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3. Méthodologies mises en œuvre

5.3 Ne pas laisser les usagers âgés en marge de la révolution numérique qui s’opère dans le

5.3.4 L’avènement du véhicule autonome : des challenges à relever et des opportunités

En préambule à cette section, il est important de s’appuyer sur une grande conclusion des travaux sur les facteurs humains : tout ne peut pas être automatisé ! En effet, inventer les automatismes passe par l’intervention d’un humain qui reste faillible, l’automate peut lui aussi présenter des défaillances (et pour les corriger on a besoin de l’humain lui-même défaillant), l’automate doit enfin conquérir le monde opératoire standardisé ou standardisable avec tout ce qui peut actuellement échapper à la description d’une activité de conduite standardisée. Les développeurs du véhicule autonome doivent donc garder en tête l’illusion de toute puissance que cet objet technologique représente et être prêt à remonter les manches pour corriger les nombreuses défaillances, erreurs, ou faute que l’on pourra observer. Comme le souligne Dejours (2014), le postulat positiviste accorde une grande puissance pour l’action comme argument de la décision. Sur ce thème, l’innovation par la technologie implique une prise de risque et les difficultés imprévues qui apparaitront seront résolues par le travail constant des équipes.

Sur la question de l’avènement du véhicule autonome, nous devons faire face à un changement de paradigme. De façon évidente, le rôle du conducteur change fondamentalement : il sera dans ou hors la boucle. Il s’agit d’une forte rupture théorique pour les approches de la conduite menées jusque-là par notre communauté (Figure 19). Par les contacts entretenus via Arpège (Association pour la

45 L’engagement des conducteurs âgés dans une activité secondaire semble être moindre dans les intersections complexes et lorsque le véhicule est en mouvement

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Recherche en Psycho-Ergonomie et Ergonomie), nous pourrons faire en sorte que les principaux défis liés à l’avènement du véhicule autonome soient couverts par la recherche (acceptabilité par les usagers, usages et mésusages prévisibles, sûreté et sécurité du véhicule autonome).

Figure 19 : Illustration du changement de paradigme lors du passage de l’utilisation d’un véhicule automatisé à un véhicule autonome (source : Fraunhofer).

Dans les années à venir les recherches que je vais développer sur ce thème vont porter sur la question de la reprise en main du véhicule et la gestion des ressources attentionnelles avec une analyse centrée sur la conduite de l’individu, terme pris ici dans son acception générique, et non plus uniquement sur ses comportements. Grâce aux travaux de Julien Cegarra de l’institut national universitaire Champollion d’Albi, un regard particulier sur les questions d’initiative d’engagement et de motivation à l’usage pourra être porté.

Ces deux dernières années universitaires (2014-2016), j’ai encadré trois stages sur ces deux thèmes. Nous avons ainsi pu étudier sur simulateur les réactions de conducteurs lorsque, en situation critique d’arrivée sur un obstacle, on leur demande de reprendre en main un véhicule autonome (Pépin, 2015). Nous avons aussi pu comparer ces réactions à celles de conducteurs utilisant un système de régulation adaptative de la vitesse (Maillant, 2016). Nous avons profité de ces expérimentations pour collecter des données comportementales de conduite dans des scénarios faisant varier les états internes des conducteurs (en induisant des distractions cognitives et du vagabondage de la pensée) afin de disposer de données pour rechercher des indicateurs d’états attentionnels dégradés. Notre objectif à terme étant de disposer de marqueurs cérébraux, oculaires et physiologiques dans le but de pouvoir établir un suivi en temps réelle (en ligne) de l’état objectif du conducteur. Les premiers résultats obtenus sont encourageants. Nous avons pu déceler un état inattentif du conducteur par l’analyse de l’exploration visuelle et des comportements de conduite (Malin, 2016). Ces premiers résultats confirment les dangers de l’automatisation partielle qui avaient été anticipés avant leur développement : les systèmes automatisés procurent plus facilement un état inattentif chez le conducteur. Les résultats ont permis d’entrevoir également la plausibilité de déceler l’inattention par la variation du rythme cardiaque (corrigée de l’influence de la respiration)46, la fixité du regard et les écarts de trajectoire latéraux sur la voie. La manière par laquelle il conviendrait d’aider le conducteur à reprendre efficacement le contrôle de son véhicule, reste encore à débattre sous le regard de la neuroergonomie.

