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II. Approche et modèle théoriques

2.4. L’apport des études empiriques

Au début des années 1990, nous avons assisté à une renaissance des investigations empiriques étudiant la relation entre croissance économique et système financier. Nous passons en revue quelques unes des études publiées dans ce domaine. Les études empiriques du lien entre développement financier et activité économique, à partir des données transversales, chronologiques ou en panel, sont maintenant nombreuses. Leur conclusions sont relativement concordantes quant à l’impact positif du développement financier sur le taux d’investissement, sur la productivité du capital et sur la croissance économique. Nous trouvons les travaux de Bencivenga et Smith (1991), King et Levine (1993a, 1993b), Pagano (1993), Gertler et Rose (1994), Degregorio et Guidotti (1995), Levine et Zervos (1998a), Levine, Loayza et Beck (2000), Xu (2000), Christopoulos et Tsionas (2004). Dans ce qui suit, nous présentons quelques travaux.

Un des premiers travaux dans cette lignée est celui de Bencivenga et Smith (1991). Ces auteurs proposent un modèle dans lequel les intermédiaires financiers compétitifs (les banques) affectent l’allocation des ressources ayant une implication pour le taux de croissance réel. Pour ces auteurs, les économies possédant des intermédiaires financiers compétitifs croissent plus vite que les économies sans. L’industrie d’intermédiation financière permet à l’économie de réduire la fraction de son épargne détenue sous forme d’actifs liquides non productifs et permet de prévenir les allocations non optimales des ressources. Les études de King et Levine (1993a, 1993b) étaient les plus retentissantes. Ils se sont inspirés de la tradition de Goldsmith (1969). Dans leur article (1993a), ils ont étudié 80 pays sur la période 1960–1989 en générant des moyennes. Ils ont contrôlé systématiquement pour les autres facteurs pouvant influencer la croissance économique à long terme. Ils ont examiné les canaux de transmission vers l’accumulation du capital et vers la croissance de la productivité. Ils ont construit des indicateurs du développement financier et ont analysé si ce dernier prédit ou non la croissance économique, l’accumulation du capital et l’amélioration de la productivité. Les mesures du développement financiers construites sont : (1) les engagements liquides du système financier en pourcent du PIB, (2) la quantité du crédit fournie aux entreprises privées, (3) la part des crédits fournie par les banques et (4) part du crédit total allouée aux entreprises privées non financières. Ils ont utilisé trois indicateurs de la croissance économique : (1) taux de croissance du PIB par tête, (2) taux de croissance du stock de capital et (3) le taux de croissance de la productivité totale des facteurs. Les auteurs trouvent une relation positive entre les indicateurs du développement financier et chacune des variables de la croissance économique retenues. Cependant, ils ne traitent pas la question de causalité entre le développement financier et la croissance économique. Malgré cette faiblesse de leurs travaux, ils montrent que la taille des intermédiaires financiers en 1960 peut prédire la croissance économique pour les trente années suivantes.

Pagano (1993) présente une étude où il met en avant trois canaux de transmission entre le développement financier et la croissance économique à long terme. Il modélise le taux de croissance économique en partant d’un modèle du type AK. Le taux de croissance, g, est obtenu après résolution du modèle :

Avec

A : la productivité marginale sociale du capital,

: la proportion de l’épargne canalisée vers les investissements, s : le taux d’épargne privée

: le taux de dépréciation du capital.

En jouant sur les paramètres de cette équation, le système financier arrive :

1. à accroître la proportion de l’épargne affectée au financement des projets d’investissement ( , par les économies faites sur les coûts de transaction de la mise en commun de l’épargne et dans son allocation à l’investissement,

2. à accroître la productivité marginale sociale du capital (A), car un système financier performant alloue l’épargne vers les projets les plus rentables,

3. à accroître le taux d’épargne, par le développement d’instruments d’épargne fiables et efficaces et la rémunération de celle-ci.

