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CHAPITRE 1 : INTRODUCTION GENERALE

1. Les pesticides

1.4. Effets sanitaires des pesticides en population humaine

1.4.3. L’apport de la toxicologie dans l’étude des mécanismes d’action

Si la toxicologie ne peut pas toujours répondre à la question du risque sanitaire chez l’Homme (difficulté de mise en œuvre de protocoles expérimentaux représentatifs des expositions humaines, en termes de voie, de durée, et surtout de composition des mélanges), elle reste un outil intéressant dans l’apport de connaissances sur les mécanismes d’action toxiques des substances. Ces connaissances sont essentielles à l’étude de la plausibilité biologique en épidémiologie et peuvent en particulier apporter des éléments de réponse sur les expositions environnementales durant les phases précoces du développement d’un organisme. De récentes revues de la littérature décrivent les mécanismes toxiques à l’origine des effets sanitaires mis en évidence chez l’Homme (Mostafalou and Abdollahi 2013 ; Shelton et al. 2012). Les mécanismes d’action les plus étudiés sont brièvement décrits ci-après et concernent : la génotoxicité, les mécanismes

épigénétiques6, le dysfonctionnement mitochondrial, le stress oxydant, et la perturbation

endocrinienne.

Génotoxicité

De nombreux pesticides sont capables d’induire des dommages à l’ADN (cassures simple et double brins, aberrations chromosomiques, adduits à l’ADN), parmi lesquels un certain nombre d’organophosphorés, de pyréthrinoïdes ou d’organochlorés (Mostafalou and Abdollahi 2013). Il a récemment été montré que des tests de génotoxicité peuvent répondre positivement à de faibles doses de pesticides représentant un mélange caractéristique des expositions alimentaires françaises (procymidone, iprodione, cyprodinil, fludioxonil et lambda-cyhalothrine) (Graillot et al. 2012). Les données récentes confirment le caractère génotoxique de 2 organophosphorés (acéphate et profénofos) sur un modèle expérimental de moustique (Culex quinquefasciatus) (Bhinder and Chaudhry, 2014).

Mécanismes épigénétiques

Différents types de pesticides ont été étudiés en vue de mettre en évidence des mécanismes épigénétiques. Par exemple, l’exposition de rates gestantes à la vinchlozoline induit une

méthylation de l’ADN dans le sperme des rats de la 3ème génération (Guerrero-Bosagna et al.

2010). De même, l’exposition in utero et post-natale de rats au métoxychlore (Zama and Uzumcu 2009) entraîne une hyperméthylation de l’ADN au niveau des ovaires des femelles adultes. Un autre mécanisme épigénétique associé aux histones (augmentation de l’acétylation) a été observé avec la dieldrine lors d’exposition de cellules neuronales dopaminergiques (Song et al. 2010).

Dysfonctionnement mitochondrial

La mitochondrie est la principale source d’énergie sous forme d’adénosine triphosphate (ATP) via le cycle de Krebs, et de dérivés réactifs de l’oxygène (ROS) par la fuite d’électrons provenant de la chaîne respiratoire. Elle a un rôle important dans le maintien de l’homéostasie calcique, les voies de signalisation et l’induction de l’apoptose. Un certain nombre de pesticides ont la capacité d’altérer le fonctionnement normal de la mitochondrie. Les organophosphorés pourraient conduire à des modifications dans l’activité des enzymes impliquées dans le cycle de Krebs ou le catabolisme de l’ATP (Karami-Mohajeri and Abdollahi 2013), à l’inhibition des complexes protéiques impliqués dans la chaîne respiratoire (cas du

Abdollahi 2013), à l’altération du système antioxydant ou à l’altération d’enzymes impliquées dans l’apoptose (Karami-Mohajeri and Abdollahi 2013 ; Shelton et al. 2012). De plus, certains pyréthrinoïdes et organochlorés seraient capables de modifier les voies de signalisation calcique, conduisant à des conséquences directes sur la mitochondrie et la production de ROS (Shelton et al. 2012). Certains pesticides ont aussi la capacité d’induire directement un stress oxydant comme cela a été montré pour le fipronil, le chlorpyrifos (Shelton et al. 2012), le diquat, le paraquat, le maneb, la roténone ou la dieldrine (Franco et

al. 2010).

