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PARTIE 1 : LA CONSTRUCTION D’UN LIEN ENTRE « BONHEUR » ET « TRAVAIL » EN

B. L’ ENTREPRISE : THEATRE DES EMOTIONS

B.1. L ES EMOTIONS DANS LE TRAVAIL : UNE PRISE EN COMPTE RECENTE

En effet, très longtemps interdites ou plus exactement niées dans le monde du travail, les émotions (leur rôle dans les relations humaines et le management) sont devenues une thématique très étudiée depuis seulement une quinzaine d’années.

Elles ont souvent été regardées avec méfiance par les philosophes car certaines d’entre elles entrainent chez l’homme un comportement irrationnel, excessif voire même stupide (par exemple, des actions peuvent être accomplies sous la colère qui une fois apaisée apparaissent stupides). Pourtant, tous s’accordent à penser que les émotions jouent un rôle central dans l’évaluation des situations et des personnes et en général dans nos vies.

38 Norbert Alter. Donner et prendre : la coopération en entreprise. Paris : Ed. La Découverte, Coll. Textes à l’appui, 2009, 238 p.

39 Jean-François Michel. « La mémoire et l’apprentissage quel rôle des émotions » URL : https://www.apprendreaapprendre.com/reussite_scolaire/memoire-les-emotions/

William James (1842-1910), l’un des pères de l’analyse psychologique des émotions a démontré que ce qui caractérisait une émotion c’était qu’elle s’accompagnait nécessairement de sensations corporelles, d’un ressenti physique (langage du corps ou expressions faciales)40. Elles se distinguent aussi du réflexe.

Distinction entre « Émotions » et « sentiments »

Pour percevoir ce qu’est une émotion, il faut déjà la distinguer d’une autre notion proche : le sentiment. D’après le Larousse, une émotion est une « réaction courte, soudaine voire involontaire et incontrôlable, basée sur des éléments physiologiques, spirituels et comportementaux ». Nous pouvons aussi passer rapidement d’une émotion à une autre. Le sentiment, lui, est « influencé par des expériences antérieures ainsi que par des suppositions et jugements, il fait donc appel à une perception subjective d’un individu », toujours selon le Larousse. S’il est la composante de l’émotion, le sentiment implique les fonctions cognitives de l’organisme. Les sentiments paraissent donc demander une élaboration plus personnelle et plus prolongée dans les émotions, le plaisir ou la douleur. Mais « tout ce travail mental ne peut s’accomplir sans qu’il s’y mêle bien des idées, des jugements et des raisonnements »41. Ainsi, la société exerce une action indirecte sur les sentiments qui restent du domaine du for intérieur, contrairement aux émotions qui, par leur manifestation extérieure, se surprend par le groupe qui du coup a prise sur elle.

Dans leur article commun sur les émotions comme lien entre l’action collective et l’action professionnelle42, les auteurs s’appuient sur la thèse de David Sander et Klaus R. Scherer, tous deux professeurs de psychologie, selon laquelle l’émotion serait comme un phénomène à composantes multiples comprenant les évaluations de l’événement déclencheur (ex : se sentir capable de faire face), le ressenti émotionnel (bonheur, honte, colère), les réactions motrices (sourire, froncer les sourcils), les réactions du système nerveux (accélération du rythme cardiaque), et les tendances à agir (se préparer à fuir).

Enfin, il semble que les émotions, la perception et l’importance que nous donnons aux événements sont influencés par la culture c’est-à-dire les normes sociales qui nous dictent notre ressenti. Par exemple, les émotions ressenties lors d’un enterrement sont bien différentes dans une religion ou dans une autre, dans un pays occidental ou oriental…Nous pourrons rapprocher cette notion de culture (au sens de normes sociales) avec celle de culture d’entreprise que nous aborderons plus loin et qui interagit avec notre rapport à l’entreprise.

40 Alfred Binet. « La théorie de l’émotion » selon William James 1902. In : L’année psychologique. 2005, vol. 9, pp. 388- 401, Persée.fr. URL : https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_1902_num_9_1_3492

41 Maurice Halbwachs. « L’expression des émotions et la société ». In : Vingtième siècle, 2014/3 n° 123, pp. 39-48 42 Denise Van Dam, Jean Nizet, Michel Streith. « Les émotions comme lien entre l’action collective et l’activité

professionnelle », Natures Sciences Sociétés, 2012/3 In : Cairn.info. URL : https://www.cairn.info/revue-natures- sciences-societes-2012-3-page-318.htm

B.2. UNE CLASSIFICATION DES EMOTIONS POUR MIEUX COMPRENDRE LES SALARIES

Le nombre d’émotions ressenties par l’homme est illimité et de nombreuses autres découlent des émotions dites de base. Véronique Tran, Professeur à l’ESCP Europe, propose quatre classes d’émotions43 :

Les émotions d’accomplissement : elles se manifestent lorsque la personne a accompli

quelque chose personnellement ou professionnellement et qu’elle éprouve le désir de célébrer cela avec d’autres (fierté, exaltation, joie, satisfaction). La satisfaction induit un sentiment de sérénité, de relaxation ou d’ouverture aux autres.

