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L’apport scientifique au cours des ann´ees 1990

Du fait de leur origine tr`es profonde dans une r´egion de l’atmosph`ere difficile d’acc`es (cf. tableau 2.1), les fenˆetres infrarouges pr´esentent un int´erˆet scientifique majeur pour la compr´ehension de V´enus. En effet, les seuls autres vecteurs d’information compl´ementaires dans la basse atmosph`ere sont soit des observations centim´etriques – renseignant uniquement sur le profil de temp´erature et d’acide sulfurique gazeux – soit les missions in-situ – avec tous les probl`emes aff´erents : coˆut, faible couverture spatiale et temporelle.

L’analyse scientifique des fenˆetres infra-rouges peut se faire suivant deux axes principaux, l’imagerie et la spectroscopie. Le premier, bas´e sur l’´etude de la variabilit´e spatiale et tempo- relle de l’intensit´e du rayonnement, permet de cartographier l’´epaisseur optique des couches nuageuses profondes. Le deuxi`eme axe porte sur l’analyse des spectres observ´es en vue de contraindre la composition chimique des couches profondes de l’atmosph`ere. Le plan de cette partie suivra cette division, mais il convient d’abord de rappeler que cette division est de plus en plus artificielle, avec le d´eveloppement de spectro-imageurs de plus en plus performants permettant de mener ces deux objectifs de concert. Ce travail de th`ese s’inscrit pleinement dans ce rapprochement comme on le verra par la suite.

2.2.1 Imagerie proche-infrarouge de la face nocturne de V´enus

Couche nuageuse inf´erieure `

A la suite des observations historiques des ann´ees 1980, la principale source d’images infrarouges de la face nocturne fut le spectro-imageur NIMS embarqu´e `a bord de la sonde

Galileo, qui survola V´enus en 1990 afin de d´evier sa trajectoire vers le syst`eme jovien, objectif

principal de cette mission. La r´esolution spatiale maximale (25 km) fut atteinte le 10 f´evrier, et la dur´ee utile de mission n’exc´eda pas deux jours, ce qui ne permit pas un suivi temporel `

a la hauteur de la qualit´e des donn´ees. C’est au cours de ce survol que fut prit le c´el`ebre clich´e (Carlson et al., 1991) reproduit ici en figure 2.1, montrant les contrastes d’opacit´e nuageuse (variant jusqu’`a un facteur 20) de la couche inf´erieure (autour de 50 km d’altitude) de fa¸con spectaculaire.

Le principal enseignement – et la principale surprise – de cette cartographie r´eside dans cette extrˆeme variabilit´e spatiale, qui sugg`ere une activit´e m´et´eorologique tr`es intense, et

2.2. L’APPORT SCIENTIFIQUE AU COURS DES ANN ´EES 1990 19

Fig. 2.1 – Image de la face sombre de V´enus `a une longueur d’onde de 2, 3 µm, acquise par

NIMS/Galileo le 10 f´evrier 1990. Noter cette fois le tr`es fort contraste des nuages.

dont l’exploration est `a peine entam´ee ; notre connaissance extrˆement fractionnaire de la m´et´eorologie de V´enus `a l’´echelle de quelques centaines de kilom`etres empˆeche pour l’heure d’analyser ces images d’une fa¸con autre que purement descriptive.

L’´etude des corr´elations d’images obtenues dans des fenˆetres diff´erentes ont ´egalement permis d’estimer les proportions relatives des modes d’a´erosols, dont le comportement spectral diff`ere sensiblement. Ainsi, Carlson et al. (1993) ont montr´e une asym´etrie h´emisph´erique, avec davantage de particules de grande taille (mode 3) dans l’h´emisph`ere nord. Parall`element et en utilisant les mˆemes donn´ees, Grinspoon et al. (1993) ont trouv´e que les variations d’opacit´e nuageuse ´etaient surtout dues `a la variation de densit´e des particules de mode 3.