Dans sa conclusion, Pagano (1993) propose que le développement financier a toujours un effet positif sur la croissance économique. Néanmoins, il prétend qu’il y a des exceptions à cette relation. Les améliorations dans la répartition du risque et dans le marché des crédits aux ménages peuvent baisser le taux d’épargne et par-delà le taux de croissance.

Certains auteurs ont voulu remédier à la carence en matière d’analyse de la relation entre finance et croissance, et en particulier la question de causalité. L’article de Laroche et al. (1995) essaie d’établir le lien de causalité entre le développement financier et la croissance économique. Les auteurs rappellent que les institutions financières peuvent favoriser la croissance économique en assurant une meilleure allocation de l'épargne aux investissements, ainsi qu'en identifiant et diversifiant les risques technologiques ou de liquidité. Ils ont étudié la question de causalité, au sens de Granger, entre le développement financier et la croissance et le taux d'investissement. Pour cette fin, ils ont utilisé une douzaine d’indicateurs du développement financier. Ils représentent le développement des activités de financement à la fois intermédiées et désintermédiées. L’échantillon est formé des pays de l'OCDE et la période d'étude est celle de 1976-1992. Les résultats obtenus montrent l’existence d'une causalité allant dans le sens développement financier  croissance économique. La causalité dans le sens croissance économique  développement financier est trouvée pour certains pays, mais beaucoup plus rarement. Sur un autre registre, De Gregorio et Guidotti (1995) utilisent un cadre d’analyse à la Barro. Ils trouvent effet positif du développement financier sur la croissance du PIB réel par tête à long terme. Cet effet est particulièrement fort dans les pays à faible et moyen revenu, mais il est faible dans le cas des pays à revenu élevé. Ils argumentent que ce faible effet est dû au fait que la part la plus importante des opérations du système financier se passe en dehors du

ils trouvent une corrélation robuste et négative. Cela peut s’expliquer par la libéralisation financière à outrance (non prudente) des années 1970 et 1980 et qui a capoté et s’est transformée en crise financière sévère.

Levine et Zervos (1998a) construisent plusieurs mesures du développement du marché des actifs (la bourse) pour évaluer la relation entre l’intermédiation financière d’une part et la croissance économique, l’accumulation du capital et la croissance de la productivité totale des facteurs d’autre part. Ils étudient un échantillon de 42 pays sur la période 1976–1993, contrôlent plusieurs des autres facteurs susceptibles d’influencer les variables de la croissance et intègrent le développement du secteur bancaire. La conclusion de leur travail est qu’ils obtiennent une corrélation positive entre les niveaux initiaux de la liquidité de la bourse de valeurs et du développement bancaire et la croissance économique, l’accumulation du capital et la productivité totale des facteurs. Cette corrélation est statistiquement significative. Ils trouvent que la taille de la bourse de valeurs (capitalisation boursière par rapport au PIB) n’est pas solidement corrélée avec les variables de la croissance économique retenues. Pour eux, lister tout simplement les actifs d’une bourse de valeurs nationale n’accroît pas nécessairement l’allocation des ressources. C’est la capacité de commercialiser facilement les technologies productives de l’économie qui influence l’allocation des ressources et la croissance économique. Malgré ces résultats, nous pouvons relever quelques faiblesses de l’approche de Levine et Zervos (1998a) que nous pouvons regrouper comme suit :

1. la question de causalité a été ignorée par les auteurs,

2. il y a des difficultés dans la mesure de la liquidité du système financier,

3. les indicateurs de liquidité mesurent les transactions des bourses de valeurs nationales. La localisation physique des bourses n’a pas nécessairement d’impact sur l’approvisionnement des liquidités, sauf s’il y a des obstacles aux échanges à travers les pays. La localisation physique des bourses va jouer moins de rôle si les économies sont financièrement plus intégrées.

4. le lien entre le commerce des actifs et la croissance économique ne représente pas un lien entre la liquidité et la croissance comme suggéré par certaines théories. 5. Levine et Zervos (1998a) excluent d’autres composantes du système financier, par

exemple le marché des obligations et les services financiers offerts par les institutions non financières.

