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L’environnement, enjeu de sécurité

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Partie II : Vers une conception européenne de la sécurité environnementale

Section 1: Vers une autre approche de la sécurité face aux nouveaux enjeux globaux

1. L’émergence de la notion de sécurité environnementale

1.1. L’environnement, enjeu de sécurité

La notion de sécurité environnementale est intimement liée à l’histoire de l’homme dans son environnement naturel. Du plus loin que l’on regarde, il est très souvent possible de relier nombre de conflits et autres agitations de l’Histoire, soit à un phénomène de dégradation de l’environnement ou de modification du climat ayant engendré des tensions sociales, soit à une compétition pour l’accès aux ressources naturelles, fussent-elles essentifussent-elles à la survie du groupe ou convoitée en raison de leur valeur marchande.

Au niveau politique et juridique, le lien entre l’activité humaine, les dégradations environnementales et les tensions sociales a, ainsi, été reconnu dès l’Antiquité. Si la sécurité environnementale, à cette époque, ne porte pas encore son nom, les ressources naturelles et l’environnement en général, font déjà partie de la notion de puissance de l’État.

Ainsi Aristote, dans « la Politique », souligne déjà l’importance de l’environnement dans les besoins économiques et militaires de l’État idéal101. Platon dans

« la République », de même que Thucydide, dans « la guerre du Péloponnèse »102 dissocient, quant à eux, les sociétés vivant dans le cadre des limites produites par leur environnement naturel (Spartes) et celles dépassant ces limites et dépendant des importations des régions voisines (Athènes). Platon reconnait d’un côté aux Athéniens un certain dynamisme économique, mais qui intervient au détriment de vulnérabilités structurelles. Il conclut, ainsi, qu’une société respectant son environnement naturel est, dès lors, plus sûre103.

Au XVIIIe siècle, les écrits de Thomas Malthus signalent que, si la population devait augmenter plus vite que la production agricole, la différence entre l’offre et la demande serait source de famines, épidémies et conflits. Cette théorie, toujours de référence aujourd’hui, représente le fer de lance de la plupart des théories environnementalistes contemporaines104.

À l’issue de la deuxième guerre mondiale, c’est l’américain Fairfield Osborn qui questionnera le monde en ces mots : « Quand reconnaîtrons nous qu’une des principales

101ARISTOTE,Les politiques, I, 9, Flammarion, Paris, coll. GF-Philosophie, 2015, traduction de G.LEROUX.

102 THUCYDIDE, La Guerre du Péloponnèse, 6 Vols, traduction par J. DE ROMILLY, R.WEIL & L.BODIN. Thucydide, Paris, Les Belles Lettres, 1958-1972.

103 PLATON, La République, Paris, Flammarion, 2016, traduction de P.PELGRIN.

104 TH.MALTHUS, Essai sur le principe de population, réédition, Paris, Hachette, 2012.

causes de l’attitude agressive des nations et la principale cause de discorde actuelle entre un groupe de nations, provient de l’augmentation de la population et la diminution des terres agricoles »105.

Cependant, force est de constater que ces écrits anciens restent l’exception et il faudra attendre le XXe siècle et les années 1960-70 pour que, dans le sillage du mouvement environnementaliste, le lien potentiel entre environnement et sécurité devienne l’objet d’études structurées. C’est d’abord outre Atlantique que le mouvement voit le jour, avec des ouvrages qui marquèrent les esprits de leur génération, tel que « The Silent Spring » de Rachel Carson en 1962106, suivi par plusieurs auteurs anglo-saxons, qui contribueront à mettre en avant ce dossier brûlant107. Face à un monde de plus en plus incertain, la doctrine est alors à la recherche de nouveaux outils d’analyse.

L’actualité internationale, chargée de l’époque, interroge ainsi de plus en plus la communauté internationale sur le rôle de l’environnement dans l’émergence des conflits et autres tensions, régulièrement rapportées dans les media. Ainsi, en 1967, l’accès à défenseurs d’une approche environnementale de la sécurité109.

L’année 1972 marque un tournant dans l’histoire de la sécurité environnementale.

Cette année-là, les représentants de cent nations se retrouvent à Stockholm pour assister à

105 106 107

F. OSBORN, Our Plundered Planet, New York, Grosset & Dunlap, 1948, pp. 200-201, traduction libre.

R. CARSON, Silent Spring, Houghton Mifflin Company, 1962.

L.WHITE, “The Historical Roots of our Ecological Crisis”, Science , 1967, volume 155, n° 3767, pp.

1203ss.;

G.HARDIN, “The Tragedy of the Commons”, Science, 1968, volume 162, n° 3859, pp. 1243-1248; P. EHRLICH, The Population Bomb, New York, Ballantine Books, 1968; D.MEADOWS et al, Limits to Growth. New York, Universe Books, 1972.

108F.LASSERRE, « Conflits hydrauliques et guerres de l’eau, un essai de modélisation », Revue internationale et Stratégique, 2007, volume 2, n° 66, pp. 108-109.

