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5. Les expériences des personnes retournées entre 2008-2010

5.5 L’impact des projets de réinsertion sur la qualité de vie

5.5.2 L’effet sur la situation sociale et économique

Face à la question de ce que la réalisation du projet a signifié pour elles et pour leurs familles, les personnes interviewées mentionnent une série d’effets positifs : il leur a facilité le retour, leur a donné un moyen d’insertion sociale et économique, les a aidées à améliorer leur habitat ainsi qu’à élever leur niveau d’études. En même temps, comme on le verra plus loin, d’autres manifestent qu’il est encore trop tôt pour évaluer les effets du projet, les résultats économiques n’étant pas encore visibles. Pour d’autres migrant-e-s retourné-e-s encore, dont les commerces sont plus anciens et se sont soldés par des échecs, les résultats économiques attendus ne se sont pas réalisés.

5.5.2.1 Faciliter le départ et en diminuer les coûts

Plusieurs des personnes interviewées affirment que l’aide du canton de Vaud a facilité de manière significative leur retour en Équateur. Elles ne disposaient de l’argent nécessaire ni pour les billets d’avion ni pour un projet de réinsertion. Si elles n’avaient pas bénéficié de cette aide, elles seraient retournées beaucoup plus tard ou alors ne l’auraient probablement pas fait :

“le fait de recourir à ce programme a signifié économiser [diminuer les frais], l’aide qu’ils m’ont donnée, parce que si on veut retourner pour son compte, on doit payer tous les billets d’avion et comme je vous le dis, avoir recouru à ce programme m’a aidée à économiser. (V2, homme, Quito, 2003-2008).

“Si je n’avais pas eu l’aide….ah…là oui ça aurait été plus difficile. Je devais acheter le billet d’avion. Mais j’avais seulement épargné deux mille dollars et j’en avais besoin à mon arrivée en Equateur. Grâce à l’aide, j’ai réussi à garder cet argent pour mon retour et ça a été mon salut. Ça, c’était pour mon arrivée, intouchable. Ou sinon, je n’aurais pas pu... Je n’ai pas encore reçu l’argent de l’OIM.... (S8, femme, Santo Domingo, 1997-2010).

“Je ne serais peut-être pas en Équateur si je n’avais pas reçu l’aide. Je suis venue parce qu’on avait cette aide, autrement je serais encore là-bas, quoi, essayant d’épargner un peu plus pour pouvoir revenir sans aucune aide. (S3, femme, Quito, 1991-2008).

5.5.2.2 Un moyen pour l’insertion sociale et économique

Comme expliqué plus haut, en termes économiques l’aide du canton de Vaud a permis aux personnes interviewées de couvrir entre 20% et 40% des frais de leurs projets de retour. Ces projets ont pour les bénéficiaires un sens important en tant que moyen d’insertion sociale et économique puisqu’ils/elles manifestent qu’ils/elles

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ont ainsi pu : « être en possession d’un moyen économique pour aller de l’avant et arriver à connaître plus de monde » (S3, femme), « avoir un peu de tranquillité et une source de travail » (S5, couple), une « manière d’être active et d’avoir l’esprit occupé même si on n’obtient pas encore de bénéfices » (S8, femme), « faire ce que j’aime faire, et c’est le travail de la ferme » (S10, homme).

À l’exemple d’autres personnes, monsieur V7, exprime que “le projet [d’apiculture] a beaucoup représenté au niveau personnel et familial puisque j’ai pu développer les connaissances acquises précédemment étant donné que j’ai été élevé toute ma vie dans l’agriculture. Et il complète son récit de la manière suivante :

“…cela a été mon salut dans le sens où si ça n’avait pas été grâce à ce petit projet, j’aurais dû vendre la maison très bon marché, en fait je suis en train de la vendre bon marché...grâce à ce projet j’ai pu couvrir beaucoup de besoins même si je n’ai pas tout l’équipement nécessaire, il me manque beaucoup de matériaux et plus de ressources pour continuer d’agrandir, parce que tout ce que je récolte je dois le dépenser en frais personnels, pour la famille.... (V7, homme, Esmeraldas, 2003-2008). Pour monsieur V2, l’aide du canton de Vaud l’a aidé à développer son commerce de réparation d’appareils électroménagers :

“cette aide a beaucoup signifié, comment le dire, je n’en suis plus à acheter une chose après l’autre, une pièce de rechange après l’autre, mais grâce à cette aide j’ai maintenant un petit stock de pièces de rechange. J’ai aussi réussi à augmenter ma clientèle.... (V2, homme, Quito, 2003-2008).