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Nous avons appris très récemment l’acceptation pour financement par l’ANR du projet AUTOCONDUCT. Ce projet coordonné par Patricia Joinville de Védecom et Hélène Tattegrain (directrice du Lescot) vise à proposer un monitoring avancé de l’état du conducteur de véhicule autonome de niveaux 3-4 en combinant plusieurs diagnostics. Le but est de prédire et d’adapter en temps réel la gestion des interactions entre l’homme et la machine (IHM). Le résultat attendu est la conception centrée sur l’utilisateur d’un démonstrateur physique présentant un haut niveau d’acceptabilité. Le projet consiste ainsi à (1) évaluer l’acceptabilité sociale et d’usage par le conducteur de ce nouveau mode de mobilité de manière à en identifier les attentes et les besoins (cette tâche sera coordonnée par Annie Pauzié), (2) concevoir et valider des diagnostics de l’état du conducteur ainsi que (3) des modalités d’IHM (je collaborerai avec Alexandra fort et Christophe Jallais sur ces travaux) afin (4) d’intégrer et évaluer l’ensemble des travaux dans des conditions écologiques.

La thèse de Guillaume Pépin, démarrée en octobre 2015, vise à développer une brique technologique permettant de déceler les états internes du conducteur. Dans le cadre du Challenge Innovation Valeo, nous avons récemment remporté un prix pour ce travail. Dans la perspective d’assurer une bonne reprise en main d’un véhicule autonome, il est nécessaire de disposer d’un diagnostic d’état du conducteur. En effet, en utilisant ces véhicules, le conducteur aura pour tâche de surveiller l’automatisation et de reprendre le véhicule en main lorsque cela sera nécessaire. Un état interne dégradé pourrait être un élément perturbateur car l’effort cognitif que le conducteur aura à fournir pour ramener son attention à la conduite, mettre à jour sa représentation de la situation et réintégrer la boucle de contrôle pourrait faire échouer sa reprise en main. Il convient donc de rechercher une solution innovante pour résoudre cette difficulté.

Il existe d’ores et déjà des études qui ont permis, par des mesures comportementales et physiologiques, de détecter les états attentionnels dégradés des conducteurs (Liang et al., 2007). Les systèmes actuels détectent la distraction au volant mais aucun système ne permet encore de détecter l’inattention liée à une distraction cognitive supplémentaire ou au vagabondage de la pensée (VP). Des marqueurs physiologiques de l’effort cognitif ont été mis en évidence : au niveau électroencéphalographique (EEG), l’amplitude des ondes thêta et delta augmenteraient alors que l’amplitude des ondes alpha et beta diminueraient ; au niveau cardiaque, sur de courtes fenêtres temporelles, on noterait un accélération du rythme avec l’effort cognitif ; l’oculométrie a permis de montrer un nombre plus important de clignements oculaires et un nombre de fixations moindre pendant le VP ; au niveau comportemental, on remarque une absence de micro-régulations de la position latérale du véhicule. Chacune de ces études a mis en évidence un indicateur susceptible de détecter ces états internes.

Pour progresser sur ces questions, nous avons souhaité explorer la littérature sur le VP. Smallwood et Schooler (2015) soulignent que, pendant le VP, l’attention se désengage de l’environnement externe pour se tourner vers des pensées internes (découplage perceptif). Le conducteur n’est alors plus à même d’avoir une bonne représentation de la situation, les efforts cognitifs qu’il fournit sont au service de ses pensées auto-générées. Le coût cognitif supplémentaire engendré pour ramener son attention vers l’activité principale pourrait ainsi devenir trop important notamment lors de fortes contraintes temporelles. En effet, la reprise en main implique une transition entre l’activité annexe de l’opérateur et la prise de contrôle du véhicule. L’opérateur pourrait donc ne plus avoir les ressources cognitives suffisantes pour ramener son attention sur la conduite afin de pouvoir réintégrer correctement la boucle de contrôle. Il convient alors de mesurer en temps réel l’effort cognitif fourni afin d’adapter le niveau d’assistance en conséquence et de permettre une bonne reprise en main du véhicule.

