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L’ENS de la rue d’Ulm, matrice de l’engagement international

L’après-guerre est partagé entre la volonté de faire payer l’Allemagne et celle de tendre la main à l’ennemi d’hier pour assurer une paix en Europe. Ce moment historique est particulièrement dur, car au lendemain de la guerre, les Etats se relèvent difficilement : en France, « on recense au total 3 millions d’hectares de terres cultivables dévastées, plus de 600'000 maisons d’habitation détruites ainsi que 23'000 établissements industriels et 17'000 édifices publics, 60'000 kilomètres de routes et 5'000 kilomètres de voies ferrées hors d’usage »52. Les sentiments et les attentes sont très partagés. La vie est chère, le ravitaillement pose encore des problèmes et la réintégration des démobilisés constitue un énorme défi. Si chacun aspire à retrouver le plus rapidement possible une vie normale, la question du sort réservé à l’Allemagne divise profondément les Français. Pour les uns qui la considèrent un peu rapidement comme l’unique responsable du conflit, elle doit payer des dommages et intérêts substantiels, tandis que pour les autres, le paiement justifié de dommages et intérêts ne doit pas faire oublier un but à atteindre rapidement : une paix durable passe par la réintégration de l’Allemagne dans le concert des nations. Ces questions imprègnent véritablement la politique française des années 1920 et la victoire du Cartel des Gauches lors des élections de mai 1924 semble faire pencher le pays vers un dialogue constructif et ferme vis-à-vis de l’autre côté du Rhin.

Un certain internationalisme53 émerge aussi dans les pensées de quelques normaliens et hommes politiques au début des années 1920. Cette réflexion les

52 Guieu (Jean-Michel), Gagner la paix. 1914-1929, Paris, Editions du Seuil, l’Univers historique, 2015, p. 169.

53 Kott (Sandrine), Cold War Internationalism, dans Sluga (Glenda) et Clavin (Patricia) sous la direction de, Internationalisms. A Twentieth-Century History, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, p. 340-362.

Voir le début de l'article qui propose une réflexion sur la notion d'internationalisme, p. 340-343.

conduit à la nécessaire reconstruction d'une France réconciliée avec l'Allemagne dans un continent européen durablement pacifié. Ainsi, un certain nombre de personnes voit dans la création des organisations internationales l’un des moyens les plus sûrs de parvenir à une paix durable sur le Vieux-Continent et dans le monde, d'autant plus que ces dernières représentent non seulement une réponse aux revendications des syndicats socialistes réformistes mais aussi une alternative à la révolution russe dont les idées se diffusent en Europe occidentale au lendemain de la guerre. Elles placent de grands espoirs dans les organisations internationales considérées comme les garantes d'une ère nouvelle basée sur davantage de coopération internationale.

Dans une étude originale du milieu français de la Société des Nations dans l’entre-deux-guerres, l’historienne Christine Manigand cherche à mieux cerner cette communauté composée des délégués qui rallient toutes les années les bords du Léman pour la traditionnelle assemblée du mois de septembre et des fonctionnaires qui vivent et travaillent à Genève. Elle trace ainsi toute une série de portraits et essaient de mettre au jour les liens de cette communauté française bien vivante et bien représentée. Elle note par exemple que les différentes délégations françaises comportent très souvent des personnalités politiques de premier plan, telle la figure centrale de Léon Bourgeois (1851-1925) qui a notamment participé aux travaux préparatoires de la SdN, ou alors Edouard Herriot qui dirige la délégation en 1924, alors qu’il est président du Conseil des ministres. L’historienne rappelle aussi la présence à Genève de nonante-neuf fonctionnaires sur les cinq-cent-septante-trois recensés en 192854. Or, il se trouve qu’une certaine quantité d’entre eux sont issus de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, à tel point que l’historienne utilise en parlant d’eux l’expression des « Normaliens de Genève »55. Elle désigne notamment la présence du directeur du BIT Albert Thomas qui, nous le verrons ultérieurement, est arrivé à Genève en 1924 avec une partie de son équipe

54 Manigand (Christine), Les Français au service de la Société des Nations, Berne, Peter Lang, 2004.

55 Ibid., p. 52.

constituée de ses condisciples de la rue d’Ulm dont la plupart des personnages centraux de notre travail sont issus.

