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PARTIE  II  ­ L’ASSIGNATION INSTITUTIONNELLE ET/OU SOCIALE À LA CATÉGORIE « ENFANTS DES RUES », 

12.   C ONCLUSION : UNE TYPOLOGIE NOVATRICE ISSUE D ’ UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE DE COMPRÉHENSION DE

12.2   L’enfant-observateur (éveillé et prudent) 177

Il est dans une posture intermédiaire. Il a conscience des injustices sociales, des caractéristiques de son environnement, mais il n’est pas en révolte. Il analysera les situations et subjectivement décidera de son meilleur intérêt selon les circonstances rencontrées. Il analyse. ❖ Idéal-type 5 : Selon les violences, les difficultés rencontrées dans sa communauté d’origine, il tentera de comprendre s’il a un intérêt à opter pour une autre voie. Sa perspective est réfléchie selon ses capacités. Il décidera de partir vers la rue selon son calcul risques- bénéfices potentiel. Il saisira donc ou non les opportunités rencontrées (le départ d’un ami, l’espoir d’un eldorado dans la grande ville, la promesse d’un emploi). Il n’a pas la fougue de l’enfant révolté, mais sa capacité à survivre est grande.

« Je suis à Sindhuli, chef-lieu du district de Sindhuli situé à ± 4 heures de la capitale.

L’organisation CPCR y organise un soutien à une centaine de familles. Je profite de

mon passage pour rencontrer individuellement une dizaine d’enfants dont j’avais repéré le profil (grâce aux dossiers complets reçus). Parmi eux, Ganga, 13 ans : Je vois dans le rapport du psychologue qui le suit qu’il le considère comme très éveillé et analyste. Je vois également que sa situation de pauvreté est inquiétante (pas de papa, maman seule et sans-emploi, pas de terre, pas de maison) :

« Oui, la situation est difficile. Je suis l’aîné. Je pense partir, j’en ai déjà discuté. Les gens de l’ONG me disent de rester et d’aller à l’école. Mais il faut que je mange et ma maman n’arrive plus. En plus, j’ai une petite sœur aussi. Pour l’instant, j’écoute,

j’entends ce que me disent des grands qui sont partis et revenus.

On m’a parlé d’un cousin qui a un petit magasin à Katmandou. J’ai demandé à ma mère de le contacter, mais elle ne trouve pas son numéro de téléphone. J’ai vu les films de prévention disant qu’il ne fallait pas partir en rue, je suis conscient qu’il y a des dangers et je n’ai pas envie de devenir un “kathe”, mais bon, ici, ce n’est pas tenable. Il faut que je trouve une solution. Pourquoi ne soutenez-vous pas ma mère financièrement ? me demande-t-il m’associant aux dirigeants de l’ONG qui l’héberge. Euh, ce n’est pas le programme, nous n’avons l’argent que pour payer l’école, l’uniforme et les snacks.

C’est dommage, me répond-il. Enfin, on verra, je dois trouver un bon chemin et alors

je partirai et je réussirai… » (Notes de terrain du 18 novembre 2015)

❖ Idéal-type 6 : Il découvrira la rue progressivement, analysant les risques. S’ils sont trop grands, il rentrera dans le village. S’il rejoint un groupe de survie, il analysera les connexions nécessaires, les alliances utiles. Pour reprendre à nouveau les catégories de Rachel Baker et Catherine Panter-Brick, il optera pour une posture de migrant temporaire ou si nécessaire d’enfant en exil. Il rentrera chez lui lorsqu’il y sera présentable (en ayant réussi ou en trouvant une parade, par exemple, ramener 1 000 NPR et de beaux vêtements). Il n’est généralement pas dans une perspective de séparation totale puisqu’il garde une possibilité de repli si le contexte quotidien de la rue devient trop lourd. En rue, il optera parfois pour un isolement, choisissant de ne pas subir l’autorité du chef d’un groupe de survie, il s’approchera alors d’un adulte capable de le protéger.