109D.ZIERLER, The Invention of Ecocide: Agent Orange, Vietnam, And The Scientists Who Changed The Way We Think About the Environment, University of Georgia Press, 2011. M. CHEMILLIER-GENDREAU &

F. GENDREAU, « La guerre du Vietnam et l’agent orange », Revue européenne de droit de l’environnement, 2006, n° 4, pp. 413-416.

la première conférence des Nations Unies sur l’environnement110. Cette rencontre sera également suivie par la décision américaine de financer la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE)111. Les prémices d’une réaction internationale s’ébauchent alors avec, en particulier, en 1977, la signature par plusieurs États du Protocole additionnel I à la Convention de Genève sur la protection des victimes des conflits armés112 et, la même année, la signature de la Convention sur l’interdiction de toutes utilisations civiles ou militaires de techniques agressives de modification de l’environnement113.

La politique, soutenant souvent le scientifique, le monde des thinks tanks, très actif aux États-Unis, s’appropriera alors la question avec en particulier le célèbre Worldwatch Institute114 défendant, dans une perspective américano centrée il est vrai, l’environnement comme une question de sécurité nationale115. Ces idées seront ensuite reprises par le monde universitaire américain et, en particulier, l’Université de Princeton et nombreux autres auteurs dont le scientifique Norman Myers qui présente la sécurité environnementale comme notre « sécurité ultime »116.

Dans la conception aristotélienne, l’environnement naturel était envisagé comme un élément fondateur de la capacité stratégique de l’État. Ainsi, un État bénéficiant de terres fertiles et de ressources naturelles abondantes, voyait, par ce biais, sa puissance stratégique être renforcée. Évolution des sociétés oblige, les conceptions modernes, développées par la suite et vers lesquelles ce travail propose de s’orienter, envisagent plutôt le lien entre sécurité et environnement autour de la capacité de l’État à protéger ses

110 Pour un commentaire sur les origines de la Conférence de Stockholm, voy. A.KISS &J.-D.SICAULT, « La Conférence des Nations Unies sur l'environnement (Stockholm, 5/16 juin 1972) », Annuaire français de droit international, 1972, volume 18, n° 1, pp. 603-628.

111 Le PNUE est créé le 15 décembre 1972, par la résolution 2997, lors de la XXVIIe Assemblée générale des Nations Unies intitulée « Dispositions institutionnelles et financières concernant la coopération internationale dans le domaine de l'environnement ».

112 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), adopté le 8 juin 1977 par la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés, entré en vigueur le 7 décembre 1978, RTNU, 1979, volume 1125, n° 3.

113 Convention sur l’interdiction de toutes utilisations civiles ou militaires de techniques agres sives de modification de l’environnement (Convention ENMOD), 10 décembre, 1976 ; pour un commentaire sur la genèse de cette convention, voy. G. FISHER, « La Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins hostiles », Annuaire français de droit international, 1977, volume 23, n° 1, pp. 820-836.

114 L. R. BROWN, Redefining National Security, Worldwatch Paper, 1977, 14, http://www.eric.ed.gov/ERICDocs/data/ericdocs2sql/content_storage_01/0000019b/80/35/7e/ca.pdf, pt. 4.

115 Ibid.

116N. MYERS, Ultimate Security: the Environmental Basis of Political Stability, New York, 1993, p. 31.

institutions sociales, économiques et politiques, ses citoyens et à garantir la stabilité internationale. Ces nouvelles conceptions sont le reflet de l’évolution des relations internationales et de l’abandon ou, du moins, de la remise en question, d’une vision westphalienne de la société internationale. L’utilisation du concept, aujourd’hui, est donc plus marquée par une volonté de prévention des conflits et de stabilité de la communauté internationale que par l’affirmation de la suprématie d’un État sur ses voisins. Cette transition est généralement située, par la doctrine, à la fin de la guerre froide117. Pour Nils-Petter Gleditsch et Barry Buzan, ainsi, la fin de la guerre froide marquerait la fin des conflits interétatiques basés sur l’idéologie118.

L’apparition de nouvelles menaces, inconnues auparavant, non conventionnelles et surtout transnationales remet, en effet, en question une vision de la sécurité, qui n’avait quasiment pas évolué depuis l’Antiquité et, en fissurant ce concept traditionnellement très fermé, ouvre la porte à l’étude de concepts nouveaux, tels que la sécurité environnementale119.

Vingt ans après Stockholm, ce sera le Sommet de la terre, organisé à Rio, dans le contexte favorable post-guerre froide, qui offrira une opportunité unique d’approfondissement de la question, tant par les autorités publiques, que par la communauté scientifique120. Ce sommet fait cependant suite à une décennie, où la question de sécurité environnementale avait sensiblement perdu de son actualité, tout en gardant ses défenseurs de l’origine.