Monsieur S10 se dit satisfait parce qu’il fait “ce qu’il aime faire » et, de plus, il se sent à l’aise là où il vit, bien que le contexte soit très différent de ce qu’il connaissait lorsqu’il a quitté l’Équateur.

“Ça a été très émouvant [retourner en Équateur] parce qu’il y avait pas mal de temps que je n’étais pas revenu. Et j’ai admiré, parce que je me suis perdu ici, Santo Domingo, avant, c’était seulement deux rues. Mais j’aime bien. Maintenant je me rends compte que j’aime bien. Là, j’ai commencé à bien analyser et je me suis dit je vais à la ferme. J’ai bien cherché à comprendre comment ça fonctionnait et comme mon papa m’avait appris...Maintenant je suis content parce que, en premier, ce sont deux hectares de terrain où je n’ai pas besoin de travailleurs, parce que je fais tout. (S10, homme, Santo Domingo, 1998-2010).

Madame S3 relève l’importance du projet car il lui permet de subvenir aux besoins de sa fille ainsi que d’élargir son réseau social :

“Ce projet a représenté pour moi un moyen économique pour que ma famille puisse aller de l’avant. Maintenant que j’ai la petite fille, j’ai plus de frais et tout ça. J’ai aussi réussi à faire la connaissance de plus de monde. Mais, surtout,j’ai pu démarrer. Économiquement, il y a un avantage aussi pour quelque frais qui se présente. S’il faut acheter quelque chose, on l’achète avec ce qu’on vend. (S3, femme, Quito, 1991-2008).

Madame S4 exprime l’importance d’avoir pu mener à bien son projet de retour (un restaurant de menus rapides) pour se sentir réalisée en tant que femme :

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Bon, il est vrai que comme femme je me sens réalisée, comme mère je me sens satisfaite, parce qu’au prix de l’effort, de mon sacrifice, j’ai « tiré mes enfants en avant ». Comme mère je me sens la meilleure mère du monde parce que j’ai su guider mes enfants. Et avec ce commerce je me sens réalisée comme femme. C’est ça que je ressens. (S4, femme, Quito 1994-2010).

Dans les récits ci-dessus, on peut observer quelques différences intéressantes par rapport au genre: tandis que les hommes se concentrent sur des aspects spécifiques du commerce lui-même, comme avoir pu acquérir des outils ou des terres pour cultiver, les femmes mentionnent l’importance d’avoir pu «tirer leurs enfants en avant», élargir leur réseau social et se réaliser en tant que femmes.

5.5.2.3 L’amélioration de l’habitat et la progression du niveau d’instruction

Avoir réussi à améliorer leur habitat grâce à l’appui du canton de Vaud est aussi un facteur qui influe de manière positive sur le bien-être personnel et familial de certaines des personnes interviewées. Par exemple, madame S2 manifeste que le retour a amélioré sa qualité de vie, étant donné que « je me sens très bien » et « chaque fois que ma soeur vient, elle me dit que la maison est très jolie ». Comme on le verra dans la citation suivante, pour madame V3 le fait d’avoir une maison confortable remplit une fonction très importante pour son bien-être personnel parce que cela lui assure un espace de bonheur au milieu d’un environnement négatif. Bon, dans la vie quotidienne j’ai réussi à arriver à un certain degré de confort, parce qu’on passe toute sa vie dans la maison, c’est son foyer, là où vous vous sentirez bien... et si on vit mal on se sent encore pire de ce que l’on est déjà, étant donné que les facteurs de l’entourage sont très négatifs, le type de société qui commence à vous encercler et toutes les difficultés qu’on rencontre sur son passage, et vivre mal dans une chambre où il n’y a ni meubles ni rien... alors au moins on se sent heureux dans sa maison puisque là on a le confort dans lequel on veut vivre, c’est la seule chose qui me rend heureuse. (V3, femme, Quito, 1997-2010)

Les personnes interviewées expliquent aussi comment les projets de réinsertion leur ont permis de progresser au niveau de leur propre instruction et de celle de leurs enfants, comme les citations suivantes l’illustrent :

Question : Qu’a signifié la réalisation de ce projet, pour vous et pour votre famille ? Réponse : “Pour moi c’est tout, parce qu’elles [ses filles] ont pu étudier, quelque chose qu’on n’a pas eu soi-même. Alors je me sens orgueilleux parce qu’elles ne me causent pas de soucis, ce sont de bonnes étudiantes et de bonnes filles. (S6, homme, Sangolquí, 1999-2008).

