A la fin de l'année 1946, après l'échec des négociations qui devaient permet-tre à la Suisse, munie de son statut de neutralité, d'enpermet-trer dans l'Organisation des Nations Unies, c'est vers la solution prônée par W. E. Rappard que tend désormais la politique du Conseil fédéral. Ils' agit pour la Confédération, tout en restant en dehors de cette ligue de vainqueurs, d'entretenir une étroite col-laboration avec l'organisation internationale dans les domaines techniques.
Dans les propos qu'il tient au sujet de l'intégration européenne ou mondiale, on retrouve l'idée qui lui est chère, celle d'un fédéralisme international à l'échelon de toute l'Europe, voire du globe. Cette solution volontairement ac-ceptée par chacune des nations, qui seraient subordonnées à une autorité mondiale, est la seule à ses yeux susceptible d'assurer la paix et la sécurité.
Et de constater, hélas, qu'une telle construction n'a de chances de se réaliser
21 Lettre de W. E. Rappard à Max Petitpierre du 27 mai 1946. Archives fédérales à Berne:
E/2800/1967/61/volume 76.
ni à l'échelon du monde ni à celui de l'Europe. W. E. Rappard relève que les Etats libres de l'Europe, tout en défendant avec vigueur leur souveraineté na-tionale, aspirent à s'unir pour faire face à la menace de l'Est soviétisé. Une telle aspiration n'est pas viable sans 1' aide économique et militaire des Etats-Unis. Cette constatation le renforce dans son idée d'une union occidentale re-groupant les démocraties américaines et européennes. Le libéralisme qu'il a toujours prôné est à son avis la seule voie qui puisse apporter la paix et la prospérité; il s'agit donc d'œuvrer pour la véritable renaissance d'une poli-tique économique libérale. Il applaudit aux succès du ministre de 1' économie Ludwig Ehrard, artisan du miracle économique allemand, qui est resté fidèle dans son action politique à ses convictions d'économiste libéral.
Avec Friedrich von Hayek et Albert Hunold, W. E. Rappard joue un rôle important dans la création en 194 7 de la Société du Mont-Pèlerin, association qui regroupe une quarantaine d'intellectuels de tendances et de nationalités diverses, dont le commun idéal de liberté se conçoit comme un barrage à l'in-vasion du totalitarisme politique et économique. En outre, avec des person-nalités telles que Luigi Einaudi, Wilhelm Ropke, Herbert Samuel, Salvador de Madariaga, il patronne l'Internationale libérale; néanmoins son empirisme le rend hostile à tout dogmatisme et en particulier au libéralisme intransigeant.
W. E. Rappard assiste au retour progressif de 1' Organisation internationale du Travail à Genève. En 1951, il est nommé à la présidence de la Conférence internationale du Travail. Cette désignation est une manifestation d'estime à l'égard de l'universitaire qui depuis 1927 appartient à la commission d'ex-perts pour 1' application des conventions et recommandations de 1' Organisa-tion internaOrganisa-tionale du Travail et qui, depuis 1945, dirige la délégaOrganisa-tion suisse auprès de 1' Assemblée. A propos de l'activité de cette institution, W. E. Rap-pard déplore la multiplicité des conventions existantes, qui ne sont pour autant ni ratifiées ni appliquées, ainsi que le besoin incessant de la Confé-rence du Travail d'en produire de nouvelles. Ne vaudrait-il pas mieux en ré-duire le nombre et qu'elles bénéficient d'une ratification et d'une application de la part de la quasi-totalité des Etats membres de l'Organisation? L' antago-nisme entre l'Est et l'Ouest domine également la Conférence du Travail.
L'Union soviétique revient dans le giron de l'Organisation internationale du Travail en 1954. W. E. Rappard explique la présence de cette puissance à Ge-nève par la volonté du Kremlin d'utiliser ce forum comme un moyen de pro-pagande et de surenchère sociale. La dictature et à la discipline de fer qui rè-gnent à l'Est assurent à Moscou à 1' Assemblée, d'une part, l'ensemble des votes des membres gouvernementaux, patronaux et ouvriers de la délégation soviétique, et, d'autre part, tous ceux de ses satellites. Et W. E. Rappard de constater que dans cette enceinte les nations occidentales sont bien mal pré-parées pour riposter aux attaques idéologiques communistes.