Depuis le sol, les observateurs ont compens´e la moindre r´esolution spatiale par une cou- verture temporelle bien meilleure. Ainsi, certains traits durables (`a l’´echelle du mois) ont pu ˆetre mis en ´evidence (Crisp et al., 1989, 1991b) :

– aux basses latitudes (< 40˚), une zone opaque s’´etendant sur la moiti´e de la plan`ete a ´et´e vue, pr´esentant une p´eriode de rotation typique de la couche nuageuse moyenne (5 jours et demi), avec cependant certains motifs tournant plus lentement (7 jours et demi) et situ´es par cons´equent dans la couche inf´erieure ;

– aux latitudes moyennes (40˚ – 60˚), l’opacit´e nuageuse est en g´en´eral beaucoup plus r´eduite, tournant de fa¸con synchrone avec les ´epais nuages ´equatoriaux.

– enfin, aux hautes latitudes, on note `a nouveau une zone sombre et avec peu de d´etails, qui est la possible contrepartie des nuages du collier polaire.

Cartographie de la surface

Dans les trois fenˆetres aux longueurs d’onde les plus courtes, une fraction non n´egligeable de leur rayonnement provient directement de la surface solide. De ce fait, comme l’´emission est d’origine thermique, les r´egions `a haute altitude, plus fraˆıches, ´emettent beaucoup moins. En consid´erant le fort gradient vertical de temp´erature, et la forte variation de la fonction de Planck `a une longueur d’onde de l’ordre du micron lorsque les temp´eratures varient de quelques dizaines de Kelvins, on obtient une excellente sensibilit´e permettant d’envisager une

20 CHAPITRE 2. L’ ´EMISSION THERMIQUE NOCTURNE utilisation altim´etrique. Carlson et al. (1991) ont ainsi pu d´etecter la r´egion la plus ´elev´ee de

Maxwell Montes de la sorte, grˆace `a sa diff´erence d’altitude de 10 km avec les plaines alentour. Les cartes ainsi obtenues avec l’instrument NIMS pr´esentent une excellente corr´elation avec l’altim´etrie obtenue par radar.

En outre, des cartes moins pr´ecises sur la direction horizontale (environ 100 km) mais tr`es pr´ecises verticalement (environ 1 km) ont pu ˆetre dress´ees depuis la Terre au t´elescope anglo- australien (Meadows et Crisp, 1996). Les auteurs ont pu en outre, par comparaison entre les diff´erentes fenˆetres infrarouges, contraindre le gradient vertical de temp´erature `a tr`es basse altitude (< 6 km) `a des valeurs plus faibles d’environ 1 K/km que celles mesur´ees in-situ par les sondes de descente. Ce r´esultat reste toutefois `a confirmer.

Enfin, la forte sensibilit´e des ´emissions de ces fenˆetres `a la temp´erature de surface en font d’excellents moyens d’investigation d’un ´eventuel volcanisme actif, qui se traduirait par des augmentations tr`es fortes et tr`es localis´ees de la chaleur ´emise. Hashimoto et Imamura (2001) ont ainsi montr´e qu’un lac de lave de 1000 K ou plus et d’une surface de quelques kilom`etres carr´es serait ais´ement d´etectable.

2.2.2 Analyses de la composition atmosph´erique

´

Etudes globales

D`es la d´ecouverte des ´emissions autour de 2, 3 µm et 1, 7 µm la signature d’autres gaz que le seul CO2 fut identifi´ee, notamment le monoxyde de carbone autour de 2, 35 µm. `A la fin des ann´ees 1980, Kamp et al. (1988), ainsi que Kamp et Taylor (1990) avaient d´etect´e de fa¸con certaine l’influence sur les spectres de CO et de H2O. Cependant, des probl`emes majeurs apparaissaient : les abondances obtenues pour le monoxyde de carbone ´etaient tr`es inf´erieures aux mesures de Pioneer Venus, et le pi`etre accord entre spectres synth´etiques et observ´es dans la r´egion spectrale de la vapeur d’eau ne permettaient pas de contraindre son rapport de m´elange. L’origine de ces probl`emes r´esidait dans les bases de donn´ees spectroscopiques utilis´ees, qui n’´etaient pas adapt´ees aux fortes pressions et temp´eratures r´egnant dans les r´egions sond´ees par les fenˆetres infrarouges.

