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Chapitre 2 Comment pratiquer la création littéraire comme vocation chrétienne ?

4.1 L’appel de Dieu

Prédispositions à la vocation

Anne, la mère de Samuel, prie ardemment pour avoir un fils (1 S 1,11-13.) En même temps, une fois sa prière exaucée, elle est prête à lâcher son trésor, ce signe de la faveur de Dieu, pour que Samuel puisse entrer dans le sacerdoce. Comme vocation, elle est appelée à une générosité d’esprit et de corps : sa vocation a été à la fois souhaitée, reçue et donnée (voir « Hannah’s Story », dans le chapitre 4). Sa fécondité était sa vocation dès le début (Theobald 2010 : 26). Quand nous ressassons notre passé, nous voyons que des augures qui présagent notre vocation existent depuis longtemps. Paul découvre la cohérence profonde de l’appel avec ce qui, mystérieusement, a toujours été là (Ph 3,6,12-14; 1 Co 15,9-10) (Theobald 2010 : 45). Nous devons développer une intériorité pour pouvoir être capables de relire le chemin pris jusqu’ici et de mieux suivre notre mystérieuse boussole intérieure pour entreprendre le prochain parcours (Theobald 2010 : 78).

Entendre notre nom

Comme Samuel, notre vocation commence avec l’intimité créée par l’utilisation de notre prénom, « l’élément de la langue qui se trouve le plus près du mystère absolument singulier de chacune de nos vies » (Theobald 2010 : 30). Le plus important est de rencontrer celui ou celle qui l’a prononcé. L’obéissance à la voix est moins d’adhérer à ce qui est dit, mais plutôt de répondre à qui l’a dit dans la confiance et la liberté (Theobald 2010 : 28).

La capacité d’écouter

Elle est prédicative de la possibilité d’entendre notre nom : personne ne peut le faire pour nous. Dans une société accrochée au son, allergique au silence, est-ce que les écouteurs

empêchent d’entendre la voix qui parle toujours à travers le silence, comme le bruit d’une brise légère qu’entend finalement Élie (1 R 19,12) ? Comment apprendre à écouter ?On peut améliorer notre capacité à écouter en étant attentive aux personnes qui écoutent bien, ou encore par l’expérience d’être écouté profondément nous-mêmes (Theobald 2010 : 76). La reconnaissance de la voix

Cet élément est relié à l’écoute – la voix doit résonner en nous. La voix de Dieu a toujours été là, à l’intérieur de notre être, mais maintenant nous sommes capables de l’entendre. Avec sa double vocation de jésuite et de musicien, Theobald est particulièrement éloquent à propos de cet élément, le ton de la voix de Dieu : discerner la vocation, écrit-il, c’est « reconnaître progressivement, comme dans une grande et complexe polyphonie, les “thèmes” principaux et leur agencement ou leur secrète “conspiration” » (Theobald 2010 : 56) (voir la « Méthodologie Jazz » au troisième chapitre). Theobald note aussi que l’appel est « absolument nouveau à chaque fois que quelqu’un l’entend réellement » (Theobald 2010 : 32). L’appel de saint Paul, par exemple, qui coupa sa vie en deux, vient d’un Dieu créateur qui ramène les morts à une vie complètement nouvelle : « Dieu, qui donne la vie aux morts, et qui appelle les choses qui ne sont point comme si elles étaient12 » (Rm 4,17).

Malentendus

Pour reconnaître la voix qui nous appelle, nous devons dépasser un malentendu. Dans le cas de Samuel, il est appelé par Dieu, mais il comprend que c’est la voix de son tuteur Eli venant de la chambre voisine. Alors adolescent, Jésus doit dépasser ce malentendu lorsqu’il entend son appel à sa vocation de fils de Dieu pendant sa discussion avec les sages dans la synagogue. « Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? », répond-il lorsque son père humain l’accuse d’avoir abandonné ses parents (Luc 2,49). On voit Jésus, à travers un malentendu, apprendre la différence entre les appels de son père et ceux de son Père (Theobald 2010 : 50). Le malentendu peut prendre plusieurs formes, mais notre

relation avec Dieu ne peut pas être transmise d’une génération à l’autre, ni même d’une personne à l’autre, sans malentendu. C’est un peu comme la prière : on veut qu’elle « marche » de la même façon que la dernière fois, d’une période à l’autre de notre vie, mais à chaque fois, Dieu veut nous convoquer d’une manière radicalement nouvelle. Chaque génération, d’ailleurs, doit entendre la parole pour elle-même et apprendre à écouter pour elle-même (Theobald 2010 : 33).

