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L’appel de Bernard de Clairvaux à Geoffroy du Loroux Loroux

prédicateur dans l’Ouest de la France au XIIe siècle

I.2. Schisme d’Anaclet et accession au siège épiscopal épiscopal

I.2.3. L’appel de Bernard de Clairvaux à Geoffroy du Loroux Loroux

Par une lettre rédigée en 1131, l’abbé de Clairvaux encourage Geoffroy du Loroux à sortir de sa retraite :

« Dans la fleur on cherche l’odeur, dans le fruit la saveur. Provoqué par la bonne odeur de l’huile répandue dans ton nom, frère très cher, nous désirons aussi te connaître par le fruit de l’œuvre. Il est glorieux pour toi de pouvoir être l’auxiliaire de Dieu ; le pouvoir et ne l’être pas serait condamnable. Or, tu jouis de la grâce auprès de Dieu et des hommes, tu as la reconnaissance, tu as un esprit de liberté, tu as une parole vivante et pénétrante et assaisonnée de sel : en raison de tous ces talents tu ne dois pas manquer à l’Épouse du Christ en une telle crise, toi l’ami de l’Époux. L’ami donne des preuves au moment du besoin. Quoi ? Tu te reposes et ta Mère l’Église est sans dessus dessous ? Il y a un temps pour le repos, et la sainte désoccupation a pu donner libre cours, licitement, à ses occupations ; mais c’est maintenant le temps d’agir, car ils ont détruits la loi82 ».

Saint Bernard évoque dans cette épître les évêques et souverains qui se sont alliés à Innocent II et il demande alors à Geoffroy du Loroux :

« Et toi, frère, pourquoi es-tu encore négligent ? Jusqu’à quand ton zèle s’endormira-t-il dans une mauvaise sécurité, au voisinage même du serpent [Girard d’Angoulême] ? Ne crains pas de dommage pour ton repos ; il sera compensé par un accroissement notable de ta gloire83 ».

L’abbé de Clairvaux expose clairement l’urgence d’intervenir auprès du duc d’Aquitaine :

82 PL, 182, col. 269-270 : épitre 125 de saint Bernard : Odor in flore, in fructus sapor requiritur. Odore cali,

charissime frater, olei effusi nominis tui, itus et ex fructus operis cognoscere te. Non nos tantum, sed ipse quoque qui nullius eget opus tamen habet hoc in tempore opere tuo, a dissimulas. Gloriosum tibi est Dei esse posse autorem : posse et non esse, damnosum. Porro autem gratias habes apud Deum et homines, habes scientiam, habes spiritum libertatis, habes verbum vivum et efficax et sale conditum : nec oportet et pro tantis viribus sponsae Christi dcesse in tanto discrimine, cum sis amicus sponsi. Quid enim ? Tu tibi quiescis, et mater tua Ecclesia graviter conturbatur ? Habuit sua tempora quies, et sanctum otium hactenus sua negotia licenter libenterque exercuit. Tempus faciendi nunc, quia dissipaverunt legem. La traduction proposée ici est celle de

G.-M. Oury, 1980, 135.

83 PL, 182, col. 269-270 : épitre 125 de saint Bernard : At tu, frater, quid adhuc negligis ? Quousque vicino

« Nous savons très bien que fils de la paix, tu ne te laisseras pas aller à rompre l’unité, mais ce n’est pas assez, tu dois la protéger, la défendre et combattre de toutes tes forces ceux qui s’acharnent à la détruire. Ne crains pas pour ton cher repos, ce ne sera pas pour toi une médiocre gloire d’avoir apprivoisé cette bête féroce ou du moins d’avoir arraché à la gueule du lion une si grande proie pour l’Église, je veux dire le comte de Poitiers84».

Bernard exprime à la fois la confiance qu’il a en Geoffroy du Loroux, « tu ne te laisseras pas aller à rompre l’unité », et il souligne ses talents de prédicateur qu’il doit mettre au service de la cause. Il reproche quelque peu sa passivité à Geoffroy du Loroux en insistant sur son penchant pour le repos, « ne crains pas pour ton cher repos », qui pourrait être de la paresse aux yeux de Bernard. Mais il précise à Geoffroy du Loroux qu’il n’a pas à s’inquiéter et que cet éventuel « dommage » pour son repos « sera compensé par un accroissement notable de

[sa] gloire ». En le flattant ainsi, Bernard révèle un travers de Geoffroy du Loroux qu’il ne

cesse de dénoncer par ailleurs, l’orgueil. Il loue en effet ses « talents », « son esprit de liberté », sa « parole vivante et pénétrante » mais il rappelle aussi son « zèle ».

