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L’espéranto et la diversité culturelle

9) Luttez pour des lois et des institutions qui permettent le libre développement social, et donc le passage naturel d’une classe à l’autre

6.3. L’espéranto et la diversité culturelle

Le Mahatma Gandhi voyait dans l’anglais un instrument de l’impérialisme et du maintien des peuples en esclavage249. Au congrès “ Éducation en Europe ” d’Heidelberg, en 1992, le professeur de philologie Otto Back nous a mis en garde : L’anglais est le cheval de Troie des États-Unis en Europe. Il facilite l’introduction de la culture “Coca Cola” ou de l’American way of life (xliii) dans la vie des autres peuples. La plupart des gens en sont à peine conscients. La plupart du temps les jeunes, qui sont encore ouverts à tout ce qui est nouveau, n’en perçoivent pas le côté négatif. Mais d’autres ressentent que l’anglais présente un danger pour la diversité culturelle. Ils souhaitent que la

"mondialisation" soit autre chose que l’américanisation 250 du monde.

Le paragraphe 6.2.1. ci-dessus suffit à nous démontrer que rien de tout cela n'intervient par hasard. C'était au contraire pleinement planifié depuis longtemps. Cela dit, des chercheurs en

249 Gert Raeithel, "Wir wollen viel Wow" ("Nous voulons beaucoup de wow"; Wow, en argot allemand, désigne les mots ou bribes de mots anglais qui envahissent la langue allemande), Der Spiegel, 30 octobre 2000, http :

//www.spiegel.de/spiegel/21jh/0, 1518, 100378, 00.html.

250 En Allemagne, le mot Amerikanisierung, "américanisation", est de plus en plus utilisé, habituellement dans un sens péjoratif.

sociologie soulignent que l’américanisation ne se ramène pas à un simple impérialisme culturel. Un article paru dans le journal Die Zeit (xliv) propose de traiter la question de manière plus approfondie :

Aucun pays n’importe des produits provenant des États-Unis sans les adapter à son propre contexte.

C'est se fourvoyer que de réduire l’américanisation à un simple nivellement culturel. En réalité il s’agit d’un processus de constante différenciation des données culturelles, qui se déploie, en fait, à partir d’une standardisation universelle.

Cet article, intitulé “Objectif final : consommation”, conclut que les États-Unis ont déjà greffé sur l'Europe occidentale un nouvel idéal de vie qui fait table rase des nations, la “démocratie égalitaire” de la consommation, qui favorise aussi la compréhension entre les peuples :

Par le biais de la consommation on attaque le racisme et les tensions “religioso-culturelles”. En effet, chaque individu, quelles que soient sa couleur de peau, sa religion et sa culture d’origine, est un consommateur potentiel et, à ce titre, ne peut être exclu de la démocratie de la consommation251.

L’anglais ne se borne pas à exercer une influence culturelle, il met en outre en danger les langues nationales :

Du fait de la mondialisation, les langues sont menacées de disparition au même titre que de nombreuses espèces animales [...] La vague de l’anglo-américain se referme sur nous et menace de couler le navire linguistique allemand

pouvait-on lire dans le magazine allemand Der Spiegel (xlv) en octobre 2000. Suit tout un développement expliquant que l’anglais pénètre dès à présent, profondément, dans la structure de la langue allemande :

La grammaire de l’anglais s’enracine dans l’allemand, l’ossature de la langue est soumise à des changements morphologiques, des expressions étrangères à la langue entament son âme. “Faire de l’argent” to make money et “en gagner”, ce n'est pas la même chose.

Les opposants à l’anglicisation apportent encore un argument de plus : le manque d’esthétique linguistique, qui va de la prononciation à l’orthographe252.

Dans de nombreux pays des mouvements pour le maintien de la langue nationale ont vu le jour.

En Allemagne, le Verein Deutsche Sprache - Bürger für die Erhaltung der kulturellen Vielfalt in Europa ("Association pour la langue allemande – Citoyens pour le maintien de la diversité culturelle en Europe") comptait plus de 10.000 membres au bout de quelques années seulement. Une association du même ordre s’est constituée en Hollande : Taalverdediging - Bond tegen onnodig Engels "Défense de la langue – Union contre le recours superflu à l'anglais ”.253

En France plusieurs associations ont des objectifs similaires. M Marceau Déchamps vice-président de l’une d’elles, Défense de la langue française, signalait par Internet, en date du 26 Septembre 2003, journée européenne des langues, qu’un collectif international de treize associations dont le Verein Deutsche Sprache, avait rédigé un appel pour dénoncer l'hégémonie de la langue anglaise dans l'UE (kk) et demander que la question linguistique soit prise en compte rapidement par les responsables politiques avant qu'elle ne devienne une source de conflits et un motif d'éclatement de la communauté. Cet appel intitulé : "L’Europe sera multilingue ou ne sera pas" fut également envoyé, en France, à tous les députés et à la grande presse.

