• Aucun résultat trouvé

3 La tradition à l’épreuve des nouvelles réalités de gestions contemporaines

3.1 Les modes de gestion coutumiers transformés

3.1.3 L’eau et les usages

Lorsque les techniques de culture du taro d’eau en terrasses ont disparu, les hommes sont revenus vers des techniques plus simples mais cependant pour des cultures sur des surfaces de grande envergure : dans des vallées imbibées, marécageuses. Ces dernières ont également été abandonnées au profit de cultures éparses et de petites tailles44.

« Les constructions horticoles les plus spectaculaires édifiées au cours du dernier millénaire avant les premiers contacts européens ont été les tarodières irriguées. Probablement issues de techniques simples de cultures des taros Colocasia en marécages, ces aménagements ont entraîné un accroissement considérable des travaux physiques dévolus aux activités des champs. Le principe de base est la pousse de taros dans la boue, sur le même principe que les rizières. » (Sand, IANCP, consulté en ligne le 17/06/2019)

La vallée de Pindjen, qui se trouve entre Kone et la tribu de Oundjo, en aval de la cascade de Pandanus, fait partie de ces dernières cultures d’envergures dans les vallées imbibées. Des billons d’ignames recouvraient à l’époque les faibles pentes, tandis que des taros étaient plantés en contre-bas où avait été aménagée une retenue d’eau de pluie (Figures ci-dessous).

Figure 19 : Photo des anciens billons d'ignames sur les coteaux et ancienne plaine irriguée pour les taros en aval, Pindjen, Oundjo (Coulange, 02/07/2019)

Figure 20 : Schéma de la gestion de l'eau dans le type de culture anciennement pratiqué à Pindjen (Coulange, 2019)

44 La culture vivrière du taro d’eau est toujours pratiquée, quelques maraîchers en produisent également, les

techniques actuellement utilisées sont proches des dernières employées, dans les terrains humides, les talwegs, en bord de creek.

53

Cette pratique avait été menée probablement après l’abandon des cultures avec les canaux d’irrigation à ciel ouvert creusés depuis la cascade de Pandanus jusque loin dans la vallée en allant vers la mer. Longtemps utilisés, ces canaux ont été comblés par l’enfouissement des tuyaux que la SLN a fait enterrer dans les années 1960-1970 pour alimenter la station d’élevage de Ballande à Pindjen. La tribu d’Oundjo quant à elle, ne sera alimentée que dans les années 1980 (Oundjo, 02/07/2019). L’accès à l’eau tel que l’a évoqué Trépied dans son article sur le cas de la commune de Koné, a longtemps illustré l’ordre colonial (Trépied, 2011). Parmi les premiers à bénéficier des conduites se trouvent les centres de colonisation, les tribus étant les dernières à se voir approvisionnées suite à une saisie politique du sujet. L’actuelle localisation d’Oundjo n’étant pas un centre de colonisation à l’époque, ce sont les éleveurs qui avaient les moyens de s’équiper et qui représentaient des enjeux de développement pour l’économie locale, comme ceux de la station Ballande notamment, qui ont bénéficié d’infrastructures hydrauliques en premier. L’intérêt des tribus, selon la localité, n’ont profité de cet accès au réseau d’eau que suite à des revendications kanak (à cause de l’impact de la mine au début et ensuite en tant que droit fondamental en tant que citoyen) et par un souci d’uniformisation de l’accès aux infrastructures pour répondre aux exigences en matière d’hygiène (amenées dans un premier temps par l’Église).

Les tarodières d’envergure ont cessé d’exister à peu près à la même période que celle de l’installation des tuyaux et des premiers captages en tribu. Cet élément ainsi que l’exemple de Pindjen précédemment, révèlent que l’apparition des réseaux d’eau dans les modes de vie kanak rime avec la disparition des tarodières. L’apparition des tuyaux a sonné le glas des tarodières et de toute une organisation sociale qui régissait la société mélanésienne (et ce autour de l’eau). L’igname et le taro qui étaient à la base de l’alimentation de ce peuple, ont été progressivement complétés par de nouvelles espèces et variétés de plantes alimentaires plus rustiques et d’animaux introduits par la colonisation. Cette diversité alimentaire disponible, à moindre effort de production, a poussé les Kanak, moins nombreux avec des espaces de culture plus restreints à l’adaptation de leurs modes de vie. L’avènement du tuyau souligne l’accès au modernisme, à la facilité et à un certain confort, c’est le début de l’introduction de la « modernité à l’occidentale » dans les tribus.

« A cette époque [1950], dans l'espace confiné des réserves et sur des terroirs de faibles qualités culturales, une agriculture vivrière amoindrie dans ses capacités productives coexiste encore avec les plantations commerciales de café. Les spectaculaires aménagements (grands billons, tarodières irriguées) qui caractérisaient les systèmes de culture pré-coloniaux ont disparu du paysage agraire. La culture irriguée du taro n'est quasiment plus pratiquée. Si la culture de l'igname se maintient et conserve son importance culturale, alimentaire et sociale, elle n'en a pas moins subi d'importantes transformations qualitatives, qui se traduisent entre autres par la perte des variétés les plus fragiles et prestigieuses, au profit des plus rustiques, nécessitant moins d'entretiens. » (Djama, 1999)

Auparavant l‘eau était visible dans les cours d’eau et les caniveaux. Elle était entretenue (les balais de rivière45, les arbres pour tenir les berges, etc.), maitrisée (pêche régulée en

fonction des besoins, médicament et comportements mystiques pour créer ou supprimer des points d’eau, etc.), et utilisée (pour irriguer les cultures, les usages domestiques,

45 À partir des descriptions apportées par les personnes interrogées, il s’agirait de sortes de branches avec

plusieurs ramifications pour permettre d’attraper les encombrants et de les réunir à un même endroits pour ensuite les sortir de l’eau.

54

l’acheminement de matériaux de construction en aval, etc. ; Cf. extrait d’entretien ci-dessous). Ensuite avec la mise en place des tuyaux souvent enterrés, l’eau est devenue invisible et son entretien a été confié à des prestataires. Ainsi avec la modernisation de son adduction, c’est toute l’organisation traditionnelle dédiée qui a été modifiée, et en particulier pour les clans en lien avec l’eau et sa gestion.

« X : quand y’a l’inondation, même avant l’inondation nous on montait vers la forêt, on coupait nos bois pour faire notre case, et on attendait qu’il y a l’inondation et on fait descendre le bois comme ça

Y : on jette le bois à l’eau

X : ça évite de porter » (Boyen, 27/06/2019)

Même si les usages de l’eau de la rivière sont désormais limités, les Kanak continuent de s’y baigner et parfois de s’y laver en fonction des sites d’habitat et des saisons (comportements observés à Haut-Coulna, à Mia, Canala et à Sarraméa). Ils continuent également de pratiquer la pêche pour l’approvisionnement du ménage, surtout dans la chaîne centrale. Les pratiques et les usages persistent en quelques sortes, mais d’une autre manière, avec d’autres techniques plus appropriées à nos modes de vie occidentalisés qui ont plutôt tendance à nous éloigner des pratiques ancestrales. Le réseau AEP fait partie de ces infrastructures qui ont transformé la manière de s’approvisionner en eau.