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Ecologie, un nouveau symbole de statut social ?

On peut observer chez plusieurs interrogés de plus de cin- quante ans une certitude assez déconcertante, concernant la vertu de leur comportement en relation avec la préser- vation de l’environnement. Contrairement à l’image expri- mée par les étudiants questionnés d’une génération dépas- sée, ancrée dans ses habitudes et incapable d’envisager le changement, c’est une toute autre réalité qui transparait au cours des entretiens avec les concernés. Faisant montre d’un fort intérêt en la matière, ainsi que d’une connais- sance et d’une compréhension profondes de ce sujet, ces interrogés sont désireux de partager leur savoir et leur ex- périence, et d’expliquer leurs accomplissements. Car, ainsi que montré auparavant, ces citoyens ont d’ores et déjà pris des mesures, notamment pour réduire leur empreinte car- bone. Ils clament ainsi avec enthousiasme et même fierté

« Je m’efforce. Je me considère comme très écologique. »10

Cette forte conviction personnelle, résulte vraisemblable- ment d’actions dictées par la conscience de ces individus, cette dernière s’en trouvant vraisemblablement apaisée. Loin d’ignorer le danger de la situation écologique ou d’être dans l’incapacité d’envisager un quelconque changement,

9 (FAREL, 2007)

10 „Ich bemühe mich. (...) Ich halte mich für sehr umweltbewusst.“Herr G, 79

ans, architecte et professeur universitaire (traduction libre)

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ces personnes montrent que non seulement elles se savent concernées et responsables, mais qu’elles ont même déjà entrepris des mesures de changement de leur mode de vie, que ce soit au niveau de leurs achats, des moyens de trans- port ou bien de leur logement. Ces actes sont confortés par un sentiment de confiance, et sont relatés avec un soupçon de modestie : « Je fais déjà presque tout correctement. »11

Cette certitude est encouragée par le simple fait que les ci- toyens les plus âgés ont été témoin de l’amélioration visible de leur environnement de vie, confirmant leurs actions et récompensant les efforts produits dans leur pays depuis les années soixante. Ainsi que cité auparavant, un inter- rogé partage son expérience de l’évolution de la qualité de vie à Stuttgart, décrivant l’air irrespirable et l’eau polluée de la ville de son enfance, si différente aujourd’hui12. Etre

le témoin d’un tel changement au cours d’une vie est une expérience vraisemblablement encourageante. Ces amé- liorations, fruits notamment de fortes mesures nationales, ont « contribué à améliorer nettement la qualité de l’envi- ronnement dans les grandes régions urbaines, à tel point que le vœu exprimé dans les années soixante « d’un ciel qui doit redevenir bleu au-dessus de la Ruhr » est maintenant réalisé. »13

En revanche, la fierté détectée au cours de la majorité des

11 „ich mache schon fast Alles richtig.“ Herr G, 79 ans, architecte et professeur

universitaire (traduction libre)

12 « Je suis déjà plutôt âgé, j’ai presque soixante ans, et je me souviens très bien

comment c’était lorsque j’étais enfant. On ne pouvait plus voir Stuttgart à cause de la fumée des usines. Le Neckar était complètement pollué, il n’y avait plus de poissons. Et aujourd’hui, la situation est vraiment bien meilleure. » Herr C, 59 ans, directeur (traduction libre)

13 (DESHAIES, 2009)

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conversations semble indiquer plus que de simples bonnes intentions et actions conséquentes. Ces actes et efforts seraient-ils encouragés par quelque chose de plus que la simple conscience écologique ? L’adoption d’un mode de vie plus écologique, la réduction de son empreinte carbone et de l’impact néfaste de son comportement quotidien ne serait-il pas devenu une sorte de phénomène de mode ? Ou bien même plus qu’une mode, mais plutôt un but à atteindre au cours d’une vie réussie, au même niveau que l’achat de sa propre voiture ou l’accès au statut de propriétaire ? Le mode de vie écologique, tel qu’il est considéré ici, semble effectivement être devenu plus qu’une simple résultante d’une forte conscience écologique, mais bel et bien un nouveau symbole du statut social, à la fois une gratification personnelle et une distinction au sein de la société. Serait- il possible que l’installation des derniers équipements écologiques ait remplacé l’achat de la dernière Mercedes ?