Les trois autres organisations, également membres de ce collectif, ayant pour vocation de défendre et/ou de promouvoir le français, sont :Avenir de la Langue Française, Droit de comprendre, L’Observatoire International de la Langue Française. Y figure également Linguarum democratia,

"démocratie des langues" qui, comme son nom l’indique, ne s’attache pas seulement à la défense du français.

La question se pose maintenant de savoir si l’introduction de l’espéranto peut contribuer à protéger la diversité culturelle. Au début, les espérantistes accordaient peu d’intérêt à la protection des langues nationales. Dans les années 20, un certain nombre d’espérantistes, encore sous le choc des effets destructeurs des sentiments nationaux ayant conduit à la première guerre mondiale, voyaient

251 Richard Herzinger, "Endziel Konsum" ("Objectif final consommation"), Die Zeit, 45/2000, http://www.zeit.de/2000/45/200045_amerika.html.

252 Gert Raeithel, (Der Spiegel, 30 octobre 2000), http : //www.spiegel.de/spiegel/21jh/0, 1518, 100378, 00.html.

253 Esperanto aktuell ("Espéranto d’actualité"), 5/2000, p. 6.

dans l’espéranto un moyen de combattre tout ce qui pouvait avoir un relent de nationalisme, y compris les langues254.

De nos jours la quasi-totalité des espérantistes tiennent au maintien de la diversité linguistique, et la plupart pensent que l’espéranto peut apporter à cette cause une importante contribution.

Dafydd ap Fergus, Gallois qui parle l’espéranto, nous explique qu’il a appris cette langue, entre autres, parce que :

l’espéranto est la seule et la dernière chance pour le gallois.255

Et dans le "Manifeste de Prague" élaboré pendant l'UK (fff) de 1996, on peut lire :

Nous sommes un mouvement en faveur de la diversité linguistique256.

D’où vient cette idée des espérantistes que leur langue peut contribuer à la protection des autres langues et cultures ? Pour certains c’est simplement parce que l’espéranto n’a pas pour but de remplacer les langues maternelles. D’autres ont étudié la question de manière plus approfondie.

Lorsqu’au printemps 2001 s’est ouvert sur Internet le forum officiel "eurolang2001" de «l’année européenne des langues 2001» l’espéranto s’est avéré le sujet de plus discuté. Une certaine Jette Milberg Petersen a manifesté en anglais son opposition à l’introduction de l’espéranto en écrivant :

Je crains que les autres langues ne disparaissent petit à petit

Voici la réponse que lui fit Claude Piron, psychologue suisse, ancien traducteur à l'ONU :

Oui, ce serait une très grande perte pour l’humanité. Mais je pense que le risque est beaucoup plus grand avec le système actuel de communication internationale. Faute d'une langue commune utilisée par des personnes d’origines linguistiques diverses, chacun apprend et essaie d’utiliser l’anglais. L’anglais contribue beaucoup à la disparition des langues. Par exemple, à Singapour, de nombreuses familles optent pour l’anglais et abandonnent leur propre langue, le mandarin, le hakka, le foukiénois, le malayalam, le tamoul..., si bien que les jeunes sont coupés de leurs racines culturelles. Cette évolution s’explique par les grands avantages de carrière dont bénéficient les personnes qui parlent l’anglais depuis leur plus jeune âge.

Les offres d’emploi explicitement réservées aux personnes “parlant l’anglais depuis la petite enfance”

abondent depuis quelque temps dans la presse israélienne. La raison en est que l'anglais est une langue très difficile à manier correctement, aussi la confiance se porte-t-elle uniquement sur ceux dont c'est la langue maternelle. Comme l’espéranto est beaucoup plus facile à apprendre et à utiliser, et qu'il est et restera sans doute une langue étrangère pour tous ceux qui l'emploient, on peut en faire usage à un niveau professionnel sans l’avoir entendu dans sa famille depuis sa plus tendre enfance.

Dans bien des pays européens, les parents font apprendre l’anglais à leurs enfants à un âge de plus en plus précoce. Beaucoup estiment qu’il faut l’apprendre comme une langue maternelle, car c’est la seule façon d’arriver à le maîtriser vraiment. On peut craindre que si cette tendance se maintient, l’anglais finisse par évincer les langues nationales, comme on le voit à Singapour.