Ma famille est contente que leur fils se sente réalisé, qu’il puisse acquérir des compétences professionnelles. Je crois que ça, c’est un orgueil pour toute mère. Cependant, comme je vous le dis, j’en suis à peine au niveau deux [d’un cours d’anglais]. Peut-être que lorsque j’en serai au niveau sept, je vais pouvoir chercher un travail comme traducteur, ou comme professeur, ou dans une agence de voyages. (S9, homme, Santo Domingo 2008-2010).

[Recourir au programme d’aide au retour] …a représenté quelque chose de très important pour moi puisque, après n’avoir rien eu pendant tant d’années dans un autre pays, je peux maintenant continuer mes études grâce à cette aide et monter

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mon bureau d’enseignement de français puisque pour ça ce n’est qu’un petit investissement et qu’en plus j’ai d’autres ressources matérielles comme mon ordinateur, mon bureau et un peu de matériel éducatif. (V1, femme, Quito, 1997-2000)

5.5.2.4 Les résultats qui ne sont pas encore visibles

Plusieurs des personnes interviewées manifestent qu’il est pour elles encore trop tôt pour réaliser une évaluation de l’impact économique du projet de réinsertion, les résultats de leurs investissements n’étant pas encore visibles. Les citations ci-après illustrent ce point de vue :

“C’est peut-être plus tard, parce que vous savez que dans un commerce, les résultats du travail n’apparaissent pas rapidement. Cela fait quatre mois. Alors, on ne voit pas encore les résultats. Il portera ses fruits après deux ans, qu’est-ce que j’en sais... Pendant ce temps il me donne à manger, me permet de payer mon frère, la nourriture de mon chien, et c’est ça qui m’intéresse le plus. (S1, homme, Quito, 2000-2010). “Ma famille est très contente que j’aie le bazar. Ce projet a été comme une soupape d’échappement, une activité, comme ça j’ai l’esprit occupé. Mais je n’ai encore rien obtenu, quoi [rires]. Je n’en ai retiré aucun bénéfice. (S8, femme, Santo Domingo, 1997-2010).

Le récit suivant, de madame S4, révèle clairement la complexité de facteurs dont il faut tenir compte lorsque les projets d’insertion sont évalués. Ici par exemple, le projet est source d’une série de bénéfices sociaux et personnels - il donne vitalité et énergie à madame S4- et lui permet d’avoir des contacts avec les gens ; mais en même temps il comporte des risques pour sa santé et, du point de vue économique, il ne porte pas encore ses fruits.

“Pour moi, je suis contente [de son commerce de menus rapides] mais, bien sûr, c’est un peu stressant. Mais mes enfants ne sont pas contents parce que je venais [en Équateur] pour me reposer et maintenant je travaille plus. Ils ont peur que je tombe malade; d’un côté je les comprends parce que parfois je ne me sens pas bien. J’ai un petit problème de colonne. Alors des fois je me sens mal. Cependant je me sens bien parce que j’ai toujours aimé être active et que j’aime le contact avec les gens... Quand je suis restée à la maison, je me sentais comme un oiseau en cage. Moi, ceci me motive [le commerce]. Ça me plaît. C’est clair que c’est fatigant. J’arrive des fois à la maison à huit heures vingt du soir et je me lève à cinq heures du matin. Mais j’aime faire ça. C’est clair, je suis très consciente du fait que je ne pourrai pas récolter les fruits de mon travail du soir au matin, parce que je dois attendre un bout de temps. Tout est un processus. Je suis consciente de ça. Je ne suis pas non plus désespérée de ne pas avoir des quantités d’argent. (S4, femme, Quito 1994-2010).