En utilisant des spectres du cfht `a haute r´esolution spectrale, B´ezard et al. (1990) par- vinrent les premiers `a obtenir un accord satisfaisant dans les fenˆetres `a 2, 3 et 1, 74 µm en am´eliorant la prise en compte de l’absorption de CO2, tout d’abord par la prise en compte de bandes faibles absentes des bases de donn´ees (hitran ou Geisa) et ensuite par l’ajout d’une opacit´e continue vraisemblablement caus´ee par les ailes des fortes bandes d’absorption situ´ees hors des fenˆetres. Ceci permit la d´etection certaine d’autres esp`eces par leur absorption rela- tive au sein de ces fenˆetres : OCS, HCl et HF s’ajout`erent `a CO et `a H2O. L’estimation de CO fut alors revue `a la hausse, et une abondance en vapeur d’eau d’environ 40 ppm fut d´eriv´ee. L’´emission infrarouge nocturne se r´ev´elait extrˆemement riche pour l’´etude de la composition de l’atmosph`ere (voir figure 2.2).

L’´etude du rapport isotopique de la vapeur d’eau ´etait ´egalement possible du fait de la pr´esence des raies de H2O et HDO dans la fenˆetre `a 2,3 µm. de Bergh et al. (1991) d´eriv`erent ainsi un rapport D/H ´egal `a 120 ± 40 fois la valeur terrestre, dont les implications ont ´et´e discut´ees `a la section 3.4.3. B´ezard et al. (1993) compl´eta alors la liste des compos´es d´etect´es dans cette mˆeme fenˆetre en y ajoutant SO2(bande 3ν3autour de 2, 45 µm, donnant un rapport de m´elange de 130 ± 40 ppmv).

Le passage de NIMS/Galileo entraˆına moins de retomb´ees qu’en cartographie, du fait de son pouvoir de r´esolution spectrale assez faible. Il permit cependant des variations locales de la vapeur d’eau pr`es de la surface (Drossart et al., 1993), et permit de d´etecter des variations latitudinales en CO sur lesquelles nous reviendrons `a la section suivante.

Une ´etude compl`ete concernant la composition de l’atmosph`ere de V´enus a ´et´e conduite par Pollack et al. (1993). Leurs r´esultats constituant la base principale `a partir de laquelle les recherches de cette th`ese ont ´et´e effectu´ees, nous aurons largement l’occasion d’y revenir.

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Fig. 2.2 – Spectres `a haute r´esolution issus des fenˆetres `a 2, 3 µm et 1, 74 µm avec les bandes d’absorption de compos´es minoritaires (B´ezard et al., 1990)

22 CHAPITRE 2. L’ ´EMISSION THERMIQUE NOCTURNE En r´esum´e, grˆace `a l’introduction de nouvelles bases de donn´ees spectrales valides `a haute temp´erature, des abondances quantitatives pour tous les compos´es mentionn´es pr´ec´edemment y ont ´et´e d´eriv´ees, ainsi qu’une estimation des gradients verticaux pour CO et OCS. Cepen- dant, l’incertitude sur la valeur et les variations en longueur d’onde de l’absorption continue de CO2 sont encore `a l’heure actuelle les facteurs limitants pour pouvoir extraire toute l’in- formation contenue dans les spectres infrarouges. Gageons qu’avec l’arriv´ee de Venus Express, de nouvelles mesures en laboratoire permettront de lever cet ´ecueil.