Depuis 5 ans, Arjun vit avec un vieil homme, au bord de la rue. Il a trouvé auprès de lui, sollicitude et protection. Arjun a environ 13 ans. L’homme habitait une petite masure et Arjun s’y trouvait bien. « J’ai beaucoup réfléchi, la manière de vivre des groupes d’enfants que je connaissais me semblait mauvaise et dangereuse. Je ne pouvais rentrer chez moi, il y a beaucoup de violences dans ma famille. J’ai rencontré ce vieil homme par hasard et il m’a aidé. Pourtant il n’avait rien. Malheureusement voilà 5 mois que je l’ai quitté, sa santé s’est fortement détériorée et je ne sais rien y faire.

Il avait fait plusieurs allers-retours vers la rue, histoire de comprendre, de jauger les risques, les dangers et les opportunités. Maintenant, sans protection, Arjun préfère rentrer dans une ONG et y rester (Arjun, 13 ans, Fiche 47).

Manoj Shrestha, 25 ans (Fiche 6) a aussi approché la rue, les rues et ses possibilités en utilisant ses ressources, son analyse pour survivre au mieux. « J’ai essayé de nombreux petits jobs (dans un magasin de vélo, dans un restaurant, dans une cantine, etc.) Quand la situation devenait risquée, je changeais. J’ai fait la même chose avec les différents groupes de rues avec lesquels je suis resté. Je regardais les avantages. Si cela n’allait pas, je changeais. »

❖ Idéal-type 7 : S’il croise le chemin d’un travailleur de rue, d’une ONG, il rejoindra un centre de socialisation s’il considère qu’il y sera mieux que dans le quotidien vécu (avec le groupe de survie ou dans la rue). Subtilement ou non, l’analyse qu’il pose sur son quotidien, le poussera ou non à progresser dans le chemin offert par l’ONG. Il aura tendance à en essayer plusieurs, à tenter de trouver le meilleur parti. Ce qui pourrait le pousser à devenir « consommateur » des services de multiples ONG. Sa capabilité est fortement réalisée, selon son intelligence, ses connaissances, son âge.

Gurudev confirme être arrivé vers la rue sans réelles raisons, juste poussé par une envie

d’aventure, un choix raisonné. « Je m’ennuyais dans le village, j’ai réfléchi et je suis

parti. En rue, je me suis vite rendu compte que les risques étaient grands, j’aimais le contact de mes camarades et notre liberté, mais la drogue, la colle, le plastique, j’en ai vite eu marre. J’ai parlé avec des travailleurs sociaux du CWIN et j’ai décidé de tenter autre chose, j’ai très bien réussi. Quitter les amis de la rue ne s’est pas fait en un jour, il y a eu un processus, parfois je craquais et retournais en rue avant de revenir dans

l’ONG… C’est difficile à dire, mais je savais ce que je faisais, enfin j’en avais l’impression. » Gurudev Sunwar (Fiche 8)

« J’ai toujours gardé un lien avec les miens, mais la pauvreté dans le village était trop grande. Sortir de la rue et devenir chauffeur, ce fut une grande décision, j’ai réfléchi et voulais suivre mon rêve. Mais il fallait trouver le meilleur chemin. J’ai tenté de rester dans les organisations, mais aucune ne me permettait de suivre une formation pour passer mon permis de conduire, et je savais que c’était ce que je voulais faire.

J’ai trouvé des chauffeurs qui ont accepté de m’embaucher pour collecter l’argent des

passagers. Et parfois, ils m’apprenaient à conduire. J’ai réussi à passer mon permis… Quitter la rue ne s’est pas fait en un jour, mais à coup de réflexion. Mon petit frère a suivi la même route, on discutait souvent de la meilleure manière de réussir et on établissait des stratégies. Lui à présent dirige un club de sport, il a bien réussi aussi. » Roshan, 26 ans (Fiche 5)

❖ Idéal-type 8 : Je reviendrai aux sorties de rue possibles dans la cinquième partie. Comme pour l’enfant observateur, il réalisera généralement une sortie ambitieuse ou déviante. Une sortie choisie, décidée et assumée. L’assignation à un label, à une voie, il l’a refusée. C’est lui qui décide de son quotidien. Il sortira de la rue quand il le voudra et selon les modalités qu’il aura fixées. Il réalise la perspective idéale d’un « enfant-acteur », sujet absolu et unique de son quotidien. L’environnement quoique négatif ou dangereux sera utilisé, modifié, interprété.