• Aucun résultat trouvé

3.2 Les procédés de la "mauvaise nouvelle"

3.2.2 L’argument d’autorité

L’argument d’autorité est un argument qui vise à donner de la crédibilité aux propos du locuteur. En effet, le locuteur appuie son argumentation en mettant en avant les sources fiables auxquelles il se réfère, ce qui lui confère une certaine légitimité. Mathilde Fontanet, dans son essai intitulé L’orientation argumentative dans les discours politiques français et anglais , montre que l’argument d’autorité sert une stratégie d’argumentation. Il s’agit de convaincre son auditoire:

« Les facteurs concourant à asseoir l’autorité de l’orateur sont essentiels, car, si celle-ci vacille, c’est toute la légitimité du propos qui est menacée. Or, l’autorité de l’énonciateur procède de plusieurs facteurs : son titre, sa fonction sociale, ses actes (connus de l’auditoire), ses qualités particulières (intellectuelles, physiques et morales), sa personnalité (son « personnage ») et son maniement de la langue et du discours. À ce dernier égard, le verbe peut le servir (ou le desservir) doublement, car bien gérer son discours lui permet non seulement d’amener l’auditoire aux conclusions, croyances et convictions qu’il préconise, mais aussi de le séduire par son éloquence, son ingéniosité ou son humour, autant d’éléments constitutifs de son autorité morale. […] Ainsi, pour maintenir son autorité, l’énonciateur doit procéder à des choix stratégiques portant notamment sur les citations, la manière de réfuter les objections, la structure générale du discours et les effets humoristiques. Pour mieux convaincre, il a tout intérêt à se doter des attributs d’autorité qui s’avéreront les plus efficaces auprès du récepteur » (Fontanet 2009 : 203- 204).

Le recours à l’argument d’autorité participe à un choix discursif qui est de l’ordre de l’implicite et qui vient s’ajouter au sens explicite. Les articles choisis dans ce corpus ont tous été écrits à la suite de la déclaration officielle de l’OMS qui annonce l’état de pandémie. L’OMS, étant l’instance mondialement reconnue qui traite des questions de santé, elle constitue pour le journaliste une source fiable. Ainsi, faire référence à l’OMS pour étayer une information permet de donner de la force et de la crédibilité à cette dernière. Chacun des articles mentionne en effet l’OMS comme source d’information.

Le Figaro fait référence à la déclaration de l’OMS déjà dans son titre.

L’information est donc mise au premier plan. Il ne rapporte pas directement le discours de l’OMS, mais procède à une référence directe à la déclaration du 11 juin 2009 : « L’Organisation mondiale de la santé a relevé son niveau d’alerte au niveau maximal, le 6, mais sans prendre de nouvelles mesures ».

Le journaliste se réfère à l’OMS, qui fait figure d’autorité sur les questions de santé pour dire les décisions prises (« relevé son niveau d’alerte au niveau maximal, le 6 »), mais surtout pour mettre en avant ce qui n’a pas été fait avec l’introduction du connecteur « mais » (« mais sans prendre de nouvelles mesures »). Cette contradiction est appuyée par l’adjectif « maximal » et l’incision de « le 6 » qui servent à attirer l’œil du lecteur sur le caractère alarmant de cette déclaration.

Le New York Times, comme Le Figaro, choisit pour son titre de faire référence à la décision de l’OMS de hausser le niveau d’alerte.

« W.H.O. Raises Alert Level as Flu Spreads to 74 Countries »

Cet énoncé est très pragmatique ; l’absence d’épithète qualificatif et de marque énonciative exclut la fonction émotive. La deuxième partie (« as… ») vise un but explicatif, il y a un lien de cause à effet. On rationalise l’événement en lui donnant une explication précise (d’où la précision du nombre exact de pays touchés). L’OMS suit donc un protocole précis et déjà mis en place ; cela se veut donc rassurant.

Le Washington Post choisit lui aussi de faire référence à l’OMS d’entrée de jeu. « WITH CASES numbering more than 59,000 across 110 countries, Margaret Chan of the World Health Organization has declared a swine flu pandemic. »

Non seulement l’argument d’autorité est représenté par la figure de Margaret Chan, mais il porte également sur la précision des chiffres énoncés. La figure d’autorité (Margaret Chan) s’est elle-même basée sur une réalité scientifique pour prendre sa décision. Une pandémie peut être déclarée seulement sur la base de critères scientifiques pré-établis. Le savoir scientifique est un argument de poids : nul ne peut le réfuter. À ce sujet, Mathilde Fontanet a également souligné l’importance que revêt la présence de statistiques, qui sans être scientifiques, se font passer pour telles:

« La mention de chiffres et de statistiques pour attester les progrès réalisés ou mesurer l’ampleur des problèmes évoqués peut être assimilée à l’argument d’autorité dans le sens où, outre leur valeur informative, ces mentions donnent à penser que les instituts de sondage et les scientifiques, reconnus pour leur objectivité, viennent corroborer par leurs données le propos de l’énonciateur. De même, l’usage de termes techniques peut permettre à l’énonciateur de suggérer des connaissances plus pointues dans un domaine, au risque d’entraver la communication s’il en abuse » (Fontanet 2009 : 207).

De nouveau, la nécessité de convaincre trouve son cheminement à travers l’information. Dans chacun des articles figure la mention des critères scientifiques retenus pour établir l’existence d’une pandémie. Il est intéressant de noter qu’à la fois dans la déclaration officielle de Margaret Chan et dans les articles anglais apparaissent tout d’abord les critères requis pour établir l’existence d’une pandémie, ce qui amène la déclaration du haussement de l’alerte vers un état de pandémie. En revanche, la logique argumentative diffère dans les articles français.

En effet, Le Figaro et L’Humanité mettent en avant l’information d’une pandémie déclarée déjà dans le titre, et ce, avant même de mentionner un critère scientifique définissant ce qu’est une pandémie. Ainsi, les deux journaux débutent respectivement leur article par : « Grippe A : l’état de pandémie déclaré » et « La pandémie de grippe A est déclarée ». Les critères scientifiques d’une pandémie n’apparaissent que plus tard dans l’article, à titre explicatif.

Ainsi, dans Le Figaro, l’explication scientifique sert à appuyer la décision du haussement du niveau d’alerte. « Pour prendre sa décision, l’organisation attendait d’avoir des preuves que le virus se propageait bien localement dans une région autre que le continent américain, critère géographique retenu pour déclencher la phase 6. ». Il en va de même pour L’Humanité : « Celle-ci [la phase d’alerte maximale] se caractérise par une présence du virus sur au moins deux continents. Nous y sommes puisque aucun n’en est exempt ».

Ici, la phrase explicative introduit une conclusion dramatique avec la présence du « Nous ». En effet, chaque lecteur est concerné par la pandémie.

Ces deux exemples montrent que l’argument d’autorité basé sur les critères scientifiques passe au second plan. En effet, la réponse à la question quoi ?

(la pandémie) est largement plus importante que la réponse à la question pourquoi ? L’accent est mis sur la déclaration de la pandémie qui fait office de phrase « choc ».