De la Société des Nations à l'Organisation des Nations Unies: William E. Rappard (1883 -1958)
W. E. Rappard s'est éteint après avoir fêté ses soixante-quinze ans à Genève, le 29 avril 1958. Cette brève évocation de sa riche personnalité, essentielle-ment axée sur sa carrière internationale, ne saurait faire oublier l'homme de science, le savant, le chercheur, celui dont la biographie compte quelques centaines de publications scientifiques. L'universitaire qu'il a toujours été a joui d'une totale liberté: associée à sa culture anglo-saxonne, elle lui a con-féré un indéniable prestige à l'intérieur de son pays mais peut-être plus en-core à l'étranger. Ce grand libéral pragmatique, dont l'action était déterminée par cette devise qu'il affectionnait: «Bonne volonté sans illusions», a assuré la fonction combien importante de lien entre Genève, la Suisse et les organi-sations internationales.
Références biographiques sur W. E. Rappard:
DANIEL BouRGEOIS, «Entre l'engagement et le réalisme: William Rappard et l'Association suisse pour la Société des Nations face à la crise de 1940», in L'historien et les relations internationales, recueil d'études en hommages à Jacques Freymond, Genève, 1981, pp. 215-236.
DANIEL BouRGEOIS, «Un doctorat honoris causa et un débarquement: Wil-liam Rappard à Alger (novembre-décembre 1942)», Hipso (Berne) cahier 8, avril1987, pp. 59-84.
DANIEL BouRGEOIS, «William E. Rappard et la politique extérieure suisse à l'époque des fascismes, 1933-1945», Etudes et sources (Berne) volume 15, 1989, pp. 7-82.
GIOVANNI BusiNO, «Préface», in William E. RAPPARD, Economistes genevois au X/Xe siècle, Genève, 1966, pp. VII-XX.
GIOVANNI BusiNO, «William Rappard, le libéralisme <nouveaU> et les origi-nes de la <Mont-Pèlerin Society>», Revue européenne des sciences sociales (Genève) tome XXVIII, 1990, no 88, pp. 205-216.
Hommages à William E. Rappard, Genève, 1956, 93p.
VICTOR MoNNIER, «Relecture des écrits de W. E. Rappard (1883-1958).
L'œuvre de l'historien constitutionnel et le combat du citoyen», Revue de droit suisse, volume 112, 1993, pp. 113-141.
VICTOR MONNIER, William E. Rappard. Défenseur des libertés, serviteur de son pays et de la communauté internationale, Paris/Genève/Bâle, 1995, 907p.
VICTOR MoNNIER, «Les relations avec William E. Rappard», Gustave Ador.
58 ans d'engagement politique et humanitaire, Genève, 1996, pp. 411-438.
VICTOR MoNNIER, «William Emmanuel Rappard 1883-1958. Un défenseur de la Suisse à l'étranger>>, in Citoyens de Genève, citoyens suisses, Genève, 1998, pp. 121-141.
ANJA PETER, William E. Rappard und der Volkerbund. Ein Schweizer Pionier der internationalen Verstiindigung, Berne/Francfort s. M., 1973, 185p.
ALBERT PICOT, Portrait de William Rappard, Neuchâtel, 1963, 71 p.
William E. Rappard, 22 avril 1883-29 avril 1958. ln Memoriam, Genève, 1961, 113p.
Zeitschrift für Schweizerisches Recht
(Zeitschrift für das offentliche und private Recht der Schweiz) Gegründet 1852, Neue Folge seit 1882
119. Jahrgang 2000, ISSN 0254-945 X. Erscheint ca. 11 x jahr1ich, wovon 5 Nummern als I. Halbband ZSR jewei1s am 15. der Monate Marz, Mai, Juli, September und Dezemher, und 3-5 Nummern als II. Halbband Referate und Mittei1ungen des Schweizerischen Ju-ristenvereins in unrege1massiger Erscheinungsfo1ge.
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