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PARTIE 1 L’ÉVALUATION ET LES PRATIQUES D’ACQUISITION EN

2. L ES CONSTATS SUR LES PRATIQUES D ’ ACQUISITION ET LEURS RÉPERCUSSIONS

2.3. L’apport de ces outils pour les pratiques d’acquisition selon les

bibliothécaires

Les cadres ayant mis ou souhaitant mettre en place une politique documentaire pointent l’intérêt des outils formalisés de gestion et de développement des collections.97 Le projet et l’activité de la bibliothèque paraissent notamment moins aléatoires.

L’atout essentiel de l’introduction de tels documents comme outils d’aide à l’acquisition est de rationaliser des pratiques jugées trop intuitives et empiriques.

2.3.1. Des outils de rationalisation des pratiques

d’acquisition

L’introduction d’outils destinés à la politique documentaire, tels que la charte documentaire ou le plan de développement des collections, suppose, d’une part, de réfléchir aux finalités de l’établissement, d’autre part, de construire la collection en fonction de ces missions. A ce titre, l’établissement d’une charte documentaire apparaît essentielle car « elle formule, de manière synthétique, l’identité de la

collection et des savoirs qu’elle recouvre, ainsi que ses orientations en termes d’usages et de publics. »98

97 Voir les entretiens retranscrits dans le mémoire de recherche des élèves-conservateurs : COLLANGES Philippe, KONTOGOM Marie, LAMBERT Bertille, Développement et évaluation des collections dans les bibliothèques publiques

quelles pratiques et quels enjeux op. cit.

De plus, les outils de développement des collections concernent l’ensemble du contenu des collections. Ils définissent des objectifs d’acquisition clairs, rationalisés, pour chaque segment de la collection et fournissent une aide à la répartition du budget selon des priorités. Ils permettent donc une « une construction raisonnée », cohérente du fonds documentaire, limitent l’empirisme des choix et évitent l’écueil d’une relation « affective »99 à la collection. Les goûts et convictions des acquéreurs s’effacent au profit d’une réflexion et d’une distanciation par rapport à la collection. L’outil devient pour l’acquéreur « une feuille de route ». En l’aidant à fixer ses orientations d’acquisitions, il permet non seulement à l’acquéreur d’avoir une plus grande visibilité de son fonds, mais le guide également dans ses choix.

Par ailleurs, ils représentent un outil d’évaluation efficace car ils permettent de vérifier la cohérence du fonds et d’examiner si celui-ci est en adéquation avec les missions que la bibliothèque s’est fixées. Pour Jérôme Pouchol, directeur de la politique documentaire pour le réseau intercommunal des médiathèques Ouest Provence, les outils servent ainsi à l’acquéreur qui veut procéder « à l’évaluation

de son activité en mesurant, à la fin de chaque exercice, l’écart entre son objectif initial […] et les résultats effectivement obtenus. »100

En outre, en établissant un cadre et un langage technique communs, l’outil formalisé encourage une réflexion partagée, replace un domaine dans une logique plus vaste et incite au travail en collaboration. Les réunions d’acquisition sont l’occasion par exemple « d’une mise en commun des observations et avis de

chacun. »101

La définition de procédures d’acquisition présente donc l’intérêt d’amener les acquéreurs à davantage de responsabilisation.

99 Ce terme est utilisé par le directeur de la bibliothèque municipale de Genève. Se reporter au mémoire de recherche des élèves-conservateurs : COLLANGES Philippe, KONTOGOM Marie, LAMBERT Bertille, Développement et évaluation

des collections dans les bibliothèques publiques quelles pratiques et quels enjeux op. cit.

100 POUCHOL, Jérôme Pratiques et politiques d’acquisition : naissance d’outils, renaissance des acteurs, op. cit. 101 DELOULE Madeleine. Le choix des livres par les bibliothécaires, op. cit.

2.3.2. Une responsabilisation accrue des acquéreurs La réalisation d’une politique documentaire suppose la mise en œuvre d’un plan d’acquisition répondant aux finalités que s’est fixées l’établissement. La réflexion sur ces acquisitions doit donc conduire chaque agent concerné à connaître son fonds, mais également à « s’interroger sur les limites de son propre savoir, sur la

nécessité (…) de le mettre au jour [et] enfin [à] ouvrir la clôture qui délimite son territoire ».102 De cette façon, la collection ne correspond plus à la bibliothèque de l’acquéreur mais est bien le reflet d’un projet prédéfini. Sans supprimer toute part de subjectivité inhérente au choix des documents, les outils, en aidant à la réflexion et à l’action, permettent d’aider « ces subjectivités à s’insérer dans une

action collective. »103

La politique documentaire offre par ailleurs aux professionnels le moyen de porter attention à un problème que, selon Jean-Luc Gautier-Gentès, ces derniers auraient perdu de vue : la constitution de la collection et « la réflexion préalable

approfondie et le soin qu’elle appelle, l’identification qu’elle implique des finalités de la bibliothèque. »104

