• Aucun résultat trouvé

4- L’approche par les tâches dans l’enseignement/apprentissage des langues

CHAPITRE III : Les interactions verbales dans les groupes hétérogènes restreints

III- 4- L’approche par les tâches dans l’enseignement/apprentissage des langues

Comme nous l’avons déjà évoqué dans le chapitre II, l’apprentissage coopératif est une stratégie d’enseignement qui met l’accent sur l’entraide des apprenants pour effectuer des tâches. Ainsi, la réalisation de la tâche devient l’objectif commun pour lequel les petits groupes sont réunis. Ce concept de « tâche » dont on entend beaucoup parler recouvre plusieurs significations. Alors, que signifie-t-il exactement ?

III-4-1-Qu’est-ce qu’une tâche ?

L’apparition de la notion de « tâche » remonte aux années 1980 grâce aux écrits de certains chercheurs anglo-saxons tels que CANDLIN et MURPHY (1987) et NUNAN (1989). La tâche était conçue comme une véritable unité de base dans les programmes anglo-saxons dits analytiques 14 .

Pour PUREN (2006) la tâche se présente comme :

un travail que les apprenants doivent réaliser consciemment au sein dʼun dispositif défini pour aboutir à un produit langagier déterminé. Une tâche complexe peut elle-même se composer de plusieurs tâches partielles : ainsi pour produire un résumé dʼun document écrit, les apprenants devront successivement rechercher le sens des mots et expressions inconnues, sélectionner les idées essentielles, les articuler entre elles, rédiger, et enfin contrôler la correction linguistique en langue ainsi que lʼadéquation des idées par rapport

au texte original (PUREN, 2006 : 80-81)

PUREN propose une définition didactique du concept de tâche qui la considère comme la plus abstraite possible et l’oppose aux définitions standards de certains chercheurs tel que celle de NUNAN (1989) puisque selon lui « Plus une idée est concrète,

et plus son utilité est réduite à l’environnement particulier dans lequel elle a été

14 - LONG et CROOKES (1992) différencient entre trois types de programmes analytiques : syllabus procéduraux, syllabus processuels et syllabus basés sur les tâches. Selon PIOTROWSKI (2010 : 109) : « Le

point commun de ces trois syllabus est le fait que la tâche y est considérée comme une activité/un effort structuré qui a un objectif, doit déboucher sur un résultat et est exécuté(e) selon une certaine procédure. L’objectif manifeste des syllabus analytiques est donc de faire confronter les apprenants à de véritables enjeux communicatifs, proches de la vie de tous les jours ».

élaborée (…) Plus une idée est abstraite, et plus elle peut s’adapter à des environnements différents » (PUREN, 2004 : 15). C’est pourquoi, il conçoit la tâche comme : « unité d’activité à l’intérieur du processus conjoint d’enseignement/apprentissage » (ibid.).

Pour sa part, É. PERRICHON en expliquant le lien entre l’agir d’usage et de l’agir

d’apprentissage 15

avance ce qui suit :

La tâche est donc avant tout liée à une pratique sociale et ancrée dans le réel, ce qui me paraît essentiel dans une approche actionnelle de lʼenseignement/apprentissage des langues et apparaît comme une condition nécessaire pour lʼadéquation entre l’agir

dʼusage et l’agir dʼapprentissage (PERRICHON, 2008 : 162)

É. ROSEN (2009) accordent aux tâches réalisées en classe les caractéristiques suivantes :

elles sont généralement choisies par l’enseignant en fonction de ses objectifs ; elles sont effectuées par un seul apprenant ou par plusieurs ; leur accomplissement donne lieu à une évaluation qui porte sur le fond (la tâche menée à bien avec succès), mais (éventuellement)

également sur la forme (une réalisation linguistique correcte) (ROSEN, 2009 : 488-

489).

III-4-2-La tâche dans le CECR

Selon le CECR, la tâche est une notion inscrite dans un modèle résolument actionnel. Elle est conçue comme :

Toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné. En fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé. Il peut s’agir tout aussi bien, suivant cette définition, de déplacer une armoire, d’écrire un livre, d’emporter la décision dans la négociation d’un contrat, de faire une partie de cartes, de commander un repas dans un restaurant, de traduire un texte en

langue étrangère ou de préparer en groupe un journal de classe. (CONSEIL DE

LʼEUROPE, 2001:16)

Selon les rédacteurs du CECR, le concept de tâche devient primordial dans la mesure où les tâches communicatives se placent au centre de l’approche actionnelle :