Période sombre donc, pour la sécurité environnementale, à l’exception notable, en 1987, de la publication du Rapport Brundtland « Our Common future »121, qui retiendra l’attention de nombreux praticiens en affirmant que « le stress environnemental peut être

117 B. BUZAN, O. WAEVER, & J. DE WILDE, Security: A Framework for Analysis, London, Lynne Rienner Publisher, 1998, pp. 1-4, 7 et 9; N. P. GLEDITSCH, “Environmental Change, Security, and Conflict” in, A. CHESTER, F. CROCKER, O. HAMSPON & P. AALL (eds.): Turbulent Peace. The Challenges of Managing International Conflict, Washington D.C, United States Institute of Peace Press, 2001, p. 78; C.RØNNFELDT,

“Three Generations of Environment and Security Research”, Journal of Peace Research, 1997, volume 34, n° 4, pp. 473-474; CH. TIMURA, “Environmental Conflict and the Social Life of Environmental Security Discourse”, Anthropological Quarterly, 2001, volume 74, n° 3, p. 105; R.ULLMAN, “Redefining security”, International Security, Cambridge, MIT Press, 1983, pp. 133; O. THEISEN, “Other Pathways to Conflict? Environmental Scarcities and Domestic Conflict”, Paper presented to the 47th Annual Convention of the International Studies Association. San Diego, CA, March 22e25. <http:// www.isanet.org/archive.html, p. 5.

118 N.P.GLEDITSCH &B.BUZAN, op. cit.

119R.FLOYD &R.MATTHEW, Environmental Security, Approaches and Issues, London, Routledge, 2013, p. 17.

120Voy. Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, 12 août 1992, A/CONF.151/26 (Vol. I).

121 Brundtland Commission, Our Common Future, Report of the World Commission on Environment and Development, 1987.

source de conflit ». Dans le contexte pré-Rio, c’est surtout aux États-Unis que l’impact politique de la sécurité environnementale sera le plus visible, dans un pays à la recherche de nouvelles perspectives pour sa politique de sécurité. C’est à cette époque que l’on verra, entre autres, apparaître un nouveau Sous-Secrétariat d’État à la sécurité environnementale, au sein même du Ministère de la Défense122. C’est également au même moment que sera introduit le concept de « défense préventive » (preventative defense), un concept qui inclut la sécurité environnementale comme fondement de la coopération militaire sur des questions telles que la gestion des équipements militaires nucléaires ou le développement de standards environnementaux, à la fois dans la formation des militaires et sur le terrain123.

La mise en œuvre du concept est balbutiante, principalement liée à la question militaire et souvent contestée au niveau national. Elle ouvre pourtant la porte à de nombreux commentaires de la part de la communauté scientifique, permettant ainsi l’apport d’éléments nouveaux dans la définition de la notion. Les débats se concentreront donc, à cette époque, principalement sur une vision moderne et élargie de la notion de sécurité qui inclurait, entre autres, l’environnement comme un des facteurs de conflits.

Une des questions âprement discutée, dans ce contexte, est la nature du sujet référent en matière de sécurité. Pour la première fois, la prédominance de l’État en la matière est contestée, au profit de l’individu124, ou même de la biosphère selon les théories de Norman Myers125. Ce travail, sur une nouvelle définition de la sécurité, est largement suivi sur le continent européen par les écoles scandinaves et suisses principalement126. Certaines écoles de pensée, comme « l’école de Copenhague » se concentrent plus particulièrement sur les nouveaux enjeux de sécurité, et le phénomène

122 Un poste occupé par Sherri Goodman de 1993 à 2001 ; Sur la façon dont la recherche dans le domaine de la sécurité environnementale a pu, à l’époque, influencer la politique étrangère américaine, voy. P. HARRIS, International Equity and Global Environmental Politics: Power and Principles in US Foreign Policy, Aldershot, United Kingdom, Ashgate, 2001.

123 W. CHRISTOFFER, In the Stream of History, Shaping Foreign Policy for a New Era, Stanford, Standford University Press, 1998.

124J.MATHEWS, 1989, op. cit.; P.MISCHE, “Ecological Security and the Need to Reconceptualize Sovereignty”, Alternatives, 1989, volume 14, n° 4, pp. 389-427; P. MISCHE, “Security Through Defending the Environment:

Citizens Say Yes!”, in E.BOULDING (ed.), New Agendas for Peace Research: Conflict and Security Reexamined, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1992, pp. 103-119; M. RENNER, National Security: The Economic and Environmental Dimensions, Worldwatch Paper, 1989, n° 89, Worldwatch Institute; G.PRINS, “Politics and the Environment”, International Affairs, 1990, volume 66, n° 4, pp.711-730; N.MYERS, 1983, op. cit.

125N.MYERS, 1983, op. cit., p. 31.

126Voy. par exemple, B.BUZAN,O.WÆVER &J.DE WILDE, Security: A New Framework for Analysis, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1998.

de sécurisation qui les entoure127. D’autres théories incluent, elles, des éléments tels que l’identité, les civilisations ou même les systèmes comme sujet central de la sécurité128. Il en résulte, à cette époque, un foisonnement d’études et de théories qui restent, aujourd’hui encore, un matériel de référence pour une meilleure compréhension de la sécurité environnementale.

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