2.3.3. La permanence des pratiques en dépit du

changement des acquéreurs

Une construction raisonnée de la collection ne peut prétendre à la cohérence et à la pérennité que s’il existe une continuité dans la démarche d’acquisition. La définition d’outils formalisés représente un moyen efficace d’assurer cette continuité : ils offrent en effet les informations nécessaires qui permettent, lors d’« un changement de personnel, [de] donner au successeur les éléments de la

collection. »105

102 GAUTIER-GENTES Jean-Luc. Une république documentaire. Lettre ouverte à une jeune bibliothécaire et autres

textes. Paris : Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, p. 115.

103 CALENGE Bertrand. Quand peut-on établir qu’une bibliothèque dispose d’une politique documentaire ? Bulletin des Bibliothèques de France, 2006, t. 51, n°1, pp. 18-23.

104 GAUTIER-GENTES, Jean-Luc. Une république documentaire. Lettre ouverte à une jeune bibliothécaire et autres

textes, op. cit., p. 113.

La collection est désormais pensée dans la durée, ce qui correspond d’ailleurs aux préconisations de l’IFLA : « [Une politique documentaire formalisée] limite les

choix individuels et identifie les lacunes tout en assurant la cohérence et la continuité dans la sélection et la révision des documents. »106

2.3.4. Un outil pour négocier les budgets et les

orientations documentaires avec la tutelle Les bibliothèques sont en prise avec leur environnement, notamment politique et juridique. Elles agissent dans le cadre de lois et de règlements, concernant en particulier leur gestion administrative. Par ailleurs, les bibliothèques de lecture publique doivent tenir compte de la conjoncture budgétaire des collectivités territoriales. Grâce à la définition d’une politique documentaire et à l’instauration d’une charte, l’activité de la bibliothèque est clarifiée, pour les tutelles, pour le public. La formalisation est « un moyen de rendre public un projet intellectuel,

comme le font un directeur d'orchestre ou un directeur de théâtre lorsqu'ils exposent leur projet artistique. »107

Par ailleurs, les outils formalisés de développement des collections qui énoncent des objectifs clairs d’acquisition et présentent des orientations tenant compte de données sociales, économiques, culturelles propres au territoire desservi, représentent un outil de négociation pertinent avec les élus. Ces outils servent donc à justifier les orientations de la politique documentaire.

En effet, la définition et la mise en œuvre d’une politique documentaire formalisée permet d’affirmer clairement les critères de choix ou de non choix de documents, en les justifiant : car « exclure un type de livres des fonds, c’est exclure un type de

public. Cela peut être légitime, mais il faut le faire en toute connaissance de cause et pouvoir s’en expliquer. »108

Il paraît illusoire de penser que l’élaboration d’une charte documentaire puisse apporter une protection contre les interventions des élus dans les acquisitions si ces

106 IFLA. Grandes lignes directrices pour une politique de développement des collections - à partir du modèle

Conspectus -, op. cit.

107 AROT Dominique. Politiques documentaires et politiques de collections, op. cit. 108 DELOULE Madeleine. Le choix des livres par les bibliothécaires, op. cit.

dernières sont déterminées à le faire. En revanche, ces documents peuvent devenir ce que Jean-Luc Gautier-Gentès nomme « un corps de doctrine plus solide, en

permettant d’opposer [aux élus] des réponses plus solides ».109

Enfin, on peut penser qu’il apparaîtra plus difficile à une majorité nouvellement élue de supprimer de tels outils, alors qu’ils ont été approuvés par la municipalité précédente. La charte documentaire représente d’une certaine manière une garantie pour les bibliothèques de mener des projets sur le long terme.

2.3.5. Un outil qui justifie le professionnalisme des

acquéreurs

Dans un contexte où la pression éditoriale se fait croissante, où la demande des usagers, estimant parfois devoir être contentés à tout prix parce qu’ils ont payé pour ce service, est forte, la mise en place d’outils documentaires permet à l’acquéreur de s’appuyer sur « un support d’information synthétique ». Support qui ouvre la voie à plus de distanciation. Jérôme Pouchol évoque ainsi cet aspect des outils formalisés comme outils de « distanciations critiques. »110

C’est cette nécessité de distanciation qui pousse l’acquéreur à envisager une compréhension plus large des orientations de la bibliothèque, en intégrant l’idée que les outils d’acquisition offrent la possibilité « d’une compréhension globale et systémique

du projet documentaire. »111

109 GAUTIER-GENTES, Jean-Luc. Une république documentaire. Lettre ouverte à une jeune bibliothécaire et autres

textes, op. cit., p. 113.

110 POUCHOL, Jérôme. Pratiques et politiques d’acquisition : naissance d’outils, renaissance des acteurs, op. cit. 111 Ibid

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