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2 « Le personnel est politique » : rapports de domination et imbrications du véganisme et du féminisme

Chapitre 2 Discours et systèmes de représentation dans les restaurants véganes

1- L’antispécisme et le militantisme anti-pub

consciences

L’antispécisme se définit par l’action collective dans l’espace public mais aussi par un ensemble d’actions individuelles et anonyme traduisant une lutte des idéologies dans l’espace urbain. Les modes d’expressions varient des affiches publicitaires au trottoir.

1- L’antispécisme et le militantisme anti-pub

La publicité est omniprésente à Paris : panneaux publicitaires, affiches dans le métro, sur les bus. Ces images publicitaires révèlent les codes d’une société tout en contribuant à leur reproduction. Comme le langage, ces images reflètent les normes et les rapports de domination à l’œuvre dans une société. Ces représentations agissent sur l’inconscient des passant.e.s pour former une certaine image de la norme sociale.

Les mouvements anti-pub s’opposent à ces images véhiculant des normes discriminantes qui nourrissent la société de surconsommation. Ces mouvements réunissent donc des groupes pour l’égalité et des groupes anticapitalistes.

Les mécanismes du carnisme, du carnosexisme et de la Suicuid Food ont été présentés dans la partie théorique selon l’analyse critique de Carol Adams (1990). La publicité impose donc ses normes et dictes les comportements humains. La réduction des animaux à leur simple matérialité nourrit l’idéologie spéciste. Les actions militantes face à ces images peuvent être organisées en groupe ou individuelles.

1-1 « Les Bêtes Noires de la Pub »57 ou la remise d’un trophée de la honte

« Les Bêtes Noires de la Pub » sont un collectif sur internet proposant de voter pour les pires publicités spécistes de l’année. Chaque année, six trophées sont attribués selon six catégories : mauvais goût, packaging trompeur, alibi santé, victime consentante, illusion de l’élevage heureux, et animal effacé. Les catégories sont les

appuis principaux des publicitaires pour vanter des produits animaux. Le vote s’est déroulé sur le site internet du 10 mai au 10 juin 2016 (35 700 personnes ont participé).

« Les trophées des Bêtes Noires de la pub visent à rétablir une communication honnête et véridique envers les consommateurs » déclare Valérie Thomé, représentante du Collectif. 58

Le Collectif insiste ainsi sur la responsabilité du-de la citoyen-ne en tant que consommateur-e. Avertir le-la consommateur-e pour qu’il-elle modifie ses achats sera le levier le plus puissant de mise fin au spécisme. En mettant en lumière les dissonances cognitives à l’œuvre dans les choix de consommation, le collectif souhaite opérer une prise de conscience au sein de la société. Le collectif est formé de plusieurs associations antispécistes telles que L214, One Voice, combactive, ou encore l’alliance anti corrida. Le militantisme antispécisme créé ici une nouvelle forme d’expression inspirée du militantisme féministe. La publicité du groupe Charal exposant deux morceaux de viande disposés en forme de cœur sous le slogan « Une belle journée pour avoir du cœur » a été élue dans la catégorie « trophée du mauvais goût ». Lors de la cérémonie organisée par le collectif, Brigitte Gothière, présidente de L214, rappelle la citation de Lamartine : « on n’a pas deux cœur, un pour les animaux, un pour les humains : on a un cœur ou en a pas ». La cérémonie eu lieu à la Maison des Vétérinaires, dans une salle mise à disposition par l’œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir. L’animation était assurée par Christine Berrou, comédienne du Djamel Comedy Club, et Guillaume Pot, animateur sur Rires et Chansons. Le ton oscillait entre sérieux et indignation et humour teinté d’ironie. Les trophées sont ensuite envoyés aux groupes industriels élus. Cette démarche militante créé donc un rapport direct entre groupes industriels et groupes antispécistes. La démarche se distingue des performances et action militantes « musclées » envers ces oppresseur-e-s. La diversité des angles d’attaques permet à l’antispécisme de s’insérer et d’être visible sous différentes formes et à long terme.

1-2 Le militantisme antipub anonyme et individuel

Le militantisme antipub est également réalisable de façon individuelle dans l’espace public. Inspiré.e.s du mouvement féministe, les militant.e.s antispécistes

pratiquant l’antipub individuellement marquent l’espace public pour marquer les consciences. Ces actions se traduisent par l’inscription de messages véganes sur les publicités spécistes. Un dialogue se spatialise ainsi dans l’espace public. La lutte d’opinions est matérialisée par un échange entre publicitaires et militant.e.s. Ces inscriptions véganes peuvent être de simples réponses par écrit « Go Vegan », ou des rétablissement de la parole animale par superposition de textes, ou encore des autocollants « je suis une pub spéciste ». Figure 26 : Publicité dans le métro pour la vallée des singes. Source : Page facebook « Je suis une pub spéciste ».

La réappropriation spatiale du mouvement antispéciste s’inscrit dans le détournement du message spéciste initial. La publicité spéciste devient une affiche militante. Le message « libérez votre nature sauvage » a été transformé en « libérez moi ». Le message végane montre l’absurdité du discours publicitaire qui vend « une nature sauvage » à travers la captivité des singes. L’usage du mot « moi » rétablit

l’individualité du (ou de la) gorille. Cette modification change toutes les perceptions émises pas l’animal, le regard du gorille devient chargé de sens. Son visage exprime parfaitement le message attribué. L’espace de la norme devient celui du militantisme antispéciste. Le mouvement antipub replace le débat dans l’espace public en agissant sur les publicités. Dans cet exemple le message végane est renforcé sur une publicité spéciste. Cette superposition permet de montrer la souffrance individuelle et l’absurdité de celle-ci. Le message est finalement plus fort sous cette forme que sous une représentation antispéciste originelle. Figure 27 : Publicité Subway « En exclusivité dans les restaurants spécistes ». Source : Page facebook « Je suis une pub spéciste ». Cette publicité pour une chaine de sandwicherie a été marquée par l’autocollant « SPECISTE Arrêtons d’exploiter les animaux ». Ces autocollants permettent de jouer avec les phrases des publicitaires en rétablissant le caractère spéciste des produits mis en avant. Ces autocollants sont disponibles à prix libres auprès de la créatrice de la page facebook « je suis une pub spéciste ». Cette forme de militantisme est liée à celui du

féminisme dont les méthodes sont semblables. Ces autocollants dénoncent le spécisme et mettent en avant le mouvement antispéciste. L’ajout de la définition sous le mot SPECISTE n’est pas anodin. Il montre que le mot n’est pas connu de tous et nécessite d’être popularisé au sein de la société.

Les différentes applications du militantisme antipub redéfinissent les espaces publics urbains comme des espaces de dialogue. Les micro-lieux d’expression sont l’objet d’une lutte pour l ‘espace. Modifier les publicités spécistes permet au mouvement antispéciste d’être visible autrement que par ses commerces mais pour ses idées politiques et philosophiques. Ces nouvelles spatialités véganes ne sont plus celles d’une mode de vie uniquement mais bien celles d’un mouvement politique et social pour l’égalité.

2- Le tag antispéciste ou la réappropriation de la rue : récit d’une