5.5.2.5 Les échecs

L’évaluation de l’impact personnel, social et économique, des projets de retour, ne se solde pas dans tous les cas par un résultat positif. Il y a des personnes qui ont échoué dans leur tentative de monter leur commerce, comme c’est le cas de celles dont il est question ci-après. Comme on peut en déduire de la citation suivante, l’échec de monsieur S12 est lié au fait qu’il a passé très peu de temps en Suisse et n’avait donc pas pu épargner pour son retour ; de plus, il a eu des problèmes de santé liés à son travail en Suisse, ce qui a signifié des frais imprévus à son retour en Équateur.

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“Comme je vous le dis, le petit restaurant, je l’ai organisé, installé, mais le problème, c’est que je n’ai pas pu continuer. L’affaire a fait faillite. Avec deux mille dollars [d’aide] qu’est-ce que j’allais pouvoir faire ? J’ai dépensé deux mille dollars pour ma maladie, parce que j’étais malade... Je n’ai rien pu faire avec ce projet. Ce que j’ai réussi c’est de revenir malade de là-bas, de la Suisse. Je suis arrivé malade et je suis encore en traitement ici. (S12, homme, Santo Domingo 2007-2008)

D’autres migrant-e-s retourné-e-s qui échouent mentionnent les problèmes de financement qu’ils/elles ont rencontrés et le mauvais emplacement de leur commerce :

“Ce qui se passe c’est que cette petite quantité d’argent [qu’ils ont reçue comme aide] ne nous a pas suffi pour ouvrir le commerce [magasin de chaussures]. On a bien acheté quelque chose pour débuter, mais comme c’était très peu ça s’est terminé, ça s’est vendu, et on a consommé au fur et à mesure...On ne vendait pas grand-chose, parce que le village n’est pas tellement grand. Maintenant il y a une série de magasins, alors on devait vendre au moins deux paires par jour pour qu’on ait assez pour la location, l’électricité et tout ça. Des fois, rien ne se vendait. C’est pour ça qu’on a dû fermer le magasin pour le moment, parce que ce n’était pas du tout viable. Le monsieur interviewé manifeste aussi que lui et sa femme avaient le projet de finir leurs jours en Suisse et que, par conséquent, sa motivation à rentrer était uniquement la famille. Il exprime que « la majorité des migrant-e-s veulent une seule chose, c’est de retourner en Suisse » et que « là-bas c’est le paradis, en comparaison avec ici ». Au long de l’interview on a l’impression que son manque de motivation pour retourner en Équateur n’a pas facilité son adaptation au pays.

5.5.3 Résumé et réflexions

Les résultats présentés ci-dessus montrent que l’impact des projets d’insertion sur la qualité de vie des migrant-e-s retournées ne peut pas être estimé uniquement en termes de être matériel et économique ; il doit aussi l’être en termes de bien-être émotionnel. Ainsi, les personnes interviewées soulignent que, du point de vue émotionnel et symbolique, leurs projets de retour ont représenté une réussite significative car ils leur ont permis d’élargir leur cercle de relations sociales, d’arriver à une certaine tranquillité d’esprit en ce qui concerne la vie quotidienne et d’augmenter leur confiance dans le futur. D’un point de vue économique, l’aide du canton de Vaud leur a permis de couvrir entre 20% et 40% des frais de leurs projets de retour. Plusieurs de ces personnes expriment que les projets ont été un moyen d’insertion sociale et économique important. Pour d’autres par contre, les bénéfices économiques ne sont pas encore visibles ; enfin dans certains cas les projets ont malheureusement échoué. Comme on l’a vu tout au long des récits des personnes interviewées, il existe des facteurs de type personnel qui ont une influence sur la réussite relative des projets. On peut citer la durée du séjour en Suisse, la situation de l’emploi dans ce pays et les économies qui ont pu être réalisées. Un autre facteur important est celui de la santé : retourner en Équateur en mauvaise santé entraîne des conséquences négatives pour la réalisation des projets de réinsertion. Le type de retour (« contrainte mais volontaire » ou « contrainte et sans grande volonté») a également une incidence importante sur la réussite relative des projets d’insertion.

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6. ÉVALUATION ET RECOMMANDATIONS POUR L’AIDE