Ce chapitre s’intéresse en particulier à l’ENS et montre en quoi elle a constitué pour les familles Dupuy-Maurette-Vigier, et probablement pour les autres fonctionnaires français à Genève, la matrice de leur engagement international.

Cette question fait écho au livre déjà cité de Christine Manigand en prolongeant sa réflexion par une question toute simple : pourquoi a-t-on retrouvé autant de normaliens dans les organisations internationales de l’entre-deux-guerres ? Dans cette optique, nous souhaitons proposer une relecture de l’histoire de l’ENS de la rue d’Ulm en cinq parties. Premièrement, nous rappelons quelques caractéristiques générales de cette école en insistant sur ses principales originalités. Ensuite, nous analysons l’ancrage particulièrement fort, en dépit de relations parfois compliquées avec le monde politique, de cette Ecole dans la IIIe République. Puis, nous nous attachons à dégager des « marqueurs internationaux » au sein de l’institution. En d’autres termes, nous faisons l’hypothèse que le cursus proposé à la rue d’Ulm favorise largement une carrière internationale, en dépit du fait que l’enseignement des langues étrangères y est plutôt lacunaire et les relations avec l’étranger peu développées. Nous accordons une attention particulière au Centre de documentation sociale qui est un organisme spécifiquement en lien avec les organisations internationales. Ce Centre mérite que l’on s’y attarde quelque peu, étant donné que les différentes histoires de l’Ecole consultées en ignorent largement les contours et le fonctionnement.

Une fois le décor planté, la deuxième partie du chapitre aborde un personnage emblématique sous deux aspects, celui du surveillant général Paul Dupuy. D’abord, nous en dresserons un bref portrait, puis nous tentons de comprendre les prémisses de son engagement international par le biais de sa fonction à la rue d’Ulm : qu’en dit-on ? Comment la pratique-t-il ? Si nous souhaitons nous arrêter sur ce personnage, c’est en raison d’une longévité partagée avec son complice, le bibliothécaire Lucien Herr. Dupuy a véritablement incarné l’Ecole durant plus de quarante années passées, soit entre 1881 et 1925, à tel point que les deux se confondent parfois.

Les troisième et quatrième parties de ce chapitre évoquent deux moments clé pour la rue d’Ulm, l’affaire Dreyfus et la Grande Guerre. L’ENS fut véritablement le foyer de la conscience dreyfusarde, plus particulièrement la bibliothèque, et le lieu d’émergence du socialisme et de grandes carrières comme celle de Jean Jaurès.

Durant la guerre 1914-1918, Dupuy et sa famille ont vécu de façon intense à la rue d’Ulm, transformée en hôpital.

Enfin, nous terminons ce premier chapitre en évoquant le parcours déjà bien connu d’Albert Thomas, premier directeur du BIT. A sa façon, l’homme synthétise à lui seul tous les points de ce chapitre. Normalien de la promotion L 1899, soit un an avant Fernand Maurette, autre acteur clé de l’histoire du BIT, Thomas est l’un des personnages les plus en vue du socialisme normalien issu notamment de l’affaire Dreyfus. Proche de Jaurès et ministre fortement engagé dans le socialisme de guerre56, Thomas prend les commandes d’un BIT dont il est le principal architecte sur les bords du Léman.

Ces cinq éléments mis bout à bout nous servent donc à démontrer que ces conditions de départ sont propices à de futurs engagements internationaux. En d’autres termes, les Vigier, Maurette et Paul Dupuy ne sont pas arrivés par hasard à Genève au début des années 1920.

3.1 Quelques caractéristiques générales de l’Ecole

3.1.1 Début et développement au XIXe siècle

Fondée sous la Révolution française, l’Ecole normale supérieure a vécu des premières années très difficiles qui ont pu menacer son existence à certains moments. Les débuts en 1794 sont pourtant novateurs puisque pour la première fois, l’Etat républicain se mêle véritablement d’enseignement en prenant le relais des congrégations religieuses. D’autre part, quelques marques de fabrique de la rue

56 À ce sujet, voir notamment Lazarovici (Florent), L’organisation du ministère de l’Armement sous Albert Thomas : une expérience socialiste ou technocratique ? dans Ducoulombier (Romain) sous la direction de, Les socialistes dans l’Europe en guerre. Réseaux, parcours, expériences, 1914-1918, Paris, L’Harmattan, 2010, p.

