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CHAPITRE 5 : DISCUSSION GENERALE

2. Approche expérimentale et suggestion mécanistiques

Nous avons observé des modifications métaboliques sur l’ensemble des fluides et tissus biologiques du groupe exposé comparé aux témoins. Il est à noter que, comme attendu, la variabilité interindividuelle au cours de l’expérimentation animale a été suffisamment

contrôlée (utilisation d’animaux provenant de la même souche, conditions

techniques d’ACP (analyse sans a priori) pour les profils métaboliques plasmatiques (mères et fœtus), du foie (extraits aqueux des mères et des fœtus, extraits lipidiques des mères) et du cerveau (extraits aqueux des mères).

Les pesticides auxquels ont été exposés les animaux ont été retenus pour se rapprocher au mieux de l’exposition environnementale locale attendue des femmes de la cohorte PELAGIE. Il s’agit de 3 herbicides (acétochlore, bromoxynil et glyphosate), 2 régulateurs de croissance (éthéphon et chlorméquat), 1 fongicide (fenpropimorphe) et 2 insecticides (carbofuran et imidaclopride) qui ont été largement utilisés entre 2000 et 2005 sur les grandes cultures bretonnes. Les doses utilisées dans cette expérimentation animale peuvent être considérées comme faibles puisqu’au total, l’exposition représente moins de 500 µg/kg poids corporel/j, équivalent à la somme de chacune des DJA des pesticides retenus. On peut toutefois noter que pour l’acétochlore et le carbofuran, l’exposition des animaux est proche des indicateurs toxicologiques les plus faibles mis en évidence dans la littérature (pour l’acétochlore, un LOAEL d’environ 1 mg/kg/j correspondant à une augmentation du poids des reins et une basophilie tubulaire a été défini chez la souris mâle exposée pendant 78 semaines ; pour le carbofuran, l’exposition unique par gavage de rats nouveau-nés femelles correspondant à une diminution de 10 % d’acétylcholinestérase 30 minutes après a été estimée à 30 µg/kg/j). L’exposition à faibles doses à 8 molécules différentes est une originalité dans ce projet au regard de l’analyse de la littérature qui montre encore la rareté des études toxicologiques conduites dans des conditions proches de l’exposition humaine (aussi bien en termes de complexité que de niveau de doses) (voir chapitre 1).

Au final, les discriminations les plus marquantes au regard de l’exposition concernent des modifications dans le métabolisme énergétique, le métabolisme des acides aminés, du glucose et des lipides. De nombreux métabolites peuvent être associés au fonctionnement du cycle de Krebs, comme le citrate, le succinate, le lactate, le glutamate, l’aspartate ou encore la glutamine. Ces modifications peuvent être mises en lien avec une altération de la néoglucogenèse (modification d’alanine, glucose, glycogène, glycérol) sans que l’on puisse directement établir si cette dernière est une cause ou une conséquence de la modification observée au niveau du cycle de Krebs. Un certain nombre de molécules impliquées dans les

éventuel stress oxydant. Ces éléments permettent de suggérer un mécanisme cellulaire tel que représenté schématiquement sur la figure 13, où stress oxydant et dysfonctionnement mitochondrial engendreraient des modifications dans la signalisation cellulaire et conduiraient à des phénomènes inflammatoires pouvant expliquer l’altération de l’homéostasie du glucose et l’augmentation des lipides plasmatiques. De manière plus directe, le stress oxydant pourrait également expliquer la modification du ratio des acides gras saturés versus insaturés observée au niveau hépatique chez les mères. En effet, les acides gras insaturés sont plus sensibles à la péroxydation et sont donc la première cible du stress oxydant. En revanche, il n’est pas possible de savoir si le stress oxydant est la conséquence du dysfonctionnement mitochondrial ou plus directement de l’exposition aux pesticides.

Figure 3 : Suggestion des mécanismes biologiques induits chez des rates gestantes après exposition orale du 4ème au 21ème jour à 8 pesticides utilisés en Bretagne en 2004 (acétochlore, bromoxynil, carbofuran, chlormequat, étéphon, fenpropimorphe, glyphosate,

imidaclopride) Modifications métabolisme des acides aminés Dommage mitochondrial Stress oxydant Production de ROS Déplétion en anti-oxydants Signaux inflammatoires Ca2+ Production cytokines inflammatoires Altération homéostasie du glucose Réponse compensatoire (hyper-insulinémie) Capsases Apoptose

Exposition aux pesticides

Modification transduction du signal de l’insuline Impact sur la phosphorylation des récepteurs à l’insuline Augmentation de la lipolyse et des lipides

sanguins Stress du RE β-oxydation Altération du cycle de Krebs Modifications métabolisme des acides aminés

?

