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L’autocritique et la critique de l’autre

Au-delà des actes de chacun, du concret et du quantifiable, il est nécessaire de se préoccuper de la réflexion personnelle des individus interrogées sur leur comportement. Au-delà d’observations objectives, l’autocritique est une part essen- tielle d’un comportement éco-responsable. Car sans cette introspection, comment entrevoir ses limites, et admettre la possibilité d’une amélioration ? Sans autocritique, il n’y a pas de remise en question, et tout devient permis.

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Donc plus que d’enquêter sur le mode de vie de ces citoyens, s’est posée la question de l’opinion que ceux-ci portent sur leur propre comportement. Quelle image ces Allemands ont-ils de leur mode de vie, en relation avec l’environne- ment ? Cet échantillon reflète-il le lieu commun de l’Alle- mand confiant, « rigoureux et travailleur »1 certain de vivre

en corrélation avec l’environnement, de la responsabilité écologique de son mode de vie ?

Au cours des entretiens, à la question d’ordre général « Considérez-vous votre mode de vie comme étant éco-res- ponsable ?» les réponses au premier abord sont unanime- ment « oui », déclamées avec plus ou moins de conviction. Sur une échelle de 100, une interrogée s’octroie une note de 80.

Toutefois, une fois la question répétée avec plus d’insis- tance, le doute s’installe chez certains. D’aucuns admettent qu’il y a certainement des possibilités d’amélioration. Mais le bilan reste tout de même positif ; les individus question- nés sont plutôt convaincus que leur mode de vie est éco- logique.

Encouragés à répondre avec plus de précision, et devant l’insistance de l’interrogation, la réaction suivante peut être observée dans la majorité des cas ; la comparaison à « l’autre », qui apparait très rapidement, comme une sorte de parade. En d’autres termes, si après réflexion chacun ne pense pas être irréprochable, il considère au moins son comportement bien moins condamnable que celui des «  autres  ». Certains vont même plus loin, allant jusqu’à

1 (Ouest-France, 2013)

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dénoncer, démontrant simultanément le bienfait de leurs actions, qui apparaissent sous une meilleure lumière com- parées aux exemples de mauvaise conduite mentionnés. Ce dénigrement des « autres » est valable de l’échelle lo- cale à internationale. Au niveau mondial,  les Allemands sont ôtés de tout doute quant à leur performance écolo- gique lorsqu’ils se comparent aux exemples redondants des « cancres » de l’écologie : les Etats Unis et la Chine. « Il y a de nombreux pollueurs (…). Ici nous économisons et pre- nons soin de l’environnement, mais dans d’autres pays ce n’est pas le cas. »2 Il existe même un ressentiment pour ces

pays très pollueurs, qui en plus de faire peu d’effort, affecte le monde entier par leur négligence. Un des exemples les plus inquiétants et contrariants est « la pollution en Asie orientale, et surtout en Chine ; l’air, le sol, l’eau...et ce n’est pas restreint à la Chine, cela se répand au niveau plané- taire. »3

Pour ce qui est de la France, les Allemands interrogés ex- priment une opinion d’efficacité supérieure de leur mode de vie à deux niveaux seulement : Premièrement, d’après leurs voyages et observations au sein de l’hexagone, ils considèrent que leur système de tri des déchets est bien plus responsable et développé. Et deuxièmement, l’utili- sation massive continue du nucléaire en France est consi- dérée préoccupante, et alarme certains, qui sont fiers des

2 „Es gibt viele große Umweltverschmutz (...). Wir sparen hier und achten

auf die Umwelt aber in anderen Ländern nicht.“Frau D, 60 ans, professeur de chimie (traduction libre)

3 „die Umweltverschmutzung im Ferner Osten*, in China vor allem; Luft, Bo-

den, Wasser… und das ist nicht nur auf China begrenzt, es dehnt sich Weltweit aus.“Herr C, 59 ans, directeur (traduction libre)

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efforts de leur pays pour atteindre l’indépendance de cette source d’énergie.

D’autre part, d’aucuns se comparent à leurs compatriotes. On retrouve par exemple une nouvelle fois une comparai- son défavorable entre les jeunes générations et leurs prédé- cesseurs, avec l’opinion partagée chez les plus jeunes que, contrairement à eux, les personnes plus âgées ne sont plus capables de changer leurs habitudes et de renoncer à leurs conforts afin d’adopter un mode de vie plus écologique. « Je pense qu’une transformation s’impose, les choses doivent changer, mais c’est plutôt difficile pour les générations plus âgées. »4

Se comparer aux autres semble en définitive un bon moyen de faire taire une mauvaise conscience. «Peut-être de- vrais-je changer quelques aspects mon mode de vie, mais je pense que les générations précédentes doivent changer leur mode de vie bien plus. »5

Enfin, certains, moins précis, comparent de manière plus générale leur comportement, apparemment exemplaire, à celui des « autres » au sens large. L’exemple le plus mar- quant est une femme de soixante ans, qui au cours de l’en- tretien fait référence au comportement d’autrui de manière récurrente, exprimant à la foi un apparent sentiment de confiance absolue en la responsabilité exemplaire de son mode de vie, et dans le même temps un ressentiment pour

4 „Deshalb denke ich sich der Wandel aufdrängt, es muss sich etwas verändern,

aber das ist eher gerade schwierig in den älteren Generationen.“Frau H, 23 ans, étudiante (traduction libre)

5 „Vielleicht müsste ich ein paar Kleinigkeiten in meiner Lebensweise ändern

aber ich denke, dass die früheren Generation, die müssen viel mehr ihre Le- bensweise ändern.“ Frau H, 23 ans, étudiante (traduction libre)

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les nombreux « autres » qui, contrairement à sa famille, ne procurent pas d’efforts à la hauteur de la nécessité actuelle.

« Nous faisons attention au tri des déchets, mais seuls à Stuttgart...il y a encore beaucoup d’autres maisons. »6

Cet acte comparatif, voire de reproche et de blâme d’au- trui, semble traduire chez certains une note de culpabilité. Serait-ce parce que, une fois sérieusement interrogés, le doute s’installe ? Leur conscience leur révèle-t-elle en fait l’insuffisance de leurs efforts face aux nécessités dont ils déclarent s’apercevoir ? La petite voix qui le plus souvent se trouve étouffée sous la masse de soucis et préoccupations du quotidien se ferait-elle plus forte au cours de l’entretien, faisant naitre ce sentiment coupable que l’on ne veut pas admettre ? Il semble que cela soit le cas pour certains, qui concluent en avouant que certes, ils pourraient sans doute faire mieux, mais qu’au moins, il y a bien pire qu’eux ! Mais pour d’autres questionnés, le blâme peut s’interpré- ter de manière très différente. S’ils accusent et dénoncent les pires exemples de mauvaise conduite écologique, ils ne semblent pas pour autant être en proie au doute quant à leurs actions. Bien au contraire, on peut observer chez quelques-uns une forte conviction personnelle.

Ainsi se distinguent nettement deux classes d’âges aux po- sitions clairement divergentes face aux questions de l’éco- logie et de la responsabilité : d’une part les étudiants, et d’autre part les actifs, et plus particulièrement ici, ceux âgés de plus de cinquante ans.

6 „Wir achten auf die Mülltrennung, aber allein in Stuttgart… gibt es noch

viele andere Häuser“ Frau D, 60 ans, professeur de chimie (traduction libre)

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