Variations observ´ees des abondances moyennes

Il est arriv´e que des variations d’abondance significatives aient ´et´e observ´ees. Ainsi, Bell

et al. (1991) d´eriv`erent d’observations men´ees dans la fenˆetre `a 2, 3 µm depuis l’Infrared

Telescope Facility de la nasa en janvier 1990 des abondances en vapeur d’eau extrˆement ´elev´ees (200 ppmv) dans une zone peu nuageuse, tandis que les spectres acquis dans des r´egions plus sombres donnaient une abondance voisine de la valeur moyenne (40 ppmv). Des observations men´ees dix jours plus tard au mˆeme endroit ne permirent pas de retrouver trace de cet enrichissement en vapeur d’eau, qui fut interpr´et´e par Bell et al. comme la cons´equence d’une subsidence localis´ee entraˆınant des goutelettes d’acide sulfurique en profondeur o`u elles se dissociaient en vapeur d’eau et trioxyde de soufre. Une telle anomalie ne fut plus jamais signal´ee par la suite.

D’autres variations de la composition de l’atmosph`ere furent mises en ´evidence par NIMS, cette fois concernant CO et non plus H2O. En effet, en examinant les spectres autour de 2, 35 µm acquis entre 60˚S et 70˚N, l’absorption dans le bande de CO semblait significativement plus forte au nord de 47˚N (Collard et al., 1993). Cette absorption s’interpr`ete comme un enrichissement relatif en CO de 20 `a 50 % par rapport `a la valeur ´equatoriale dans les hautes latitudes de l’h´emisph`ere nord. L’interpr´etation de cet enrichissement fait intervenir l`a en- core une subsidence li´ee `a la cellule de Hadley, conduisant `a la descente d’air enrichi en CO provenant d’altitudes plus ´elev´ees vers les niveaux sond´es dans la fenˆetre spectrale.

Chapitre 3

Description de l’atmosph`ere de

V´enus

Les investigations d´ecrites au cours des deux chapitres pr´ec´edents ont permis de r´ev´eler les traits les plus g´en´eraux de l’atmosph`ere de V´enus de fa¸con satisfaisante tout en soulevant de nouvelles questions. Ce chapitre a pour ambition de les passer en revue, ainsi que de situer le pr´esent travail de th`ese dans son contexte scientifique.

3.1

Aper¸cu g´en´eral et comparaison avec Mars et la Terre

Les caract´eristiques atmosph´eriques des trois plan`etes sont repr´esent´ees dans le tableau 3.1. Un r´esum´e rapide de ce tableau dirait que pour ce qui concerne la plan`ete solide, la Terre et V´enus sont tr`es similaires ; qu’en ce qui concerne les variations diurnes et saisonni`eres – ainsi que la temp´erature de surface dans une moindre mesure – ce sont Mars et la Terre qui se ressemblent davantage ; et enfin que Mars et V´enus partagent presque la mˆeme composition atmosph´erique principale, `a savoir gaz carbonique et azote. Enfin, aucune des plan`etes ne connaˆıt la mˆeme pression au sol, mˆeme en admettant une tol´erance d’un ordre de grandeur.

Mais un tel constat est trompeur, en particulier `a cause de la pr´esence d’une hydrosph`ere sur la Terre et d’une de ses cons´equences, `a savoir l’apparition de la vie photosynth´etique. En effet, la pr´esence d’eau liquide a eu pour effet de permettre un pi´egeage de l’immense majorit´e du contenu initial en gaz carbonique de l’atmosph`ere terrestre sous forme de carbonates1, tandis que l’activit´e biologique a converti ce qui restait de CO2 en O2 en extrayant le carbone sous forme de biomasse (parfois sorti du cycle atmosph´erique sous forme de s´ediments fos- siles). Si l’on prend ces ph´enom`enes en compte, alors V´enus et la Terre se ressemblent encore davantage, puisqu’elle partagent alors un contenu similaire en ´el´ements carbone et azote. Les divergences entre les deux plan`etes sont donc plutˆot dues `a des histoires divergentes qu’`a une diff´erence initiale, confortant de fa¸con paradoxale la vision de deux plan`etes jumelles qui pr´evalait avant les ann´ees 1960.