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Les actions de l’archevêque à caractère mémoriel mémoriel

clunisiens ou cisterciens

IV. Quelle mémoire liée à Geoffroy du Loroux ? du Loroux ?

IV.2. Les actions de l’archevêque à caractère mémoriel mémoriel

L’on peut s’interroger sur le caractère mémoriel des différentes actions de l’archevêque dans le sens où elles sont accomplies avec la conscience de laisser une empreinte de son passage. Les actions à vocation mémorielle entreprises par Geoffroy du Loroux pourraient être de trois ordres : les fondations qu’il met en place avant d’être élu archevêque, sur lesquelles il veille ensuite, son rôle dans la reconstruction de la cathédrale de Bordeaux et son œuvre oratoire.

IV.2.1. L’architecture

Les fondations implantées par Geoffroy du Loroux sont institutionnalisées avant 1136 alors qu’il ignore sa future charge épiscopale. Elles ne sont vraisemblablement construites en pierre qu’après son élection au siège de Bordeaux et c’est sous cet angle que l’étude de leur parti architectural prend tout son sens. Car si une ressemblance est démontrée pour ce groupe, elle émane probablement de Geoffroy du Loroux et reflète une volonté particulière. De même pour le lancement du chantier de la nouvelle cathédrale Saint-André au XIIe siècle : si l’initiative revient à Geoffroy du Loroux, alors cette action est mémorielle car hautement symbolique en marquant visuellement le renouveau désiré par l’archevêque au sein de son chapitre. Reconstruire une cathédrale sert la mémoire ecclésiale mais aussi la mémoire personnelle du commanditaire. Toutefois s’il n’en est pas le promoteur initial, Geoffroy du Loroux siège à Bordeaux pendant 22 ans, deux décennies au cours desquelles il influence l’avancée du chantier. Dans leurs travaux, J.-A. Brutails et J. Gardelles, exposant la similitude architecturale des fondations dans leur plan et l’austérité du décor, attribuent tous deux ces ressemblances à l’archevêque. Ils remarquent que le type de plan est commun par rapport aux productions locales contemporaines et ne présentent en ce sens pas d’originalité particulière. Le décor austère se retrouve dans d’autres abbayes canoniales régulières mais aussi au sein d’édifices cisterciens. En outre, plusieurs exemples d’abbayes de chanoines réguliers exposent au contraire un riche décor et parfois un plan plus complexe. J. Gardelles amène l’étude plus loin en remarquant que les plans de Fontaine-le-Comte et Sablonceaux sont, dans leurs parties conservées du XIIe siècle, identiques à moins d’un mètre près. Cette remarque apporte alors un caractère particulier à cette production qui à ce stade n’est constituée seulement que de

deux édifices qui se ressemblent. De plus, ces deux auteurs attribuent la nef de la nouvelle cathédrale lancée au XIIe siècle à Bordeaux à Geoffroy du Loroux car ce vaisseau adopte un plan et un décor qui correspondent à la production architecturale attribuée au prélat. La mémoire actuelle liée à l’archevêque est illustrée par la reconstruction de la cathédrale Saint-André, en particulier la nef, ses fondations canoniales régulières peu connues et son rôle majeur dans l’application des idées grégoriennes au sein du clergé bordelais. Des éléments de discussion, voire de réponse, ne peuvent être émis qu’après une analyse architecturale approfondie de ces édifices, pour établir le degré de volonté du prélat de laisser un témoignage aussi dans l’image donnée à ses fondations.

IV.2.2. L’écriture

La mémoire de Geoffroy du Loroux s’illustre également à travers la diffusion de ses sermons. La collection attribuée à l’archevêque et ses développements successifs sont collationnés par de nombreuses communautés de chanoines réguliers, notamment Saint-Victor de Paris. L’attrait pour cette collection de sermons se perpétue après le décès du prélat238. De nombreux manuscrits attestent en effet de la réutilisation postérieure de la collection de Geoffroy Babion et de sa postérité. La diffusion de ses sermons est avérée par une ample tradition manuscrite où les textes sont majoritairement datés des XIIe et XIIIe siècles, complétés de nombreux témoins connus pour les XIVe et XVe siècles. Répartis dans toute l’Europe, plus particulièrement en France et en Angleterre, ces manuscrits reflètent le contexte géopolitique de formation de l’Empire Plantagenêt. De nombreux manuscrits contenant ses sermons émanent d’abbayes bénédictines telles Jumièges et Clairvaux239. Geoffroy Babion appartient aux prédicateurs célèbres par leur collection de sermons, et cette renommée passée serait plus reconnue aujourd’hui si sa mémoire n’avait été occultée dès le XIIIe par le pillage de ses textes et la confusion avec son contemporain Hildebert de Lavardin, évêque de Chartres.