Un pamphlet anonyme attaque en outre les partisans d’Innocent II et peut-être parmi eux Geoffroy dit Babion. Ce document suggère une démarche de sa part auprès du duc d’Aquitaine. Le pamphlet cible les ermites, accusés d’être des gyrovagues, moines errant de monastère en monastère sans appartenir à aucun d’entre eux :

« Autrefois, on t’appelait Babio [le bègue], mais au lieu de Babio Tu seras appelé désormais et avec raison Bafio [pourceau]. […] La ville n’est pas un désert ; votre résidence ce sont les bois ; Pourquoi y être allé et pourquoi habitez-vous les forêts ? »

Il semble que Geoffroy dit Babion ait quitté sa communauté et qu’il ait tenté d’ores et déjà d’intervenir après du duc :

« Dis-moi, ô bon ermite, que viens-tu chercher à ce siège ?

84 PL, 182, col. 269-270 : épitre 125 de saint Bernard : Scimus quidem te filium pacis nulla posse ratione induci

deserere unitatem : sed profecio non sufficit, nisi et defensare, atque ipsius quoque turbatores totis viribus debellare studueris. Nec quietis timeas detrimentum quod non parvo tiae gloirae incremento recompensabitur, si fera illa vicina vobis tuo studio mansuescat, vel obmutescat, et tantam Ecclesiae praedam, comitem dico Pictavensem, in manu tua Dei piétas de ore Leonis eripiat. La traduction proposée est celle de H. Claude, 1953,

Qu’as-tu affaire chez le cabaretier ? Est-ce par religion que tu fais cela ? Et toi, cabaretier, pourquoi accours-tu ? Que biberonnes-tu en ta gyrovagie ? Le caquet des Patarins suffira-t-il jamais à prendre une tour ?

Le comte l’assiège et il ne lèvera pas le siège… Quelle vie mènes-tu là, ô sarabaïte ?

Que veux-tu au comte ? Pourquoi t’occuper du litige apostolique85 ? »

G.-M. Oury utilise le siège évoqué pour dater ce pamphlet. Sachant que Guillaume X assiège Châtillon d’août à octobre 1131 puis le donjon de l’Ileau situé non loin, la rédaction pourrait être envisagée entre la fin de l’an 1130 et le début de l’an 1132, soit après les interventions de Bernard et de Pierre le Vénérable auprès du duc. G.-M. Oury conclut que l’auteur du pamphlet appartient certainement au clergé aquitain de l’entourage de Girard de Blay. La critique envers le milieu érémitique est virulente car il semblerait que les ermites aient pour la plupart choisi le parti d’Innocent II :

« Maintenant, peuple patarin, tu erres par mer et par terre, Tu te rues à tes caprices, pratiquant la gyrovagie.

Eh oui ! Sous le couvert de ta chape de couleur neige

Tu calomnies les évêques : aux bons tu imputes des crimes mensongers. Dis-moi, race bestiale, race affranchie de toute loi,

Que te font les évêques ? Veux-tu prendre leur place86 ? »

Malgré les relations autrefois entretenues par Girard de Blay avec le milieu érémitique à travers de bons rapports avec Géraud de Sales († 1120) et Robert d’Arbrissel († 1117), le prélat ne parvient pas à obtenir le soutien de leurs successeurs. Geoffroy du Loroux, alors à la tête de trois ermitages institutionnalisés, sort de sa retraite à la demande de Bernard de Clairvaux pour prendre fermement position et agir efficacement auprès du duc d’Aquitaine. À la fin de l’année 1134, après un long séjour en Italie auprès du pape Innocent II, Bernard revient en Aquitaine accompagné du légat Geoffroi de Lève, évêque de Chartres (1116-1149),

85 La traduction proposée est celle de Oury, 1980, 136-137.

86 La traduction proposée est celle de Oury, 1980, 138. Le terme de patarin est généralement utilisé pour désigner les membres de mouvements réformateurs ou hérétiques. Le terme vient de la Pataria, mouvement de réforme radicale à Milan en 1056-1057 ; les sarabaïtes sont des moines qui vivaient à deux ou trois réunis et qui n’avaient, à la différence des cénobites, ni règle ni pasteur ou abbé auquel se soumettre.

pour rencontrer le duc Guillaume X87. Leur action associée à celle Geoffroy du Loroux amène enfin le duc Guillaume X à se détacher définitivement de Girard d’Angoulême, mettant définitivement fin au schisme.