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Dans ce travail, nous avons souhaité poursuivre une piste de recherche particulièrement intéressante : améliorer la sensibilité de la mesure de l’effort cognitif via l’analyse conjointe des activités cardiaque et respiratoire. Comme évoqué au préalable, la mesure de l’effort cognitif par la variation du rythme cardiaque (VRC) a été plusieurs fois mise en évidence et, à l’aide d’une étude de la réponse cardiaque évoquée, nous avons pu confirmer la bonne sensibilité de la VRC en conduite automobile (Pepin et al., in press). En revanche, il existe des liens forts entre rythme cardiaque et respiration. Ce phénomène est appelé Arythmie Sinusale Respiratoire (ASR). Afin d’améliorer la sensibilité de cet indicateur d’effort cognitif, il convient donc de supprimer du signal cardiaque l’influence de la respiration. Une technique de modélisation de la respiration a été validée (Choi et al., 2011). Il convient donc maintenant de savoir si la VRC corrigée de l’influence de la respiration est un indicateur suffisamment sensible pour permettre de détecter en temps réel l’effort cognitif du conducteur. Dans la phase 2 du Challenge Valeo (travaux confidentiels), nous avons mis en place des travaux complémentaire pour attaquer cette question. Quelle que soit l’issue donnée à ce prix, ces travaux seront poursuivis dans le cadre de la thèse de Guillaume. A l’aide d’une approche en neuroergonomie, une expérimentation complémentaire utilisant la technique des potentiels évoqués sera menée pour étudier les corrélats psychophysiologiques du vagabondage de la pensée afin mieux comprendre les effets de l’effort cognitif sur la prise et le traitement de l’information, vérifier ses conséquences sur les activités cardiaque et respiratoire et sur la réponse électrodermale. Sur une idée de George Michael du laboratoire EMC à l’université Lyon 2, cette dernière technique sera utilisée afin d’interpréter nos résultats en ayant une meilleure connaissance sur nos participants. La labilité électrodermale (LED) est considérée comme un trait psychophysiologique lié au degré d'attention portée à ses propres pensées et cognitions. Il serait attendu que les individus qualifiés de labiles d'un point de vue électrodermal aient un esprit plus vagabond que les stabiles car leur attention serait plus fréquemment et plus intensément orientée vers leurs pensées et serait donc détournée de la tâche primaire. Ces travaux pourront être analysés voire valorisés conjointement avec certains membres du laboratoire EMC.

Concernant les travaux sur le développement d’assistance à la conduite basé sur des interactions homme-machine intégrant un diagnostic d’état du conducteur, il est intéressant de se ressaisir de la notion de calibration précédemment évoquée. Horrey et collaborateurs (2015) proposent un élargissement du cadre conceptuel permettant d’étudier la calibration en conduite automobile afin de montrer le rôle et l’influence que peut avoir l’automate sur les habiletés et les jugements du conducteur (partie gauche de la Figure 20).

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Lorsque, sur des durées plus ou moins longues, le conducteur utilise un véhicule équipé d’automates, il délègue partiellement ou totalement le contrôle de son véhicule. Ceci change profondément la nature de la conduite et contraint à de nouvelles tâches qui peuvent distraire le conducteur. Cette notion de calibration est particulièrement importante à considérer lorsque l’on s’intéresse aux états dégradés du conducteur. En effet, ce concept est essentiel pour comprendre les accords et désaccords dans le binôme homme-machine et la confiance envers le système automatisé qui en découle chez le conducteur. Les effets pervers des assistances à la conduite qui avaient été pointés par Parasuraman & Riley (1997) que sont les « misuse-abuse-disuse » pourront être bien mieux compris et décrits si on étudie les écarts entre les estimations faites à partir des représentations qui sont élaborées par le conducteur mais aussi par l‘automate.

L’avènement du véhicule autonome élargit aussi la palette de la robotique de suppléance. Voici une nouvelle assistance qui devrait permettre d’améliorer l’autonomie des personnes âgées et handicapées. Il conviendra de ne pas laisser ces personnes en marge du développement technologique qui s’annonce. Le véhicule autonome va permettre de développer une offre de transport plus souple et plus individualisée. Cette offre sera particulièrement adaptée aux problématiques du vieillissement et du handicap afin de mieux organiser la mobilité de proximité à l’échelle du bassin de vie. Les opérateurs de transport n’avaient pas toujours eu de succès, la technologie pourrait permettre une avancée importante. Par ailleurs, les technologies de maintenance prédictive, grâce à l’analyse de la manière de conduire, du nombre de kilomètres parcourus, voire des incidents survenus, peuvent alerter l’automobiliste du nécessaire entretien de son véhicule, voire même des réparations futures probables mais pas seulement cela : pourquoi ne pas penser à transférer cette approche pour étudier la maintenance du conducteur ?