6. la bourse de valeurs offre plus que la liquidité. Elle peut offrir des mécanismes de couverture et d’échange du risque asymétrique associé aux projets individuels, des firmes, des secteurs et des pays.

Reste que ce genre d’exercice a ouvert la voie à de nouvelles perspectives en matière de recherche dans cette direction. Pour cette raison, les études ultérieures ont essayé d’apporter des réponses aux questions (des critiques et faiblesses) soulevées par les divers auteurs. Une des questions posées consiste à se demander si la relation entre la finance et la croissance économique est guidée par un biais de simultanéité (endogénéité des variables du système financier) ou pas.

Utilisant la méthode VAR (Vector Auto Regression), Xu (2000) étudie 41 pays sur la période 1960–1993 en améliorant l’analyse faite par Jung (1986) auparavant. L’approche VAR permet l’identification des effets cumulatifs de long terme de la finance sur la croissance en

allouant les interactions dynamiques entre les variables explicatives. Xu (2000) rejette l’hypothèse que la finance suit tout simplement la croissance économique. Les analyses indiquent que le développement financier est important pour la croissance économique à long terme.

Sur la base des travaux antérieurs, Levine, Loayza et Beck (2000) essaient d’étudier le problème et d’apporter un éclairage en améliorant la technique et en résolvant certains problèmes, comme l’endogénéité, la simultanéité, etc. Ils étudient un échantillon de 71 pays développés et en voie de développement. Ces auteurs utilisent deux méthodes pour tenir compte de l’endogénéité de la variable de développement financier. D’une part, ils conduisent une analyse transversale sur la période 1960-1995, en utilisant la variable instrumentale l’origine légale du système financier (anglo-saxonne, germanique, française et scandinave). D’autre part, retenant la même variable instrumentale, ils procèdent à une analyse en données de panel dynamique, avec un découpage en sept périodes de cinq ans, grâce à l’estimateur GMM (Generalized Method-of-Moments), méthode économétrique qui permet de résoudre les problèmes de biais de simultanéité, de causalité inversée et de variables omises qui posaient de graves problèmes aux études antérieures. Il sera question de cette méthode dans le dernier chapitre de la présente thèse. L’approche des données de panel avec GMM se distinguent des études transversales en trois points :

1. le premier avantage est l’exploitation des données chronologiques et transversales ;

l’utilisation des données de panel évite les biais systématiques associés aux régressions transversales. Les effets spécifiques inobservés des pays sont pris en considération ;

2. les données de panel permettent, entre autres méthodes, d’utiliser les variables instrumentales pour tous les régresseurs et offrent plus de précision dans les estimations ;

3. le troisième avantage réside dans le fait que les techniques de panel permettent de résoudre les biais de simultanéité et d’endogénéité.

Ces auteurs montrent que les coefficients estimés sont robustes et que le lien fort existant entre développement financier et croissance économique n’est pas dû au biais de simultanéité. Leurs résultats démontrent une relation robuste entre finance d’un côté et croissance et la progression de la productivité de l’autre côté. La relation entre finance et accumulation du capital n’est par contre pas robuste.

Arestis, Demetriades et Luintel (2000) trouvent, dans une étude sur la bourse de valeurs, les banques et la croissance économique, un support à la vision que la finance stimule la croissance, mais préviennent sur l’amplitude de la relation. Loayza et Ranciere (2002) différencient entre le court et le long terme dans l’analyse de la relation entre finance et activité économique. Ils soulignent qu’il est plus judicieux de considérer le court terme et le long terme dans de telles analyses. Dans une large majorité des pays analysés, la relation est positive entre finance et croissance économique. Ce résultat contraste avec les résultats