Les sermons laissés par le prélat révèlent la nature de son geste mémoriel. L’œuvre oratoire de Geoffroy du Loroux est une production par laquelle il laisse une trace, un témoignage. Un aspect de cette collection de sermons est intéressant à souligner pour cerner la

238 Foulon, 2004a, 79 ; Foulon, 2009, 90.

personnalité de Geoffroy du Loroux. Alors que d’autres auteurs tels Geoffroy de Vendôme ou Bernard de Clairvaux ont pris soin de consigner par écrit une collection complète et révisée de leurs meilleurs écrits, J.-H. Foulon souligne que Geoffroy du Loroux ne semble pas avoir eu ce souhait. Il indique qu’il est curieux de ne pas trouver de manuscrit sous son nom contenant la totalité de ses œuvres oratoires. L’état final de la collection semble répondre à des questions d’organisation pratique en coordonnant des consignations partielles faites par Geoffroy du Loroux au cours de sa carrière de prédicateur et en assemblant des sermons isolés. L’anonymat général des manuscrits révèle davantage un soucis de livrer un ensemble de textes utiles pour la formation spirituelle et la prédication et non le souhait d’obtenir une œuvre identifiable par son auteur. Ainsi l’élaboration de l’état final de la collection reflète la volonté de servir de collection exemplaire à l’usage du prêcheur240. Cependant ces regroupements ne reflètent peut-être pas les premières consignations faites par l’auteur au XIIe siècle. Les quelques mises à l’écrit partielles dont des traces sont conservées reflètent la volonté de Geoffroy du Loroux de collationner ses œuvres en les laissant sous son surnom d’écolâtre, Babion. Néanmoins la majorité des sermons conservés de Geoffroy du Loroux ne sont pas rédigés quand il est écolâtre mais quand il est archevêque et sa collection traduit des orientations plus pastorales que scolaires. Ainsi la mémoire de l’enseignant paraît avoir plus d’importance à ses yeux que la mémoire personnelle liée au statut d’archevêque. Les séries synodales sont liées à la réforme du clergé et les sermons de dédicace montrent l’attention du prélat pour les expressions du sacré : la défense des églises et de leurs biens ou objets de culte. Les idées grégoriennes de Geoffroy du Loroux sont révélées par ses textes : la pauvreté volontaire, unanimité fraternelle des communautés régulières issues du nouveau monachisme, réforme du clergé séculier… Ainsi sa collection est avant tout modelée tel un outil pour diffuser ses idées réformatrices. J.-H. Foulon déduit que Geoffroy du Loroux, conscient du manque de prédication dans son clergé, a vraisemblablement voulu transmettre un manuel pour encourager les clercs à prêcher. Son œuvre révèle sa volonté de fournir une collection de modèles, avec notamment des « sermons squelettes » que l’utilisateur pouvait compléter à sa guise241. Ainsi Geoffroy du Loroux établit une compilation de ses textes avec un réel souci didactique pour que ses successeurs puissent à la fois appréhender aisément cet ensemble et qu’ils soient encouragés à améliorer leur travail de prêcheur, porteur de la vie exemplaire. Le souhait de l’archevêque ne semble donc pas être de faire conserver en premier lieu sa mémoire en tant qu’auteur. Il désire avant tout transmettre un message et faire en sorte que

240 Foulon, 2004a, 87-88.

ses successeurs soient armés pour perpétuer cette parole. Son geste ici est définitivement mémoriel mais il semble moins attaché à faire perdurer la mémoire de la fonction épiscopale que celle du message réformateur du nouveau monachisme. Ses idées grégoriennes, qu’il s’applique à mettre sous une forme abordable et réutilisable voire modelable, semblent passer avant sa personne, écolâtre, ermite ou archevêque. La dimension de son idéal pastoral transparaît nettement avec un sentiment fort d’agir dans la continuité. Sa collection alimente par cet aspect la mémoire ecclésiale qui semble ici se dissocier de la mémoire personnelle et épiscopale.