire ils sont un emprunt `a la langue source) et qu’ils poss `edent une ressemblance formelle avec le terme source, ex :abrogatif → abrogativ . Les termes pouvant poser une difficult ´e de traduction correspondent `a des termes n’ayant pas de ressemblance formelle avec le terme source (ex. :prononc´e → pronunt¸are) et/ou d ´esignant une notion qui n’existe pas dans la culture associ ´ee `a la langue cible (ex. : communaut´e → regim matrimonial legal ).

Les mots `a double appartenance Il s’agit de termes que le droit emploie dans une acception

qui lui est propre. Parmi ceux-ci, on retrouve :

– Les termes d’appartenance juridique principale : il s’agit de termes juridiques pass ´es dans la langue courante avec un sens secondaire, ex. :arbitre, t´emoin, garantie. – Les termes d’appartenance juridique secondaire : il s’agit de termes dont le sens

principal est en langue courante et qui ont acquis un sens particulier dans le domaine juridique, ex. :acte, mobile, jouissance.

La difficult ´e de traduction des mots `a double appartenance vient du fait que ceux-ci sont partag ´es avec la langue courante : leur traduction n’est possible qu’en contexte.

Le discours, quant `a lui, regroupe divers ´el ´ements. On y retrouve les ´el ´ements stylistiques, les formulations sp ´ecifiques et les choix syntaxiques d ´ej `a mis en exergue par Durieux mais ´egalement ce que Darbelnet et Scurtu nomment le≪vocabulaire de soutien≫. Darbelnet (1979)

d ´efinit le vocabulaire de soutien comme≪les mots qui, ´etant d’une technicit ´e moindre ou nulle,

servent `a actualiser les mots sp ´ecialis ´es et `a donner ainsi au texte son organicit ´e.≫. Il nous

donne l’exemple, pour le domaine juridique, des motsrupture (de la vie commune), entendre (un t ´emoin),exorbiter , d´ep´erir , supporter (au sens fiscal).

De m ˆeme, Scurtu (2008) indique que, les mots `a double appartenance mis `a part, il reste un certain nombre de termes qui, sans avoir un sens juridique, apparaissent toutefois dans les textes avec une valeur sp ´ecifique, diff ´erente de celle qu’ils ont dans la langue ”commune”. Par exemple,affaire n’a pas le sens, dans les textes juridiques, qui est rendu par sa traduction litt ´erale en roumain (afacere). En contexte juridique il sera tradui par cauzˇa (porter une affaire devant la Cour → a duce o causˇa ˆınaintea Curt¸ii vs. faire des affaires → a face afaceri ).

Notons Scurtu et Darbelnet d ´eplorent tous deux que les ressources `a disposition du traducteur ne prennent pas en compte le vocabulaire de soutien :

on peut consid ´erer que chaque langue de sp ´ecialit ´e se pr ´esente sous ce double aspect, que nomenclature et discours ne peuvent aller l’un sans l’autre et qu’il est souvent plus facile, gr ˆace `a la documentation appropri ´ee, d’acc ´eder `a la nomenclature qu’aux ressources du discours sp ´ecialis ´e.≫(Darbelnet, 1979)

Les ouvrages en question n’incluent souvent que les termes du domaine proprement dit et excluent les termes de la langue courante qui, ayant acquis un sens particulier, ´echappent `a la compr ´ehension du n ´eophyte.≫Scurtu (2008, p. 88)

D’apr `es Darbelnet, l’absence du vocabulaire de soutien dans les glossaires techniques s’explique par le fait que ces ressources sont plus orient ´ees vers l’aide `a la compr ´ehension que vers l’aide `a la r ´edaction. De plus, comme les termes techniques frappent par leur technicit ´e, ils s’imposent naturellement comme comme n ´ecessaires `a r ´epertorier dans un glossaire technique. A contrario, le vocabulaire de soutien, qui semble plus transparent, sera plus facilement n ´eglig ´e. Pourtant, il n’en est pas moins indispensable. Cette vue est ´egalement support ´ee par Scurtu (2008) :

Paradoxalement, pour r ´ediger ou traduire un texte, souvent ce n’est pas le mot technique qui constitue le probl `eme le plus important (ces mots techniques ont fait et continuent de faire l’objet de lexicographies terminologiques). On constate, en feuilletant des r ´epertoires de la langue juridique, que nombre de termes utilis ´es dans la r ´edaction de textes juridiques et administratifs n’ont pas ´et ´e retenus. Cela est d’autant plus valable si on prend en consid ´eration la situation des dictionnaires bilingues dans le domaine. Il est vrai qu’en g ´en ´eral les r ´epertoires visent plut ˆot `a la compr ´ehension qu’ `a la r ´edaction. Au contraire, les termes du vocabulaire de soutien, bien qu’apparaissant comme marginaux, parce que transparents, s’av `erent d’un maniement plus d ´elicat, car ils sont n ´ecessaires pour passer de simples listes de termes au texte : c’est au moment o `u il faut r ´ediger, pr ´ecise encore Darbelnet

[1979], et, en l’occurrence, compl ´etons-nous, traduire, que ce vocabulaire prend

effectivement toute sa valeur.(op. cit., p. 892)

Comme nous nous plac¸ons dans une optique d’aide `a la traduction et non d’ing ´enierie des connaissances, notre travail ne sera pas focalis ´e sur l’extraction d’ ´equivalences traductionnelles entre termes. Nous nous attacherons plut ˆot `a identifier les traductions de tout ´el ´ement lexical susceptible de poser des difficult ´es de traduction. Nous ´ecartons donc de notre sujet de recherche toute information relative `a la syntaxe, `a la stylistique ou `a la structuration du texte. Nous consid ´erons comme ≪susceptible de poser des difficult ´es de traduction≫ toute unit ´e

lexicale qui n’est pas pr ´esente dans le dictionnaire g ´en ´eraliste. De part cette d ´efinition, nous excluons certains termes techniques couramment employ ´es dans la langue courante et dont la

traduction est n ´ecessairement connue des traducteurs (ex.chimioth´erapie est un terme m ´edical mais sa traduction ne posera pas de probl `eme `a un traducteur professionnel). Par contre, nous incluons des ´el ´ements tels que patient-centred qui n’auraient pas leur place dans une terminologie mais qui peuvent poser des difficult ´es de traduction.

Ainsi, dans la suite du m ´emoire, notre emploi du vocable ≪terme≫ n’est pas `a prendre

dans son acception officielle23mais plut ˆot au sens d’unit ´e probl ´ematique pour le traducteur

technique≫.