• Aucun résultat trouvé

L’approche de collaboration et la place réservée aux personnes utilisatrices

CHAPITRE 8 : DISCUSSION GÉNÉRALE

8.4. L’approche de collaboration et la place réservée aux personnes utilisatrices

sur leur propre état de santé est considérée comme essentielle pour améliorer la qualité et la rentabilité des services et des interventions (Dawson, 2009). Cela a conduit à l'élaboration de questionnaires et de formulaires d'évaluation autorapportés, connus sous l’appellation anglaise de Patient reported outcome measure (ou PROM). Les PROM permettent l’évaluation d’un état de santé d'un patient ou de la qualité de vie liée à la santé, et donnent la priorité à la perspective des patients – plutôt qu’aux cliniciens (Dawson, 2009). En effet, quelques études ont documenté les divergences existant entre le point de vue des patients et celui des cliniciens, relativement à l’identification des cibles d’amélioration (outcomes), et il a été soutenu que les divergences dans la définition de « bonnes cibles » étaient d’autant plus grandes dans le domaine de la santé mentale (Faulkner et Thomas, 2002; Rose, 2003).

Plus récemment, Crawford et collègues (2011) ont utilisé la méthode du groupe nominal avec des utilisateurs de services ayant un diagnostic de trouble de l’humeur ou de trouble psychotique afin d’identifier les outils de mesures jugés les plus significatifs pour eux, c’est-à-dire ceux qui traduisaient le mieux l’atteinte de leurs objectifs et représentaient le mieux leur vécu. Il en est ressorti que certains outils, largement utilisés, tels que l’EGF, ont été classés comme très peu significatifs par les groupes interrogés. Par ailleurs, la plupart des outils de mesure du fonctionnement ont aussi été peu appréciés par les participants, et ce, en raison de leur nature normative, c’est-à-dire leur tendance à établir une norme distinguant le fonctionnement normal du fonctionnement anormal (Crawford et al., 2011). À titre d’exemple, ces participants ont soulevé que la plupart des outils de mesure du fonctionnement associaient le fait d’avoir des relations étroites avec la famille à un bon fonctionnement ; leur objection allait dans le sens qu’ils considéraient que c’est justement d’avoir tenu leur famille à distance qui leur avait permis de maintenir une bonne santé mentale (Crawford et al., 2011).

L'intégration des membres de la population cible de patients dans le processus de génération du contenu d’une nouvelle PROM contribue à s'assurer que la mesure développée capte tous les concepts pertinents de manière significative, et que les questions posées sont claires et interprétables par les patients eux-mêmes (Neale et al., 2015; Neale et Strang, 2015). L'intégration du sens que les patients eux-mêmes peuvent donner à ce qu’ils vivent est réalisée grâce à l’utilisation de méthodes qualitatives telles que des entrevues en profondeur, des groupes de discussion ou d'autres processus de consultation ouverte (Lasch et al., 2010).

La présente recherche a impliqué les personnes utilisatrices de service, soit les personnes ayant un TPL, lors des étapes de conception du nouvel outil. La principale force de cette étude est d’avoir établi notre compréhension des difficultés fonctionnelles (les différents modes de fonctionnement) des personnes ayant un TPL, à partir de leurs propres explications et de ce qui avait du sens pour elles. Cette compréhension a permis la construction de l’échelle de réponse qui rend compte non seulement des difficultés des personnes ayant un TPL, mais aussi des possibilités d’amélioration et des manières de faire pour surmonter ces difficultés. Ces énoncés, formulés en termes positifs, permettent à la personne répondant au questionnaire de prendre conscience de ses propres ressources et de susciter l’espoir en son propre rétablissement en offrant des exemples réalistes d’amélioration.

La démarche de recherche empruntée dans la présente thèse s’est inspirée des approches participatives axées sur les utilisateurs. Dans les faits, elle se situe à l’intersection entre des méthodes plus classiques, issues du modèle médical, et des approches participatives issues des sciences sociales. La méthode classique de conception d’un outil de mesure est bien décrite par Netemeyer, Bearden et Sharma (2003). La première étape consiste à réaliser une recension des écrits afin de générer une banque d’items. Cette banque d’items est ensuite raisonnée et réduite par un groupe d’experts cliniciens et chercheurs du domaine. L’échelle de réponse est enfin élaborée par les chercheurs et l’outil est ensuite soumis à des tests métrologiques. Ce processus classique n'implique généralement pas les utilisateurs de service.

Dans le champ des sciences sociales, le processus est légèrement différent. Un des auteurs phares dans la conception d’outils de mesure dans ce champ de connaissance, Oppenheimer (1966), conseille l’utilisation des groupes de discussion focalisée lors de l’étape initiale d’identification des dimensions et de génération des items. Les groupes de discussion se composent alors d'échantillons stratifiés selon des variables démographiques, de sorte que la population à l’étude soit bien représentée.

Les écrits scientifiques portant sur la conception d’outils de mesure font une place grandissante aux approches participatives axées sur les utilisateurs (Rose et al., 2008 ; 2009). Ce modèle a été décrit par l’Institut de psychiatrie du King’s College de Londres et se base sur les principes des approches participatives (et Jewkes, 1995), en préconisant l’intégration d’utilisateurs de service comme acteurs principaux de la recherche tout au long du processus de conception et de validation des outils de mesure.

Dans la présente recherche, le rôle tenu par les utilisateurs de service n’a pas été celui de chercheur, tel qu’il est recommandé dans ces dernières approches. Le processus de conception du FAB aurait pu être bonifié par l’ajout d’un groupe de discussion avec les utilisateurs, lors de la phase préliminaire, afin d’identifier quelle cible d’amélioration était la plus pertinente pour eux, selon leur perspective. En effet, cette cible a été déterminée par les cliniciens et chercheurs ensemble, et par consensus, le concept de fonctionnement a été choisi. La prise en compte du point de vue des personnes ayant un TPL lors de cette étape aurait peut-être conduit à un choix différent tel le concept de rétablissement ou de qualité de vie. L’identification du concept à mesurer, et des buts de la mesure a été réalisée par consultation des cliniciens et des chercheurs uniquement, ce qui peut constituer une limite de notre étude.

Documents relatifs