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Partie 4 Analyse du projet et interprétation des résultats

1. Création de liens entre les élèves de FLE et construction identitaire

Le projet kamishibaï plurilingue sur le thème du souvenir, semble avoir joué le même rôle que « l’arbre polyglotte » ou que « la fleur des langues » (Simon & al,

2008). Celui d’un support, visuel et créatif, qui permet de donner une vision du

« paysage langagier du groupe » centré sur l’apprenant et son vécu, sur le groupe dans son contexte. (Dompmartin-Normand, 2011).

1. E1 : alors ça y est, c’est terminé ! que pensez-vous de votre kamishibaï ? 2. S : bah, c'est une belle histoire. + fierté

3. E1 : est-ce que ça vous a plu de faire ce travail ?

4. S : bah oui, en tout cas, ça... comment dire, ça nous montre un peu des expériences, parce que tu connais quelque chose que tu as vécu mais tu découvrir encore certaines personnes, ce qu'ils ont vécu. (annexe 12)

Saïdou l’exprime très bien lors de l’entretien en focus group : la démarche EVL leur a permis de mieux connaître les autres à travers leurs souvenirs. (4)

A la dernière question « est-ce que ce travail de Kamishibaï a changé quelque chose pour vous ? », Makan a répondu : « ouais ça a changé des choses ! Saïdou il a raconté son

histoire, je savais pas. Maintenant je sais que si il a galéré au Maroc, en Italie, ou en Lybie […] il a souffrir là-bas » (annexe 12, 137-139). Makan et Saïdou, sont tous les deux

peintres, pourtant Makan ne savait pas ce qu’avait traversé Saïdou avant son arrivée en France. Il l’exprime très bien. Par contre Maliki (MOS) m’explique que pour lui ça n’a pas changé grand-chose car dans ce groupe ils se connaissent bien : mis à part Abdoulaye, ils habitent tous Chambéry, mais il a « appris un peu sur les souvenirs des pays. » (annexe 15,

95). Ce que dit Maliki est vrai, ils se connaissent bien dans ce groupe pour la raison qu’il

invoque, mais aussi et surtout parce qu’ils partagent tous le bambara, sauf Abdoulaye, ce qui facilite la communication et les échanges entre eux. La différence avec les autres groupes est flagrante.

A la même question, voici la réponse de Boly « oui parce que y'a des autres euh des autres

que on se connait pas. on s'est mieux connaître un peu tous parce que ils ont raconté leur histoire, on a entendu […] » (annexe 14, 46-150). Lui, a apprécié de découvrir les autres

confus de son camarade : « des fois on se voit même pas c’est juste dans la cour ici et

aujourd’hui on écoute leurs histoires. C’est bien ça. » (annexe 14, 151)

Dans le groupe des maçons, l’entretien a été compliqué du fait du petit niveau en compréhension orale de deux d’entre eux, et des difficultés en production orale des deux qui comprennent le mieux (l’annonce de la mesure de confinement ce jour même n’a pas facilité l’exercice ! ). Néanmoins, l’attitude de Mohamed en dit long sur l’impact de ce travail. Lui, qui était toujours fatigué, a changé complètement d’attitude au fur et à mesure de l’avancée du projet. Dès la première question, il va monopoliser la parole pour nous dire, tout le bien qu’il pense du kamishibaï :

Ce que je pense, c’était très bien. ça m’a montré d’autres langues que je ne connaissais pas. C’est trop bien. Avec les histoires, ça donne le courage, parce que y’en a… ce que madame là lisez le souvenir de quelqu’un, ça donne le courage avec les gens. […] ouais, les autres qui a écrit des histoires, des souvenirs quoi, et ben ça donne le courage parce que les mots ça donne le courage. (Mohamed, annexe 13,10-15).

Il a aimé découvrir d’autres langues ainsi que les épreuves que les autres ont traversées ; il dit que ça lui a donné du courage. Il reprend la parole, désireux de préciser sa pensée :

Encore je vais expliquer bien. […] quand même j’ai oublié le nom de quelqu’un qui dit qu’il était en Lybie, il était emprisonné [E2 : Saïdou…] ouais tout ça c’est courage, si il n’a pas de courage il peut pas arriver en Europe, ben il a fait du courage jusqu’à présent… pour venir en Europe. (Mohamed, annexe 13, 22-27)

Mohammed est admiratif. Le courage de Saïdou lui donne du courage pour se battre. En effet, comme s’il réfléchissait à haute voix, il rajoute encore : « j’ai pas vu tout ce que

Saïdou il a expliqué tu vois ? […] parce que chacun sa chance quoi tu vois ? » (annexe 13, 35-38). Lui, n’a pas vécu d’épreuves aussi dures en Lybie, pourtant il y est passé. Le récit

de Saïdou lui permet de relativiser et de se décentrer. Finalement il mesure sa chance, ça lui redonne du courage. Lui qui pensait beaucoup à s’amuser avec Abdellah, ne se laisse pas distraire un instant par les bruits de son camarade, il veut dire tout ce qu’il a à dire. Il semble apprécier de pouvoir s’exprimer et que son avis soit pris en compte.

Pendant la lecture, j’avais noté qu’Ibrahim (maçon) avait répété après A-S, l’émotion exprimée par Boly (MOS), à la fin de son souvenir « di mubena »25

. En effet, ce souvenir a fait écho chez I. et l’a amené à parler :

Boly quand il a dit souvenir son père il l’a tapé […] quand même j’ai pensé à un souvenir comme lui là tout le temps j’ai faire à l’école coranique au Sénégal […] et ben mon professeur tout le temps il tape, tout le temps il tape. (I., annexe 13, 176-183)

25

Il nous a expliqué que « c’est un truc en Afrique » de taper mais qu’en France on n’a pas le droit. Il compare donc les deux cultures et ce souvenir le rapproche de Boly.

La démarche EVL a donc permis une ouverture à la diversité linguistique et culturelle, à l’altérité, et à la biographie (au sens large) des participants. Le kamishibaï leur a donné l’occasion de mieux se connaître non seulement au sein de chaque micro groupe mais aussi au sein du grand groupe des élèves de FLE. Ils ont également réalisé un travail au plan identitaire en s’identifiant aux uns, ou au contraire, en se différenciant des autres. En tout cas, ils ont pris conscience, à travers ce projet collectif de leur appartenance à un groupe dont la richesse linguistique et culturelle a été révélée par leur kamishibaï. Richesse que beaucoup de personnes vont pouvoir découvrir car le kamishibaï est à Paris, et parce qu’ils vont s’entraîner pour aller le lire à la bibliothèque.