Les émotions d’approche : elles sont ressenties lorsque l’on est attentif, en alerte, en phase

d’exploration, désireux d’apprendre et qu’on se réjouit du futur (soulagement, espoir, intérêt, surprise). Les comportements sont la mobilisation, l’engagement, l’attention, l’énergie, la disposition à l’effort, la motivation et l’implication.

Les émotions de résignation : elles sont ressenties lorsque l’on vit une situation de perte

(perte de son emploi par ex). Les comportements associés sont le retrait, l’apathie et l’appel à un soutien d’autrui (tristesse, peur, honte, culpabilité).

Les émotions antagonistes : elles sont ressenties lorsque l’on estime que soi-même ou les

siens sont attaqués et que la cause de cette attaque semble injuste (envie, dégoût, mépris, colère). Ces émotions peuvent aussi avoir des implications positives : accroissement de confiance dans le groupe et ainsi cohésion et stimulation.

Nous avons l’habitude de classer nos émotions en deux catégories :

. les « bonnes » : positives, elle peuvent être stimulantes pour l’accroissement et la performance du travail individuel ou collectif (citons par exemple l’intérêt, la surprise, la motivation, l’espoir, le soulagement, la satisfaction, la joie, l’exaltation ou la fierté, etc.) et . les « mauvaises » : négatives, elles peuvent se révéler être de véritables poisons réduisant

à néant tout espoir de collaboration constructive (la tristesse, la peur, la honte, la culpabilité, l’envie, le dégoût, le mépris ou encore la colère).

Mais cette liste n’est pas exhaustive et cet échantillon d’émotions ci-après, sous forme de roue, est très éloquent.

43 Patricia Garcia-Prieto, Véronique Tran, Tanja Wranik. « Les théories de l’évaluation cognitive et de la différenciation des émotions : une clé pour comprendre le vécu émotionnel au travail (2009), In : Les émotions au travail, Recherches en comportement organisationnel. N. Delobbe, O. Herbach, D. Lacaze, K. Mignonac, Bruxelles, Ed. De Boeck, pp. 195-222

Roue des émotions de Robert Plutchik Professeur et psychologue américain (1927-2006)

Certaines de ces émotions peuvent apparaître au cours de simples échanges entre collaborateurs ou lors d’un conflit au cours duquel une incompréhension se cristallise. En effet, l’activité professionnelle quotidienne mobilise le salarié tout entier, son savoir-faire mais aussi son savoir- être jusqu’à faire surgir des émotions non recherchées voire même non contrôlées.

Aristote définissait les émotions ou pathê comme « tous les sentiments qui changent l’homme en l’entraînant à modifier son jugement et qui sont accompagnés par la souffrance ou le plaisir »44. Depuis, un certain nombre d’auteurs ont orienté leurs recherches selon des axes spécifiques : les perceptions affectives, cognitives, situationnelles, physiologiques, comportementales, motivationnelles…

Si les théoriciens ne s’accordent pas sur le nombre et la nature des émotions de base, tous incluent dans leur liste la colère, la joie, la tristesse, la peur, la surprise et le dégoût. Nous ajouterons à cette liste l’envie et le désir car c’est, il nous semble, la palette d’émotions que nous « vivons » au travail. En conséquence, la prise en compte des émotions dans le contexte professionnel est indéniablement un outil à prendre en compte notamment en matière de management. Maurice Thévenet parle de « régulateurs de l’action humaine et de l’implication au travail » ; elles sont « des composantes indispensables de la compétence professionnelle dans toutes les activités de services et les organisations complexes »45. Certains auteurs et chercheurs avancent que l’« intelligence

44 Aristote. Rhétorique, livre II, chap. 1, 1378a

émotionnelle » est d’ailleurs un bien meilleur garant de la réussite professionnelle que l’intelligence cognitive.

B.3. L’INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE OU COMMENT AGIR SUR LA MOTIVATION DES SALARIES

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