15 - La distinction qu’a fait PUREN (2004 : 12) entre « tâche » et « action » permet de distinguer entre deux types d’agir : l’agir d’apprentissage et l’agir d’usage (social). Selon (PUREN, 2009 : 126-127) : « l’agir

scolaire – ou d’apprentissage –, auquel je réserve le concept de « tâches » et (…) l’agir social – ou d’usage – auquel je réserve le concept d’« action », un projet pouvant se définir comme une série d’actions finalisées par un objectif terminal »

Les tâches ou activités sont l'un des faits courants de la vie quotidienne dans les domaines personnel, public, éducationnel et professionnel. L'exécution d'une tâche par un individu suppose la mise en œuvre stratégique de compétences données, afin de mener à bien un ensemble d'actions finalisées dans un certain domaine avec un but défini et un produit particulier. La nature des tâches peut être extrêmement variée et exiger plus ou moins

d'activités langagières (CONSEIL DE LʼEUROPE, 2001 : 121).

Deux notions principales réapparaissent à chaque fois dans les définitions du concept de tâche ; celle de « sens » qui est important dans l’apprentissage et celle de « résultat » qui doit être clairement défini. Ainsi, les tâches pédagogiques communicatives :

visent à développer une compétence communicative en se fondant sur ce que l’on sait ou croit savoir de lʼapprentissage en général et de celui des langues en particulier. Elles visent à impliquer lʼapprenant dans une communication réelle, ont un sens (pour lʼapprenant), sont pertinentes, exigeantes mais faisables et ont un résultat identifiable

(CONSEIL DE LʼEUROPE, Ibid.).

Les auteurs du CECRL envisagent trois catégories de tâches auxquelles participe l’apprenant de langue vivante :

1. les tâches « cibles », « de répétition » ou « proches de la vie réelle » choisies en fonction des besoins de l'apprenant hors de la classe ou du contexte de l'apprentissage;

2. les tâches de communication pédagogique fondées sur la nature sociale, interactive et immédiate de la situation de classe; les apprenants s'y engagent dans un « faire-semblant accepté volontairement » pour jouer le jeu de l'utilisation de la langue cible; ces tâches ont des résultats identifiables;

3. les tâches de pré communication pédagogique constituées d'exercices spécifiquement

axés sur la manipulation décontextualisée des formes. (CONSEIL DE LʼEUROPE,

2002 : 153).

III-4-3-Tâche, exercice et activité

La tâche n’est un exercice ni une activité quelconque. L’exercice, considéré comme le plus contraint et beaucoup plus scolaire, est conçu par BESSE et PORQUIER (1991 : 121) comme :« une tâche langagière ponctuelle à caractère répétitif, contraint et métalinguistique marqués, tâche demandée par le professeur aux étudiants et évaluée par lui ». Cela dit que dans le cadre d’un enseignement /apprentissage des langues, l’exercice

est lié directement à l’appropriation ; l’exercice est d’ailleurs un terme didactique par excellence.

PIOTROWSKI (2006 : 73) définit la tâche comme « une activité demandée à

l’apprenant, dont les conditions d’exécution ont été fixées dans une consigne ». Le terme

d’activité, quant à lui, se situe à mi-chemin entre exercice et tâche, souvent utilisé en dehors de la recherche en acquisition/didactique de langues étrangères, il représente « un

terme plutôt savant que l’on retrouve dans un grand nombre de typologies, terme qui sert souvent aussi à définir les notions de tâche et d’exercice » PIOTROWSKI (2010 :108)

Nous pouvons dire que ces trois notions s’imbriquent, en allant d’une tâche (peu contrainte et plus communicative) à un exercice (assez contraint et peu communicatif) en passant par des activités diverses en classe. Notons aussi que cette distinction ferme qu’on fait souvent entre tâche et exercice devrait être nuancer car « le déroulement des activités

est jusqu’à un certain point imprévisible, un exercice pouvant donner lieu à des échanges de type communicatif ou, au contraire, une tâche, à priori plus communicative, peut donner lieu à des échanges contraints et nettement axés sur la forme ».(ibid. : 111)

À lʼinstar de PUREN (2004) et PERRICHON (2008), nous réservons le terme de tâche pour l’ensemble des activités réalisées en classe16 et le terme d’action (sociale) pour les différentes actions qu’on accomplit quotidiennement dans la société.

En somme, nous pouvons dire que les tâches peuvent être simples (faire une réservation par téléphone) ou complexes qui peuvent se décomposer en plusieurs tâches simples (préparer un repas). Elles peuvent être verbales et/ou non verbales (déplacer une armoire est une tâche non verbale. Demander de l’aide pour la faire déplacer constitue une tâche langagière). Mettre en marche un appareil en lisant une notice est une tâche à la fois verbale et non verbale. Ces tâches peuvent aussi être individuelles ou collectives.