55-72.

d’Ulm apparaissent déjà à cette occasion. Par exemple, l’Ecole dispense moins de cours magistraux et fait davantage place aux discussions entre professeurs et élèves.

L’importance donnée aux matières scientifiques constitue une autre originalité de l’Ecole, dans une période de prédominance quasi absolue des matières littéraires.

Enfin, le souci de la pédagogie est également présent au sein d’une institution dont l’objectif premier reste la formation des futurs enseignants.

L’expérience initiale ne dure pourtant qu’une année, mais Napoléon recrée l’Ecole en 1810 pour les besoins de son université impériale. A cette époque déjà, les normaliens pratiquent la science avec acharnement, de cinq heures du matin à dix heures le soir six jours sur sept, et sont solidement encadrés par la monarchie et la religion dans l’internat de la rue d’Ulm, où la vie communautaire cimente l’esprit de corps et de solidarité57.

Le véritable envol de l’Ecole peut se situer en 1830 au moment où elle retrouve son nom et s’installe à son emplacement actuel. L’historien Victor Cousin (1792-1867) en prend la tête en 1835 et la réorganise. Trois ans d’études constituent désormais le cursus pour une première année dévolue à la licence, la seconde l’étant pour du travail personnel. Durant la dernière année, les normaliens préparent l’agrégation et effectuent un stage pédagogique dans un lycée. Sous Cousin, Pierre Jeannin note que le règlement était strict : « une sortie hebdomadaire le dimanche, silence en étude et au réfectoire, déplacements chronométrés et surveillés, lectures et divertissements contrôlés »58. De même, la mauvaise qualité de la nourriture et un logement déplorable nécessitent rapidement la construction d'un nouveau bâtiment. La loi préparée sous l’égide de Cousin est votée en 1841 et promulguée le 24 avril de la même année. Le bâtiment, conçu comme un monastère, est inauguré le 4 novembre 1847 en présence notamment de Victor Hugo et d’Adolphe Thiers.

Dès le début, un homme prend possession des locaux en créant un laboratoire dans un coin de grenier : il s’agit du chimiste et futur directeur des études scientifiques, Louis Pasteur (1822-1895).

57 Pour une histoire plus anecdotique de l’Ecole dans laquelle ces caractéristiques sont abordées sous la forme de témoignages, voir Peyrefitte (Alain), Rue d’Ulm. Chroniques de la vie normalienne, Paris, Fayard, 1998.

58 Jeannin (Pierre), Deux siècles à normale sup’. Petite histoire d’une grande école, Paris, Larousse, 1994, p. 55.

La révolution de 1848 agite fortement l’Ecole et les normaliens y prennent une part active. Une partie, ou la totalité des obligations religieuses est supprimée dans cette agitation révolutionnaire, ce qui rend l’Ecole suspecte aux yeux du parti de l’ordre.

« L’Ecole chérissait au plus haut point l’esprit critique, le goût universitaire de la libre et franche discussion ; elle y ajoutait une irrévérence intolérable »59. Un autre événement a un impact important sur l’Ecole, la guerre franco-allemande de 1870.

Des obus allemands endommagent les bâtiments, un certain nombre de normaliens s’engagent dans des unités combattantes et l’Ecole accueille également une ambulance. C’est aussi durant cette période que les élèves s’intéressent à la politique et aux problèmes sociaux. Contrairement à ce qu’écrira plus tard Hubert Bourgin60, ce ne sont donc pas le surveillant général Paul Dupuy et le bibliothécaire Lucien Herr qui ont introduit la politique à l’Ecole par le biais de l’affaire Dreyfus.

La défaite de 1870 est attribuée essentiellement aux progrès scientifiques et à l’organisation des études. En France, des réformes sont faites dans l’enseignement supérieur : certaines matières bénéficient ainsi d’un regain d’intérêt, comme l’enseignement des langues, et surtout la géographie fait son entrée à la rue d’Ulm en la personne de Paul Vidal de La Blache.