?

Péroxydation lipidique Modification composition des lipides

Le dysfonctionnement mitochondrial est un mécanisme d’action largement évoqué dans la littérature pour des insecticides comme la roténone (Greenamyre et al. 2003) ou le paraquat (Cochemé and Murphy, 2009) pour lesquels des modèles expérimentaux de pathologies neurodégénératives ont même été proposés (Tanner et al. 2011). Ces pesticides sont tous deux des inhibiteurs du complexe mitochondrial I de la chaîne respiratoire. Le blocage de la respiration cellulaire est également l’un des modes d’action des fongicides strobilurines au niveau des micro-organismes (action sur le complexe mitochondrial III) (Hollingworth, 2001). Compte tenu de l’implication de la mitochondrie dans la génération de ROS, de nombreux travaux ont été conduits ces dernières années pour mieux comprendre l’impact des pesticides au niveau de la chaîne respiratoire mitochondriale. Ces travaux sont l’objet de 2 revues récentes qui permettent de conclure que de nombreux pesticides, de familles chimiques et structures différentes, peuvent induire des altérations du fonctionnement de la mitochondrie, même si ce mécanisme n’est pas le principal identifié dans le développement des molécules actives (Baltazar et al. 2014 ; Karami-Mohajeri and Abdollahi, 2013). Dans le tableau 7 sont présentés les mécanismes d’action des différents pesticides en lien avec la mitochondrie.

Tableau 4 : mécanismes d’action des pesticides au niveau de la mitochondrie

Pesticides Famille chimique Mécanisme mitochondrial Azoxystrobine,

krésoxim-méthyle Strobilurines Inhibition du complexe III (principal mode d’action) Roténone Ichtyotoxine Inhibition du complexe I, génération de ROS Paraquat Dipyridylium Inhibition des complexes I et III, génération de ROS Cyperméthrine Pyréthrinoïde Génération de ROS, péroxydation lipidique Maneb Dithiocarbamate Inhibition du complexe III

Dieldrine Organochloré Inhibition du complexe III, modulation des capsases mais pas de génération de ROS

Endosulfan Organochloré ↗ activité MnSOD et GPx (impact sur système antioxydant) Parathion Organophosphoré Inhibition du complexe II, IV et de l’ATP synthase

Malathion Organophosphoré ↗ activité MnSOD et GPx, péroxydation lipidique

Dichlorvos Organophosphoré Altération des complexes I, II, III, IV, génération de ROS, oxydation ADN, ↘ activité MnSOD, inflammation

Monochrotophos Organophosphoré Altération des complexes I, II, (± IV) et V (ATP synthase) Chlorpyrifos Organophosphoré Impact sur les complexes I et IV, ↘ production d’ATP Mevinphos Organophosphoré Altération des complexes I, III, IV

Metaphos, triortho-

crésylphosphate Organophosphoré Altération du complexe II

Bromoxynil Hydroxybenzonitrile Découplant, modification du fonctionnement de l’ATP synthase

La représentation schématique des effets de ces pesticides au niveau de la mitochondrie permet de les mettre en lien afin d’aboutir à une cascade d’évènement conduisant à une modification de la signalisation cellulaire et entraînant des phénomènes d’apoptose (Figure 14) : l’inhibition de la chaîne respiratoire mitochondriale et l’effet sur le cycle de Krebs conduisent à une déplétion en ATP cellulaire. L’induction d’un stress oxydant peut avoir un impact sur la signalisation cellulaire apoptotique elle-même en lien avec les modifications de perméabilité membranaire (qui modifient les flux de calcium intracellulaire).

Figure 4 : Représentation schématique des effets des pesticides sur la mitochondrie (adapté de Karami-Mohajeri and Abdollahi, 2013). ROS : reactive oxygen species ; NADH : nicotinamide adénine dinucléotide ; FADH : flavine adénine dinucléotide ; GPX : glutathion péroxydase ; MnSOD : Manganèse superoxyde dismutase ; ATP : adénosyl triphosphate ; ADP : adénosyl diphosphate ; CoQ :

coenzyme Q ; CytC : cytochrome C.