La réussite des tâches collectives, quant à elle, dépend de l’engagement personnel des participants ainsi que du rôle joué par l’enseignant de langue qui intervient pour faciliter les interactions. C’est ce que nous allons tenter d’expliquer dans cette dernière section du présent chapitre.

16 - Nous entendons par l’ensemble des activités réalisées en classe, toutes sortes d’activités servant à faciliter l’apprentissage de la langue, allant de la plus simple à la plus complexe. Nous rejoignons ici la définition de BREEN (1987), pour qui, « le terme de tâche est en somme supposé réferer à un éventail de

projets de travail qui ont globalement comme objectif de faciliter l’apprentissage d’une langue – depuis le simple et bref exercice jusqu’à des activités plus complexes et plus longues telles que la résolution de problèmes en groupe ou les simulations et les prises de décision » (Cité par É.BÉRARD, 2009 :38)

III-4-4-Le rôle de l’enseignant dans les tâches de groupes

Plusieurs enseignants cessent de faire travailler leurs apprenants en petits groupes après des expériences qui se révèlent négatives et décevantes. Or, la réussite d’un apprentissage coopératif dépend en grande partie de la planification qui devrait être adéquate et efficace.

COHEN (1994 : 85-101) voit dans la structuration du travail de groupe et l’attribution des rôles le meilleur moyen pour garantir un apprentissage de qualité. Certes, les interactions dans les groupes coopératifs donnent des résultats positifs pour l’apprentissage, mais ces résultats ne sont pas toujours évidents. Afin d’accroître les chances du développement cognitif, il faut procéder à une structuration des interactions, il faut aussi tenir compte de la taille et la disposition spatiale du groupe, du temps accordé à la réalisation de la tâche et surtout des rôles assignés aux membres du groupe. COHEN (1994) accorde une grande importance à l’attribution des rôles aux élèves. Elle atteste que l’enseignant qui spécifie le travail de chacun crée une motivation chez eux en les amenant à être fiers des rôles joués. Par conséquent, Dans ces groupes, le travail sera efficace, fructueux et productif.

Un enseignant qui adopte cette stratégie d’enseignement doit organiser pertinemment les activités coopératives pour favoriser une participation active et spontanée de ses apprenants. STEVAHN et al. (1995) expliquent quatre décisions que les professeurs doivent prendre pour mener à bien un travail de groupe. Ces décisions sont bien citées par KRAVONG (2005 : 66) :

1- Décider de l’organisation avant d’amorcer la leçon (déterminer les objectifs scolaires et sociaux, déterminer la taille de groupe, répartir les élèves dans des groupes, arranger la salle de classe et préparer le matériel scolaire) ;

2- Amorcer la leçon (structurer l’interdépendance positive, expliquer la tâche scolaire, expliquer les critères de réussite, établir le sens de la responsabilité individuelle et préciser les comportements sociaux désirés) ;

3- Suivre le travail de groupe et intervenir (suivre le travail de groupe et contrôler le comportement des élèves, intervenir pendant le travail de groupe, assister les élèves dans leurs travail et enseigner les habiletés coopératives) ;

4- Evaluer le produit et le processus du travail de groupe (mettre un terme à l’activité et conclure en évaluant produit et processus, c’est-à-dire évaluer le travail scolaire et analyser les habiletés sociales).

De son côté, GAUDET (1998) décrit des savoir-faire qu’un enseignant devrait connaître pour appliquer une pédagogie de coopération. Ces savoir-faire sont résumés par KRAVONG (Ibid.: 65) en trois grands axes :

1- Le perfectionnement continu, c'est-à-dire que l’enseignant doit chercher et trouver les ressources nécessaires qui l’aideront à répondre aux nombreux questionnements qu’entraîne la pratique de la coopération : lectures personnelles, cours, ateliers de formation et de perfectionnement ;

2- L’engagement personnel dans un travail d’équipe, c'est-à-dire que dans l’optique d’améliorer son approche, de rester sensible aux difficultés que traversent les élèves dans leurs vie d’équipe, l’enseignant devrait participer avec d’autres adultes à des rencontres d’équipes de réflexion qui fonctionnent selon un mode coopératif et se joindre à quelques collègues de confiance pour concevoir ou planifier des activités ; 3- La gestion de classe participative qui, dans le grand cadre de l’organisation générale

de la vie en classe, établit entre les élèves et l’enseignant des liens pouvant garantir l’atteinte des objectifs de participation et de coopération.