Perturbation endocrinienne

Les conséquences d’expositions aux pesticides sur le fonctionnement des hormones et la régulation hormonale ont été largement décrites. Un certain nombre de pesticides, de familles chimiques différentes, sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens, agissant sur les hormones sexuelles (œstrogène, androgènes) (Mnif et al. 2011) mais également sur les hormones thyroïdiennes (McKinley et al. 2008 ; Lacasana et al. 2010 ; Shelton et al. 2012), ou plus récemment les hormones du métabolisme (principalement pour les organochlorés et les organophosphorés) (Mostafalou et al. 2012). D’ailleurs, le rôle des mitochondries dans la physiopathologie du diabète a été étudié et montre que l’inhibition des complexes protéiques de la chaîne respiratoire conduit à une diminution de la consommation d’oxygène et de la demande en énergie pouvant entraîner une altération de la cascade de signalisation de l’insuline, favorisant l’insulino-résistance et le développement de l’obésité (Lee 2011 ; Lim et al. 2009). Parallèlement, les auteurs ont observé que l’exposition à l’atrazine et aux organochlorés pouvait réduire la capacité mitochondriale de bêta-oxydation des acides gras, ayant pour conséquence une accumulation de graisse intracellulaire qui peut également favoriser l’obésité. De même, pour les organophosphorés, un stress oxydant entrainerait la production de cytokines de l’inflammation, une altération du métabolisme du glucose accompagnée d’une altération de la cascade de signalisation de l’insuline, une péroxydation lipidique et une diminution de l’activité des enzymes anti- oxydantes (Mostafalou et al. 2012).

On peut noter que ces différents mécanismes d’action peuvent être liés entre eux. Ainsi, les liens entre une perturbation endocrinienne et la méthylation de l’ADN ont été largement

le métoxychlore (Zama and Uzumcu 2009). De même, le stress oxydant mis en évidence au niveau cellulaire peut être une cause ou une conséquence du dysfonctionnement mitochondrial, qui lui-même peut altérer la signalisation hormonale au niveau du métabolisme (Mostafalou and Abdollahi 2013). Un lien est également établi entre la production de ROS et l’oxydation de l’ADN, provoquant des cassures de brins. Ce lien a été directement observé lors de l’exposition de lymphocytes de rats in vitro à des organophosphorés (méthylparathion, chlorpyrifos et malathion), confirmant le caractère génotoxique de ces molécules (Ojha and Srivastava 2014). Notons enfin que les hormones thyroïdiennes influencent fortement le métabolisme énergétique, en particulier par une action directe sur la mitochondrie (augmentation de l’activité des enzymes et des constituants de la chaine de transport d’électrons) (Soboll, 1933 ; Goglia et al. 1999). La fonction thyroïdienne a donc un rôle fondamental dans la régulation du métabolisme des lipides et du glucose. D’ailleurs le dysfonctionnement thyroïdien a été mis en lien dans plusieurs pathologies métaboliques comme le diabète de type 2 (Lambadiari et al. 2011) ou l’obésité (Longhi and Radetti, 2013).

Ces données mécanistiques ont permis de poser un certain nombre d’hypothèses pour faire le lien entre les expositions environnementales aux pesticides pendant des périodes précoces de la vie et les conséquences sanitaires néfastes observées à plus long terme et en particulier les troubles neuro-développementaux (altération de la différenciation des cellules cérébrales et du développement et de la plasticité des synapses et effets comportementaux (Slotkin 2004)) et métaboliques (altération du métabolisme mitochondrial, phénomènes de résistance à l’insuline et risque d’obésité (Mostafalou et al. 2012)). L’analyse plus globale des modifications métaboliques en lien avec les expositions aux pesticides pourrait donc apporter une réponse complémentaire dans la compréhension des effets induits par les expositions environnementales aux pesticides.