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L’ESPACE THÉÂTRAL

Nous sommes d’accord, il est certes déjà fondamental d’avoir des idées révo- lutionnaires à propos d’une discipline, mais ce n’est que le premier pas vers la mise en œuvre. Et les quelques manifestes présentés plus tôt dévoilent effectivement une volonté de réformer le théâtre complètement, mais qu’est-ce que cela donne d’un point de vue scénographique ? Parce que oui, lorsqu’on lit tous les manifestes se rapportant au théâtre, on tente d’imaginer ce que cela devait donner sur scène. Les futuristes savent employer des mots qui font rêver. Ils parlent sans cesse de mouve- ment, de dynamisme, et même parfois de magie, mais la seule chose qu’il nous vient en lisant ces mots; et c’est surement leur intention primaire; c’est que l’on demande à voir. Il y a bien sur eu des manifestes plus directement scénographiques comme le célèbre manifeste d’Enrico Prampolini « L’atmosphère scénique Futuriste - Ma- nifeste Technique » sous-titré « Scène-synthèse, scène plastique - scène-dynamique - espace scénique polydimensionnelle - l’acteur-espace ». La première chose que l’on peut noter c’est que l’on retrouve exactement les mêmes mots qui sont apposés normalement au théâtre. Ensuite l’une des premières définitions que Prampolini fait de son idées utilisent des « représentations plastique de constructions scéniques magiques et irréelles. ». De toute évidence, les futuristes sont d’avantages armés pour faire rêver et développer l’imagination de leur lecteur que pour avoir un pro- pos réellement clair et évident. Ce n’est pas une nouvelle en soit quand on pense que le principal architecte futuriste Antonio Sant’Elia n’aura presque jamais dessiné d’intérieur à ses bâtiments fantastiques et mécaniques ne voulant pas contraindre son imagination. Parce que finalement c’est là la force des futuristes. Leur génie tient dans leur formulation violente, qui inspire et appelle aux rêves sans dire quelque chose de réellement clair ou réalisable. Ils font trop appel à l’irréel, et à la magie pour que tout dans leur programme soit réalisable. D’ailleurs ils n’auront pas tout réalisé. Mais c’est le mélange, d’une part de ses centaines et centaines de manifestes exceptionnels et de leur quelques réalisations, qui font que l’imaginaire futuriste a

II

traversé les décennies jusqu’à aujourd’hui. Si l’on rentre donc plus en profondeur dans les propos de Prampolini par exemple :

« la sphère d’action de la technique scénique futuriste entend : 1) Résumer l’essentiel à travers la pureté de la synthèse; 2) Rendre l’évidence dimension- nelle grâce à la puissance plastique; 3) Exprimer l’action des forces en jeu par le dynamisme. »

Prampolini pense jouer sa scénographie sur ces trois niveaux. Le premier bidimen- sionnel vient de la simplicité des formes. Les russes aborderont la scénographie de la même manière et c’est ainsi que le futurisme sera finalement assez souvent rap- procher du cubisme; une partie des futuristes russes se nommeront d’ailleurs les Cubo-futuristes. Le deuxième, tridimensionnel, vient donc du jeu constructif, du volume, que cela soit des constructions architecturée, ou des volumes. Rappelons le, l’acteur dans le futurisme, qu’il soit humain ou robotisé, est espace. C’est aussi la qu’entre en compte une quadridimension celle du dynamisme. La manière de formuler est en soit pour l’époque plus révolutionnaire que l’idée en elle même. Parce que ce que fait réellement Prampolini, c’est de déclarer que comme « Tout est théâtre », tout est aussi espace. Ces trois niveaux d’espace qui forment d’après lui un « triangle magique qui dessine et résume en même temps les trois physionomies dif- férentes de l’évolution technique de la scène futuriste » sont en somme une reprise des théories appliquées au théâtre. L’utilisation de la lumière est plus révolution- naire. Plutôt que de se contenter d’aplat de couleur, et de font de peinture, c’est la lumière, souvent coloré qui vient détacher des volumes, couper dedans et apporter une ambiance fondamentalement nouvelle à la scène. Avec la lumière, Prampolini réussit à déconstruire les théâtres, ce qui est primordial pour le futurisme puisque la plus part de leur pièce et synthèse théâtrale sont jouées dans des vieux théâtres, témoins de l’art passé. Pour conclure Prampolini écrit :

« L’espace est l’auréole métaphysique du milieu. Le milieu est la projection spirituelle des actions humaines. Quoi donc plus que l’espace rythmé dans le milieu scénique peut exalter et projeter le contenu de l’action théâtrale ? / La

ce passage, livré en italique dans le manifeste vient à la fois expliquer le principe de l’acteur-espace, mais aussi celui de la mécanisation de l’acteur. Parce que c’est un aller-retour constant que fait le futurisme sur le sujet. A la fois l’acteur est vecteur d’espace, à la fois l’espace doit être dramatisé et vecteur de son propre sens. L’espace ne doit plus être simplement une redite, une image de ce qui se passe sur scène. L’espace, la scène est son propre personnage, elle apporte un propos en plus à la pièce. C’est un point extrêmement important de la scénographie futuriste et cela expliquera que nombres de projets futuristes paraissent extrêmement abstraits et étrangement architecturés, ils sont traités comme le reste de leurs arts, comme un personnage à part entière et sont enfin détachés de leur fonction purement repré- sentative.

Il y a eu des dizaines d’autres manifestes futuristes, certains apparaîtront dans la suite du propos parce qu’ils sont intimement liés à des projets plus construits, d’autres sont justes moins notables pour le mouvement et n’ont pas leur place dans un propos qui ne peut être totalement exhaustif. Pour en finir avec ces premiers ma- nifestes et ce qu’ils en disent du futurisme en matière de théâtre et d’espace scénique, voici tout de même le texte du manifeste de Fortunato Depero « Théâtre magique » publié en italien dans le livre Depero Futuriste en 1927. Ce manifeste exhale, comme celui de Prampolini la liberté de l’artiste scénographe à créer librement comme tous les autres artistes. Il dévoile son amour pour la machine théâtrale, pour l’espace unique pour la scène et le parterre de spectateur, pour l’esthétique du cirque, pour les couleurs, la liberté, pour une certaine violence, pour un style italien internatio- nal. Mais aussi, en montrant son texte comme il a été publié, il prouve aussi que comme Prampolini le souhaitait, tout est espace, même un texte écrit en deux di- mensions et imprimé sur une feuille de papier.