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Partie 4 Analyse du projet et interprétation des résultats

1. L’avis des élèves

1.1. Sur les compétences travaillées

« On vous remercie d’avoir proposé ça à nous. en plus ça nous a fait progresser à écrire ou à lire » (annexe 14, 4). Ce fut la réponse d’Amadou B. à ma première question

« Que pensez-vous de votre kamishibaï ?"

D’autres, comme lui, ont montré qu’ils ont pris conscience du travail effectué en français, mais en répondant à la question posée sur le sujet « Pensez-vous avoir progressé en français en réalisant ce travail ? ». Question que j’ai dû reformuler dès le premier entretien, devant l’interrogation d’Amadou S. : « progressé ? », il croyait que cela signifiait « faire

l’effort » (annexe 12, 54-56). La question est donc devenue : « est-ce que vous pensez avoir appris des choses en français ? ». Cette question va s’avérer malgré tout très difficile

car c’est compliqué de parler métalangage avec des jeunes qui ont été très peu scolarisés, voire pas du tout (ils représentent la moitié du groupe). Néanmoins certains, plus avancés ou non, ont réussi à verbaliser ce qu’ils pensaient avoir appris. Pour Saïdou et Amadou S. écrire seul leur souvenir en français les a fait progresser ainsi que l’aide à la correction apportée par A-S. (annexe 12, 58-63). Plus loin, Saïdou nuance en disant qu’il ne pourrait pas encore « y arriver seul » et que ça lui a pris du temps (annexe 12, 93).

49. M : déjà j'ai appris à conjuguer des verbes et des mots et tout ça. 50. E1 : bien, à quel temps tu as appris à conjuguer ?

51. M : quand j'ai parlé de "je me souviens" j'ai utilisé le temps du passé. 52. E1 : oui et encore ?

53. M : avec les émotions aussi.

54. E1 : vous avez appris des mots autour des émotions, est-ce que vous les connaissiez ces mots avant ?

55. M : ben... deux, trois, les autres non. (annexe 15)

Maliki, dans cet extrait, dit avoir appris à conjuguer des verbes, à raconter un souvenir au passé ainsi que des mots autour des émotions. Amadou B., ne connaissait pas le mot « gai » et l’explique en donnant un synonyme « joyeux » (annexe 14, 92-95), Bouhari lui, a retenu « peine » (annexe 14, 97). Puis il parle du travail effectué en classe sur le vocabulaire des émotions et des images (émoticônes) qui l’ont aidé à comprendre et à utiliser les bons mots :

Ça nous a beaucoup aidé en fait ++ vu qu'on a en faisant ce cours, on a vu beaucoup de choses

Il y a donc bien eu des apprentissages pour certains. En comprenant le mot émotion qui est un hyperonyme abstrait, ou en l’utilisant seul (comme Maliki), ils montrent aussi qu’ils ont progressé.

1.2. Sur le rôle de leurs langues premières dans l’apprentissage du français

L’usage de leurs langues a été évoqué par trois d’entre eux. Boly pense que le fait de parler dans sa langue pour raconter son souvenir, puis de traduire après en français « ça fait progresser » (Annexe 14, 59). Amadou B. plus loin explique qu’utiliser leur langue peut aider les autres à comprendre le français : « […] par exemple si il y a d'autres

personnes, il connaît pas par exemple euh ++ "liberté" si tu le expliques dans sa langue il va comprendre vite c'est quoi que + c'est quoi que signifie "liberté" en fait. » (annexe 14, 83). Leur plurilinguisme représente donc une ressource. Ce travail leur a fait prendre

conscience de qui parle quoi. Mustafa n’aurait sans doute jamais imaginé qu’Amadou parlait arabe, si celui-ci ne lui avait pas traduit le mot liberté en arabe. En révélant un épisode de sa biographie langagière, son souvenir a appris à tous pourquoi Amadou possède quelques compétences en arabe. Il en est de même pour d’autres. Par exemple, Abdellah et Baïlo racontent un souvenir qui se passe en Italie. Chacun a ainsi appris qu’ils ont tous les deux été à l’école là-bas et qu’ils parlent donc un peu l’italien. Plutôt bien d’ailleurs, si on en croit Baïlo : « Né hakilibala29

quand j’étais en Italie avec mes amis, nous étions à l’école italienne. Nous faisions les verbes italiens. J’étais un peu fort.» (annexe 9, p. 20)

Moi en fait ce que j'ai appris euh + écrire + dans ma langue en traduisant en français ça je pouvais pas avant quoi, là j'ai appris un peu, pas tout mais un peu xx si je continue je pourrais écrire + tout ce que je parle dans ma langue en français. (Amadou B., annexe 14, 89)

Dans l’extrait ci-dessus, Amadou parle de translittération avec ses mots à lui. Il réalise qu’il peut progresser en français en écrivant les sons de sa langue avec les graphèmes du français. Et qu’en plus cette compétence lui servira à écrire tout ce qu’il sait dans sa langue en français. Amadou et Mohamed (dans un autre groupe), ont tous les deux découvert qu’il était possible de transcrire leur langue. Mohammed donne l’impression d’avoir eu une révélation. Nous avoir vu écrire sa langue (qu’il ne parle qu’à l’oral), puis la lire, lui a donné du courage. Il a envie de pouvoir écrire sa langue également. (annexe 13, 80-83)

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Cette découverte a donc accru la motivation de ces deux jeunes pour progresser en français. Ils ont conscience que l’écrit laisse des traces. Ils sont seuls en France, ont-ils peur d’oublier ? Le questionnaire sur l’utilisation de leurs langues nous aurait peut-être apporté la réponse en donnant des informations sur les occasions qu’ils ont de parler leur(s) langue(s).