Les partisans de l’espéranto pensent que la langue de Zamenhof ne peut pas menacer les autres idiomes. Les langues, disent-ils, subissent un préjudice quand des éléments linguistiques d’une nation se substituent aux éléments linguistiques d’une autre. L’espéranto n’étant la langue d’aucune nation, le risque d’un tel dommage ne se présente pas.

Notre intention n’est pas ici de contribuer à la polémique, parfois très passionnée, dont le sujet est : dans quelle mesure est-il important de protéger une langue contre l’influence d’une autre. Mais il n’est pas inutile d’analyser en toute sérénité la question de savoir s’il est vrai qu’une langue nationale comme l’anglais, ou internationale comme l'espéranto, peut causer de sérieux dommages.257

Pour y voir plus clair dans cette problématique, point n’est besoin d’imaginer une époque future où toutes les communications internationales se feraient dans la langue de Zamenhof. Il existe déjà des

254 Cf. Les mots de "Lanti" (Eugène Adam) fondateur de SAT (Association a-nationale mondiale) : "Le véritable a-national est celui qui utilise et applique la langue internationale comme instrument pour exclure et détruire les idiomes nationaux."

(Lanti, ou L’a-national, 1929, cité dans la brochure du séminaire/rencontre de SAT –jeunes à Rastatt 1988). Selon les informations reçues des membres actuels de SAT, "Lanti" ne voulait cependant pas exclure la diversité linguistique.

255 D’après un message de Dafydd ap Fergus dans la liste du diffusion : "Année des langues", 17 novembre 2000.

256 http ://www.esperanto.se/dok/manifesto.html (en espéranto et 21 langues nationales).

257 Ce type d’argument se trouve dans la brochure de László Gados, Langues: opération survie (Paris, 2001).

personnes qui, tous les jours, utilisent l’espéranto, pensent directement dans cette langue et se sentent très à l’aise dans cette vigoureuse communauté linguistique. Voyez par exemple les nombreux membres européens de la Tutmonda Esperantista Junulara Organizo (TEJO) "Organisation mondiale de la jeunesse espérantiste", qui utilisent l’espéranto, aussi bien par Internet que par téléphone ou à l’occasion des séminaires, sessions et congrès internationaux ou encore au cours de leurs voyages, notamment s’ils tirent parti des possibilités d’hébergement gratuit offert par le Pasporta Servo (ee). La section allemande de la TEJO édite une revue bilingue allemand-espéranto. Fin 1992 on y trouvait un article intitulé : “Kotizo für memzorgantoj gesenkt”, "Cotisation réduite pour membres subvenant eux-mêmes à leurs besoins”.258

Cette phrase (alternant des mots d’allemand et d’espéranto) met en évidence un fait qui apparaît plus souvent encore dans le langage parlé : entre jeunes Européens qui utilisent régulièrement l’espéranto, des fragments de cette langue pénètrent les langues maternelles. Cela se produit surtout quand il s’agit de notions ayant un rapport direct avec les activités de groupes espérantistes, c’est-à-dire avec la culture actuelle de l’espéranto. L’auteur de l’article en question, alors engagé dans le service civil et âgé de 19 ans, n’a sans doute pas pris conscience du mélange des langues.

Cela dit, l’influence de l’espéranto sur les autres langues est plus faible que l’actuelle influence de l’anglais et quand elle se présente, elle crée moins de dégâts. On le comprendra mieux en considérant les faits suivants.

En espéranto, les mots sont généralement plus longs – ont un plus grand nombre de syllabes – que leurs équivalents anglais ; les autres langues ne sont donc pas portées à les utiliser.

L’espéranto est plus souple et autorise plusieurs manières d’exprimer un même concept. Ainsi, par exemple, un Anglais s'exprimant en espéranto pourra dire, selon la structure de sa langue : mi estas 20-jaragxa, “je suis 20 ans âgé”, et un Français mi havas 20 jarojn, “j’ai 20 ans”, selon celle de la langue de Molière. Il y a donc de fortes chances pour que les éléments linguistiques de l’espéranto ne pénètrent pas aussi profondément dans le tissu des autres langues.

Quant à la prononciation et l’orthographe, l’espéranto est plus proche que l’anglais de la majorité des langues européennes. Par exemple, dans l’expression la sua love story (dans un magazine à potins italien) l’expression en espéranto amafero s’insérerait plus harmonieusement que l’anglais love story. Et la phrase déjà citée : Kotizo für memzorgantoj gesenkt est perçue plus agréablement que

“Fee für self-providers gesenkt.”

Enfin, remarquons que l’espéranto n’étant lié à aucune nation, son influence culturelle est nécessairement moins unidirectionnelle que celle de l’anglais.