Les hypothèses de génération de ROS émises à l’issue de ce travail sont donc tout à fait plausible au regard de ces éléments, en particulier chez les femelles gestantes. Néanmoins, l’augmentation d’ATP et de GABA mise en évidence dans le cerveau des fœtus laisse

si ce mécanisme est lié à l’action directe des pesticides auxquels les fœtus sont exposés, ou à un phénomène d’adaptation à l’environnement métabolique modifié de la mère. Cela nécessiterait la réalisation d’études complémentaires.

En outre, il est intéressant, voire surprenant, de noter que quels que soit les pesticides étudiés (différentes familles, différentes structures, seuls ou en mélange), et quel que soit leur mode d’action sur les indésirables (très différents d’une molécule à l’autre si l’on se réfère au tableau 1), l’exposition aux pesticides semble conduire à une empreinte métabolique relativement commune impliquant toujours des métabolites ayant un rôle dans le stress oxydant et plus généralement le métabolisme énergétique (tableau 8). Cette signature conduit à la modification de créatine, de choline et dérivés, de certains osmolytes, de lactate et autres acides organiques à courte chaîne, et d’alanine (Keum et al. 2010). D’autres études mécanistiques mériteraient d’être mises en œuvre pour mieux comprendre le rôle de chacun des pesticides dans les modifications métaboliques observées et la possibilité d’identifier une signature particulière.

Tableau 5 : Principales suggestions mécanistiques faites à l’issue des études toxicologiques de métabolomique en lien avec l’exposition aux pesticides

Pesticides Protocoles Principaux résultats Références

Endosulfan (OC)

Souris – voie orale - périodes pré/ post-natale

Stress oxydant hépatique Canlet et al. 2013

Propoxur (CARB) Rats ♂ - voie orale - 28 j

Stress oxydant, altération du

métabolisme énergétique et lipidique (cétogénèse et β-oxydation)

Liang et al. 2012a,b

Dichlorvos (OP) Rats ♂ - voie orale - 24 sem

Stress oxydant, altération du

métabolisme des sucres et des acides gras

Yang et al. 2011, 2013

Diméthoate (OP) Rats ♂ - voie orale - 24 sem

Stress oxydant, altération du

métabolisme des acides gras, des acides aminés, et du cycle du citrate

Feng et al. 2012

Acéphate (OP) Rats ♂ - voie orale - 24 sem

Altération du métabolisme du glucose,

des acides nucléiques et des protéines Hao et al. 2012

Phorate (OP) Rats ♂ - voie orale - 24 sem

Stress oxydant, altération du

métabolisme énergétique et des acides nucléiques

X. Sun et al. 2014 Chlorpyrifos + carbaryl (OP/

CARB)

Rats – voie orale – 90 j

Altération du métabolisme énergétique et des acides gras dans le foie

Wang et al. 2009, 2011 Dichlorvos + deltaméthrine

(OP/ PYY)

Rats – voie orale – 90 j

Altération du métabolisme énergétique hépatique

Wang et al. 2013 Propoxur + perméthrine

(CARB/ PYR)

Rats – voie orale – 90 j

Altération du métabolisme énergétique (cycle du citrate, métabolisme du glucose, ↗ β-oxydation) Liang et al. 2012c Perméthrine + deltaméthrine (PYR) Rats ♂– voie orale – 60 j

Altération du métabolisme énergétique (↗ glycolyse anaérobie, β-oxydation et cétogénèse)

Liang et al. 2013

Dichlorvos + diméthoate + acéphate + phorate (OP)

Rats ♂ - voie orale - 24 sem

Stress oxydant, dommage à l’ADN, altération du métabolisme des lipides et du métabolisme énergétique

Du et al. 2013

Endosulfan + atrazine + chlorpyrifos (OC/ OP/ triazine)

Souris – voie orale - périodes pré/ post-natale

Altérations du métabolisme des acides aminés et du glucose, des cycles du citrate et de l’urée

Demur et al. 2013

Mélange de 6 pesticides (OC/ OP/ dithiocarbamates)

Souris – voie orale – 4 sem

Stress oxydant et altération du métabolisme du glucose au niveau hépatique

Mehri et al. 2010

3.

Association des démarches épidémiologique et