Les passeurs

Les passeurs sont les personnes qui nous aident à dépasser les malentendus, comme Éli qui dirige le jeune Samuel vers l’origine réelle de son appel. Eli, malgré tous ses défauts, était pour Samuel le passeur, celui qui lui a dit « tu peux ». Dans d’autres cas, l’appel vient de la voix du passeur lui-même (Theobald 2010 : 53). Dans le cas d’Élisée, l’appel est transmis par un autre, Élie (1 R,19-21), un motif est répété avec l’appel à Jésus, transmis par Jean Baptiste (Matt 3,13). Le passeur doit posséder une cohérence, une authenticité, de même que la capacité de s’effacer ou de souffrir pour permettre l’authenticité chez les autres. Il doit être conscient de ses limites et il doit être capable d’écouter (Theobald 2010 : 74). Le Christ est la figure du passeur par excellence. Dans l’eucharistie, Jésus est à la fois le traversier et le passeur.

Quitter son pays

Répondre à l’appel, pour la plupart des prophètes (ainsi que pour James Joyce), exige de quitter son « pays » pour un autre, inconnu, que la vie révèlera plus tard. Jésus demande à ses disciples qu’ils rompent avec leurs parents, tout comme dans la Genèse : « L’homme quittera père et mère pour se rattacher à sa femme » (Gn 2,24). La décision – dé-cision vient du mot latin, qui veut dire, couper, trancher – nécessite la rupture, d’autant plus que lorsqu’on s’engage sur le nouveau chemin, on y gage notre vie (Theobald 2010 : 71). La vocation n’est pas toujours dramatique

Les textes bibliques révèlent que les appels prennent des formes différentes et variées. Ils ne sont pas nécessairement si dramatiques qu’ils nous font tomber d’un cheval. Élie entend Dieu dans une voix réduite à presque rien (1 R 19,11-13) et pourtant si puissante qu’elle le

renvoie au début de son voyage pour qu’il le recommence avec une nouvelle perspective. L’appel n’est pas non plus nécessairement impérieux. L’appel à Ésaïe est une question plutôt qu’un ordre, honorant sa liberté : « Qui puis-je envoyer ? Qui ira pour nous ? » (Is 6,8). Ézéchiel rapporte son expérience d’entendre l’appel avant d’en raconter le contenu : « Quand il me parlait, un esprit entra en moi et m’a mis sur mes pieds ; et je l’ai entendu me parler » (Ez 2,2). Samuel se méprend deux fois sur l’identité de celui qui l’appelle. D’ailleurs, trouver la vocation n’est pas nécessairement associé à la joie ni accompagné d’une expérience de consolation. Pour Ézéchiel, l’appel de Dieu le plonge dans la colère et la tourmente : « Et je suis allé dans l’amertume, dans la chaleur de mon esprit, et la main de Dieu était lourde sur moi. » Avant qu’il ne réussisse à livrer son message, il resta parmi certains réfugiés syriens sur la rivière Chador : « Je me suis assis au milieu d’eux, stupéfait, pendant sept jours. » Daniel, lui aussi, est loin d’accueillir son appel avec joie : « Au son de cette voix, je suis tombé face contre terre, frappé de torpeur » (Dn 10,8-9), tandis que Jérémie sera plongé dans une dépression suicidaire : « Malheur sur moi, ma mère, de m’avoir enfanté ! ... Pourquoi ma douleur est-elle sans fin, et ma blessure incurable, qui refuse de guérir ? » (Jr 15,10-18). Comme mentionné plus haut, l’appel à l’écriture est ambigu : dans l’Apocalypse de Jean, il « avait dans ma bouche la douceur du miel et, comme je l’avalai, il devint amer à mon ventre » (Ap 10, 9-10).