« Je me suis déjà débarrassée de tout ce qui est polluant ! A présent nous n’avons plus d’enfants en bas-âge, nos enfants sont des adultes, qui vivent également de manière écolo- gique (…), nous vivons dans notre maison mitoyenne, nous nous sommes organisés de façon à polluer le moins possible. »14 D’autres raisons et motivations sont certes en

jeu, comme bien entendu l’amélioration du confort, l’effi- cacité augmentée, l’économie d’énergie et donc d’argent au long terme. Mais l’obtention d’équipements consommateur d’énergies renouvelables ne présenterait-il pas également

14 „Ich habe schon alles abgelegt, was umweltschädlich ist! Wir haben jetzt keine

kleine Kinder mehr, wir haben erwachsene Kinder, die auch umweltbewusst leben (…), wir leben in unserem Reihenhaus, wir haben uns so organisiert, dass es bei uns nichts viel Umweltschädliches geben kann.“Frau D, 60 ans, professeur de chimie (traduction libre)

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un autre attrait, comme une distinction sociale, au même titre qu’une belle maison ?

Faire du car sharing fait montre d’une forte conscience écologique, un trait devenu admirable. Il s’agit après-tout d’une sorte de sacrifice, pour les foyers qui ont les moyens de posséder plusieurs voitures, que de renoncer à ce véhi- cule pratique et confortable. N’est-ce donc pas une com- pensation méritée, que de pouvoir montrer et partager cette abnégation avec autrui ? Il en va de même pour les investissements effectués pour l’installation d’équipements plus performants et écologiques, que l’on ne se garde pas de dissimuler. « J’ai tout. Je viens de dépenser 15 000€ pour la nouvelle salle de bain. Et nous avons dépensé plus de 200 000 € pour cette maison. »15 (Maison secondaire, louée en

quatre appartements).

Cette dernière mesure est en revanche pour le moins coû- teuse, et inabordable pour une grande part de la popu- lation allemande. De même que pour les achats bio, elle n’est pas accessible à l’ensemble de la société. « Il est très difficile de changer, dès lors que les jeunes et les étudiants n’ont pas les moyens d’acheter des produits régionaux et de saison. »16 Ceci confirme ainsi le sentiment exprimé par les

étudiants ; ils sont moins responsables, puisqu’ils n’ont pas les moyens de vivre de manière responsable.

15 „Nein ich habe alles. Ich habe jetzt 15 000€ für das neue Bad installiert. Und

wir haben über 200 000€ für dieses Haus ausgegeben.“ Frau D, 60 ans, profes- seur de chimie (traduction libre)

16 „Das ist sehr sehr schwierig, dass man da was ändert, denn unsere jungen

Leute und Schüler fragen, die haben nicht das Geld, um immer regional und saisonal zu kaufen.“ Frau D, 60 ans, professeur de chimie (traduction libre)

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Mais en suivant ce fil de pensée, l’écologie deviendrait par conséquent réservée seulement à une certaine classe so- ciale. Seuls les actifs, les foyers aisés, seraient ainsi en me- sure d’adopter le dit mode de vie écologique. Or, n’est-ce pas là un non-sens, que de réserver l’écologie à une certaine élite sociale, transformant par la même occasion la notion même d’écologie, n’étant plus un moyen pour une fin, celle de la protection de notre environnement de vie, pour nous et les générations futures, mais devenant un symbole de réussite personnelle, une distinction au sein de la société ? Quelle est donc la réelle définition d’un « mode de vie éco- logique » ?

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2.3 qu’est-ce donc

qu’un mode de vie

écologique ?

La situation environnementale globale est critique, et les experts sont unanimes ; des changements sont indispen- sables pour la sauvegarde de notre planète, notre lieu de vie, et par conséquent pour assurer la survie de l’humanité. Le premier pas est la prise de conscience par la population mondiale de son péril, et des causes de l’état actuel de la situation. Cependant, la prise de conscience est à elle seule insuffisante, si elle n’est ultérieurement pas accompagnée d’un passage à l’action. Le changement doit s’opérer à diffé- rents niveaux. Dans l’ouvrage Bâtir Ethique et Responsable, Alain Farel explique effectivement que la « démarche vers un cadre de vie durable implique trois catégories d’acteurs (…) : les élus, les professionnels et les citoyens, les deux premières catégories devant évidemment être incluse dans la dernière. »1. Ces transformations du quotidien doivent

permettre d’aboutir à un mode de vie écologiquement soutenable, permettant la préservation de notre environ- nement pour notre génération et les générations futures. Mais qu’implique donc une telle manière de vivre ? Il est ainsi crucial de définir ce qui est ici nommé « mode de vie écologique ». 1 (FAREL, 2007)

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