Le père de la géographie française y imprime durablement sa marque et fait découvrir cette science naissante à beaucoup d’historiens. Maître de conférences en 1877, Vidal devient sous-directeur des études littéraires de 1881 à 1898, avant de quitter l’Ecole pour la Sorbonne. Durant cette période, il cohabite parfois difficilement avec le numéro deux de l’institution, Louis Pasteur, qui fait régner un ordre quasi-militaire et prend l’Ecole pour une caserne. Deux personnages emblématiques se chargeront de ramener un peu plus de liberté à la rue d’Ulm : il s’agit du surveillant général Paul Dupuy, actif de 1881 à 1925, et du bibliothécaire Lucien Herr, qui conseille les étudiants entre 1888 et 1926. L’encadrement s’adapte

59 Jeannin (Pierre), Op. cit., p. 67.

60 Bourgin (Hubert), L’Ecole Normale et la politique (de Jaurès à Léon Blum), Paris, Librairie Arthème Fayard, 1938, p. 93.

également et les surveillants deviennent des « caïmans » : en d’autres termes, le surveillant d’internat est moins chargé de faire régner l’ordre dans l’établissement que de prodiguer conseils et conférences aux plus jeunes. Ce poste permet surtout à des anciens normaliens nourris et logés sur place de terminer leur thèse dans de bonnes conditions. Les géographes ont bien profité de cette amélioration. Albert Demangeon cède sa place de « caïman » à Fernand Maurette et lorsque ce dernier quitte Paris pour Genève, c’est un autre géographe qui le remplace en la personne de Roger Dion (1896-1981), lequel succède en 1925 à Dupuy comme surveillant général. Malgré tout, les conditions matérielles sont toujours difficiles : le personnel est insuffisant, les bâtiments vétustes et la tuberculose fait encore des ravages chez les élèves61.

3.1.2 Les liens entre l’Ecole et la IIIe République

Dans une étude récente consacrée à ce régime politique issu de la défaite de 1871, deux images fortes apparaissent en couverture du livre62. Ces deux images sont contradictoires, car elles symbolisent la guerre et la paix par les progrès scolaires.

La première image montre une salle de classe avec une institutrice à sa tête. Elle témoigne non seulement d’une certaine accession des femmes au monde du travail, mais aussi l’importance primordiale accordée à l’éducation par la IIIe République.

La seconde image évoque le versant sombre du régime auquel est associée la conquête coloniale en Afrique et en Asie. Yves Deloye, un des contributeurs du livre, rappelle d’ailleurs que dès la rentrée 1882, l’école est gratuite, laïque et obligatoire et que d’autre part, l’école républicaine reçoit trois objectifs très clairs : favoriser le partage des valeurs communes permettant d’asseoir la République, contribuer à démocratiser l’accès au savoir et sélectionner les talents pour l’économie63.

61 Jeannin (Pierre), Op. cit., p. 138.

62 Fontaine (Marion), Monnier (Frédéric), Prochasson (Christophe), Une contre-histoire de la IIIe République, Paris, Editions La Découverte, 2013.

63 Deloye (Yves), L'école républicaine est méritocratique, dans Fontaine (Marion), Monnier (Frédéric), Prochasson (Christophe), Une contre-histoire de la IIIe République, Paris, Editions La Découverte, 2013, p. 124-138. La citation se trouve en pages 128-129.

L’ENS appartient pleinement à ce dispositif visant à renforcer la République et aussi à rattraper le retard scientifique et culturel sur l’Allemagne64. Cette implantation de plus en plus solide dans la République se vérifie d’abord par le mode de recrutement opéré dans tout le pays. Des instituteurs et des inspecteurs détectent les élèves les plus prometteurs et octroient des bourses d’études aux élèves les moins favorisés. Par conséquent, le niveau augmente fortement car l’Ecole s’efforce d’accueillir les meilleurs étudiants, au prix d’une sélection précoce des talents. Cependant, « il apparaît clairement qu’en 1895, tant en lettres (11.7% des reçus) qu’en sciences (6.3%), le concours remplissait parfaitement ses fonctions de sélection méritocratique et requérait des candidats et de leurs familles des efforts intellectuels (et financiers) dont ils attendaient évidemment un profit sûr et maximum en termes de rentabilité sociale et professionnelle »65. En plus, la fréquentation de l’ENS constitue une préparation idéale pour le concours d’agrégation. Cesse-t-elle pour autant d’être parisienne pour toucher l’ensemble de la population ? Pas vraiment, car les normaliens proviennent principalement de la bourgeoisie, avec une prédominance parisienne. Il y a donc très peu, voire aucun enfant d’ouvrier ou d’agriculteur, Jaurès et Thomas restant des exceptions.