Notons en outre qu’un enseignant qui opte pour cette stratégie a pour objectif d’aider ses apprenants à interagir de façon coopérative. Il fait en sorte que tous les participants apportent leurs contributions afin d’atteindre les buts communs. Pour ce faire, HOWDEN et al. (2000) distinguent deux phases importantes lors d’un apprentissage de type coopératif :

1- Avant la réalisation de l’activité d’apprentissage, l’enseignant doit prendre des décisions relativement liées à la planification de l’activité. Il prend en considération le climat de coopération au sein de la classe, la taille des équipes et leur composition, les types d’interdépendance, les moyens de susciter la responsabilisation individuelle, les habiletés coopératives et la réflexion critique. 2- Pendant la réalisation de l’activité, l’enseignant doit fournir les consignes aux

équipes. Ces consignes doivent inclure des précisions sur la nature de la tâche à accomplir et sur la façon de l’exécuter ainsi que sur les habiletés coopératives à appliquer.

Quoi qu’il en soit, nous pouvons dire que le rôle de l’enseignant est primordial quelle que soit la nature de la tâche proposée c’est ce que prévoit CICUREL (2011) qui rejoint la thèse de RIVIÈRE (2008) en affirmant : « quel soit le contexte éducatif et

didactique, l’enseignant ne peut se dispenser de prescrire, de dire de faire, de distribuer par le biais de consignes des tâches aux apprenants, dans le but d’améliorer leurs compétences langagières » (CICUREL, 2011 : 44)

Pour conclure, nous pouvons dire qu’un enseignement basé sur une pédagogie coopérative ne peut être efficace que s’il débauche d’une planification consciencieuse de la part de l’enseignant qui devient aussi un « meneur de jeu »17

et un facilitateur qui observe le déroulement des tâches et intervient quand c’est absolument nécessaire.

17 - Cette expression « meneur de jeux » a été introduite dans l’article de BOUCHARD (1998). Ce dernier a expliqué le rôle du maître vis-à-vis de ses élèves en affirmant : «le rôle de celui-ci est non seulement de

travailler mais surtout de "faire" travailler. L'efficacité de son propre travail ne se mesure paradoxalement que dans l'efficacité du travail de ses partenaires, les élèves » (BOUCHARD, 1998 : 3)

Conclusion

Dans ce troisième chapitre, premièrement nous avons parlé de l’hétérogénéité du groupe-classe. Après l’avoir définie, nous avons exposé ses trois composantes qui sont selon GRANDGUILLOT (1993) : l’hétérogénéité des niveaux, l’hétérogénéité des origines sociales et culturelles et l’hétérogénéité des comportements vis-à-vis des apprentissages scolaires. Nous avons mis l’accent sur le rôle des interactions verbales au sein des groupes de pairs en classe. Deuxièmement et après avoir défini le concept d’interaction, nous avons expliqué comment ce concept est attaché conjointement à celui de groupe. Nous avons montré que grâce aux interactions sociales, les apprenants participent à la gestion de leurs apprentissages, ils se sentent plus impliqués et plus motivés ce qui les poussent à participer activement aux échanges. Nous avons aussi expliqué que c’est en agissant ensemble en langue cible, les apprenants s’entraident pour s’exprimer et se corrigent mutuellement pour apprendre. Ils vont jusqu’à développer des habiletés de communication, de résolution de problèmes et d’entraide. Troisièmement, nous avons parlé de la communication exolingue et nous avons expliqué quelques schémas interactionnels favorisant l’acquisition de la langue cible. Quatrièmement, nous avons défini la tâche et nous avons montré l’importance d’une approche par les tâches dans l’enseignement/ apprentissage des langues. Le rôle de l’enseignant qui opte pour une pédagogie coopérative basée sur les tâches a été expliqué en fin de ce chapitre.

DEUXIEME PARTIE

CHAPITRE IV

Description des participants et

déroulement de l’expérimentation

Introduction

Au niveau de ce quatrième chapitre, nous présenterons en premier lieu notre cadre méthodologique de recherche. Nous décrirons notamment l’échantillon sélectionné en insistant sur le profil langagier de chaque participant. Dans un second lieu, nous présenterons la durée des discussions intragroupales et les conventions de transcription orthographique (français et arabe). En dernier lieu, nous décrirons en détail les différentes phases de l’expérimentation (planification, discussions de groupes, présentation des travaux et évaluation). Notons que la seconde phase de l’expérience ; notamment les discussions intragroupales, fera l’objet d’une attention particulière. Ainsi, le matériel utilisé, les objectifs d’apprentissage et de coopération, l’aménagement de la classe, le temps accordé à la réalisation de la tâche et le rôle de l’enseignant seront bien décrits.