Dans leur article, Christopoulos et Tsionas (2004) ont combiné des données en séries transversales et des séries chronologiques pour examiner la relation entre développement financier et la croissance dans le cas de dix pays en développement. Considérant la période 1970-2000, ils procèdent à une analyse de cointégration en données de panel. Leurs résultats optent en faveur d’une causalité allant en longue période du développement financier à la croissance et en faveur de l’absence de relation à court terme entre les deux phénomènes. En plus, ils trouvent un seul vecteur de cointégration entre finance et croissance économique ; cela renforce la nature de la relation entre ces deux domaines. L'implication politique importante de ces résultats est que les stratégies visant à améliorer le fonctionnement des marchés financiers auront un effet avec retard sur la croissance, mais certes un effet significatif.

En effet, la plupart des études qui se sont focalisées sur l’analyse du lien entre la croissance économique et le développement financier utilisent souvent des ratios mesurant l’état du système bancaire ; ces indicateurs occultent une partie du développement financier enregistré au cours de ces dernières années dans de nombreux pays en développement qui s’est traduit par une ascension des marchés financiers en l’occurrence des bourses de valeurs surtout dans les pays émergents. Ainsi, pour mieux cerner le développement financier, certaines études intègrent des indicateurs de mesure de la taille et de la liquidité du marché boursier. En effet, si la bourse de valeurs fonctionne de façon efficiente, c’est-à- dire que si les prix reflètent l’espérance de profits futurs des entreprises, les ressources financières pourront être allouées efficacement aux entreprises.

Que dire de la relation entre intermédiation financière et croissance économique? Vu le développement de la littérature sur la relation entre intermédiation financière et la croissance économique ainsi que la complexité de cette relation, ainsi que les controverses sur les effets de l’intermédiation financière sur la croissance, il est légitime de ce poser la question sur la nature de cette relation. Toutes les études, les plus citées, partent de l’idée que la relation entre le développement financier (en utilisant différents indicateurs du système financier) et la croissance économique (divers indicateurs) est linéaire. Une importante question dans les études des effets du développement financier sur la croissance économique est l’éventualité d’une relation non linéaire entre les deux domaines. Plusieurs études montrent que les effets de la finance sur la croissance économique sont non uniformes mais linéaires. De Gregorio et Guidotti (1995) reportent que le développement financier mène à l’amélioration des performances de la croissance. Cet effet varie entre les pays et à travers le temps, et peut même devenir négatif.

Rioja et Valev (2003, 2004) examinent si la relation entre le développement financier et la croissance économique est non linéaire. Rioja and Valev (2004) étudient les effets du développement financier sur les sources de la croissance dans trois groupes différents de pays : pays à faible revenu, pays à moyen revenu et pays à haut revenu. Ils utilisent les données de panel de 74 pays avec la technique de GMM dynamique (les mêmes données que Levine et al.). Leurs résultats indiquent que les effets de la finance sur la croissance varient entre différents groupes de pays. En plus, ils trouvent qu’il y a une forte influence positive de la finance sur la productivité dans les pays les plus développés.

En utilisant la même technique (GMM dynamique) Rioja et Valev (2003) proposent que la relation entre le développement financier et la croissance économique n’est pas uniforme, mais varie en fonction du niveau du développement financier du pays concerné. En particulier, ils proposent qu’il existe trois régions du développement financier ; ce dernier exerce une forte influence positive sur la croissance économique seulement quand il atteint un certain seuil. C’est la région du milieu. En dessous du seuil, la deuxième région, l’effet est incertain ; les études empiriques montrent un effet nul ou positif. Au-delà du seuil, la troisième région, l’effet décline une fois que le développement financier atteint un niveau très élevé ; des améliorations financières peuvent avoir un effet positif mais plus faible comparé à la région du milieu.

Il faut dire que l’approche dominante dans les études de la relation du développement financier avec la croissance économique part de l’hypothèse que ladite relation est linéaire. La non linéarité de la relation entre le développement financier et la croissance économique est un champ non encore bien défriché. La plupart des études ignorent cet aspect de la relation.

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