Dans la filiation de ses étudiants, une certaine quantité de parents sont des enseignants, voire ont fréquenté eux-mêmes la rue d’Ulm, pouvant donner du crédit à l’expression utilisée souvent en parlant de la IIIe République : la République des professeurs. Expression quelque peu galvaudée, étant donné que

« son vivier naturel était représenté par le monde des classes moyennes (15 à 20%

peut-être de l’ensemble de la société française) dont l’essor, lié à la modernisation économique du pays, a accompagné, sinon permis, l’instauration de la République »66.

L’intégration dans la République se fait aussi par l’engagement militaire des normaliens. Lors de la guerre de 1870, les normaliens s’engagent dans les unités

64 Le Centenaire de l'École normale 1795-1895, Paris, Hachette, 1895 ; édition du bicentenaire (avec une introduction de Jacques Verger), Paris, Presses de l'École normale supérieure. Paris, 1994, p. 64.

65 Ibid., p. 43.

66Ibid., p. 55.

combattantes et l’Ecole sera bombardée. Ce qui a fait dire à Pierre Jeannin qu’ « en participant activement, malgré la traditionnelle exemption universitaire, à la défense nationale, l’Ecole avait montré qu’elle savait joindre à l’esprit frondeur le courage civique »67. Dès 1889, la loi impose aux futurs normaliens une année de service militaire avant d’entrer à la rue d’Ulm. A l’approche de la guerre, la loi de 1913 rétablit les trois ans de service militaire, ne faisant que renforcer la charge militaire. En effet, « avant de servir deux ans comme sous-lieutenants dans les écoles d’application et les corps de troupes, les élèves étaient, pendant leur séjour rue d’Ulm, soumis à des obligations très lourdes »68. Il est clair qu’en défendant la République plusieurs fois menacée, l’Ecole acquiert la réputation d’une fidélité au régime politique, d’autant plus que les normaliens sont plutôt libéraux, anti-monarchistes, critiques et de moins en moins croyants. Le cadre républicain leur permet donc de mieux s’épanouir et la légitimité politique de l’Ecole va s’accroître avec l’affaire Dreyfus, comme nous le verrons ultérieurement.

Dans l’entre-deux-guerres, les normaliens investissent également la politique.

L’historien Jean-François Sirinelli a étudié les promotions littéraires de 1920 à 1931, issues des khâgnes des principaux lycées parisiens, qui préparent le concours d’entrée de la rue d’Ulm. Selon ses observations, plus de 35 % des élus sont des normaliens, principalement issus des partis de gauche69. Parmi le personnel politique de cette époque, trois hommes se détachent incontestablement. Edouard Herriot préside le Conseil en 1924, Paul Painlevé (1863-1933) le préside à deux reprises en 1925, tandis que Léon Blum (1872-1950) dirige la SFIO. Sans oublier l’action parlementaire de Jean Jaurès (1859-1914).

Les liens entre la IIIe République et l’Ecole nous renvoient également à un texte publié et dans lequel ces liens sont réaffirmés. Il s’agit d’une notice historique de soixante-neuf pages insérée dans un volume de près de sept cents pages publié à

67 Jeannin (Pierre), Op. cit., p. 101.

68 Ibid., p. 171.

69 Sirinelli (Jean-François), Génération intellectuelle : khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1988, p. 128.

l’occasion du centenaire de l’Ecole en 1895. Grand artisan de cette publication, Dupuy nous livre des informations historiques très spécifiques sur les débuts de cette institution et ses péripéties tout au long du XIXe siècle. Les informations recoupent dans les grandes lignes ce que nous avons déjà lu et écrit plus haut. Sans surprise, elles donnent de l’Ecole une image très positive et présentent son évolution comme un ensemble cohérent. Dupuy n’hésite pas à tracer une filiation claire entre elle et la Révolution française. Or, il est permis de s’interroger sur cette façon de faire de l’histoire, car l’institution de la fin du XIXe siècle et celle des débuts ne correspondent pas. En effet, l’Ecole a été fermée en 1795 après seulement un an d’existence, avant d’être refondée par le décret napoléonien du 17 mars 1808.

Pour Bruno Belhoste, « c’est surtout la volonté républicaine de rattacher les origines de l’Ecole à la Révolution qui explique ce choix de mémoire,

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