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8. Réflexion sur l’antihéros dans le cinéma québécois 45

8.3 L’antihéros et le westerner dans le court-métrage St-Placide 63

On retrouve dans le court-métrage St-Placide les deux types de personnages étudiés dans cette réflexion. Le personnage principal, Maurice Simard, est inspiré des antihéros du cinéma québécois définis plus tôt dans le texte. On remarque également un westerner, Gary Wayne, dont les caractéristiques sont tirées des plus grands cowboys des westerns classiques. Le récit se veut également fortement influencer du genre provenant de l’ouest américain.

En s’attardant sur le personnage de Maurice Simard, le fils, nous constatons constater son évolution dans le récit. Au départ, il possède beaucoup de traits de l’antihéros. Par exemple, lors de la scène à l’église, il ne s’oppose pas à son père lorsqu’on le désigne en tant que futur policier du village. Il laisse ainsi sa destinée aux mains d’autrui, à l’exemple de l’oncle Antoine, d’Ovide Plouffe ou de Pierre- François. De plus, il n’est pas doué avec le maniement du fusil au début de son entraînement, c’est-à-dire qu’il ne possède pas d’habiletés exceptionnelles comme le héros du western. Maurice se laisse plutôt envoûter par l’alcool à l’image des antihéros québécois en détresse et, après une certaine hésitation, il est poussé à réagir à la fin du film seulement, lorsqu’il entend les coups de feu. Toutefois, on constate une légère transformation dans son comportement, à la suite de sa « formation » avec le westerner Gary Wayne. Il sait maintenant manier les armes et il n’aurait pas vengé son mentor s’il n’avait pas évolué dans le récit. On doit toutefois tenir compte du fait qu’il s’est lié d’amitié avec lui, ce qui le pousse à réagir. Il représente bien l’antihéros décrit par Van Gorp et Brombert. Ce dernier mentionne d’ailleurs, dans la première partie de notre réflexion (p. 57), que l’antihéros est capable de courage et d’une résilience surprenante. C’est effectivement ce qu’on remarque chez Maurice à la fin du court-métrage, mais que nous n’avions pas remarqué avec les autres personnages analysés précédemment.

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Quant au personnage de Gary Wayne, il tire son inspiration du héros du western classique américain, le westerner. Outre la ressemblance quant à l’aspect physique du personnage, le « Tall Slim American » est calme et démontre une assurance hors du commun. Il intervient dans le récit directement. Engagé par une société dont il n’a pas d’appartenance particulière, il arrive dans le village de St- Placide avec l’intention d’y rétablir l’ordre. Le spectateur ne connaît pas le passé de Wayne, une autre caractéristique du personnage du cowboy de l’Ouest américain. Il n’a pas la chance de quitter le village après avoir accompli son travail, ayant été tué par les truands de la mafia irlandaise. Il réussit tout de même sa mission en léguant certaines valeurs à son apprenti Maurice Simard. Son décès viendra créer un contraste avec le récit habituel du western classique, puisque le héros réussit toujours sa quête et repart à la recherche de nouveaux défis; il ne meurt jamais. En ce qui a trait au genre privilégié, le film situe son intrigue dans la petite communauté de St-Placide qui est corrompue par des mécréants. L’incapacité de la communauté à régler son problème elle-même, consiste en un élément important de l’intrigue classique du western selon Will Wright30. Le choix

d’un antihéros en tant que personnage principal vient toutefois corrompre l’aspect classique du genre. Bien sûr, St-Placide n’est pas le premier western utilisant un personnage non reconnu par son exemplarité, mais ce type de personnage et peu (ou pas) présent dans les récits construits sur une intrigue classique, ce que souligne par ailleurs Wright. Donc, nous ne pouvons pas affirmer que le court- métrage, bien qu’il utilise plusieurs éléments du western classique, se classe dans ce genre en raison de son protagoniste.

En guise de conclusion, nous remarquons que les scénaristes et réalisateurs du cinéma québécois se retrouvent à travers la figure de l’antihéros, le mettant en scène souvent, ce qui crée ainsi une distance avec les héros du cinéma dominant américain. Cependant, il serait trop facile de formuler cette seule hypothèse comme réponse finale. Évidemment, cette conception provient de ses

artisans et elle s’inscrit, comme nous avons pu le voir, dans une tradition qui perdure au fil des décennies. En étudiant et en définissant l’antihéros, nous arrivons à la conclusion qu’il représente assez bien la nation québécoise dans son rapport avec le destin inachevé de sa collectivité. C’est d’ailleurs pourquoi les spectateurs québécois s’y identifient davantage. Tout comme l’antihéros, les Québécois ne semblent pas agir sur leur destinée en tant que nation et ainsi ne contrôle pas totalement leur destin commun. Il serait intéressant d’approfondir cette avenue en s’intéressant au volet historique, sociologique et politique de la « belle province » et de son apport aux protagonistes des œuvres cinématographiques québécoises. Il ne faut pas cependant pas généraliser pour tous les Québécois, car plusieurs personnalités de la société québécoise ont réussi autant au niveau personnel que professionnel. Il est essentiel de considérer l’aspect « modèle » de ces personnalités, un élément important du héros issu du western classique. Par contre, difficile de se fier uniquement au résultat de ces acteurs de la société, afin de la différencier des antihéros. Ces « modèles » ne peuvent pas se faire juger pour leur exemplarité au quotidien contrairement à un film où les agissements des héros se déroulent sur quelques heures. Le cinéma est un art populaire s’adressant au grand public, qui peut s’identifier ou sympathiser avec des antihéros. Quand le public se lassera de ce type de protagoniste, peut-être que les artisans du cinéma québécois se tourneront vers des héros plus classiques, à l’instar de ceux créés à Hollywood. Assisterons-nous de notre vivant à la mort de l’antihéros sur nos écrans? Dans la mesure où l’antihéros se fait présent tant dans le cinéma québécois qu’au petit écran, il ne risque pas de quitter le paysage cinématographique de sitôt.

Conclusion : retour sur le projet

Je suis fier d’avoir mené ce projet à sa conclusion et tout autant d’avoir dirigé une équipe, ce qui m’a permis d’améliorer mes connaissances, particulièrement au niveau de la gestion du plateau de tournage. Aujourd’hui, je vis un énorme sentiment de fierté puisque je n’ai pas abandonné. Car même si plusieurs personnes ont participé à la partie création, je me devais d’être le chef d’orchestre, la personne ressource de tous les artisans de l’œuvre. Je n’ai pas lâché, car j’avais et j’ai toujours le même objectif, soit réaliser un long-métrage.

Après toutes les journées de tournage, après toutes les journées de rédaction, je me sentais plus près du but, mais c’est vraiment lorsque j’ai transféré le film en format DVD et que je l’ai inséré dans mon lecteur que j’ai réalisé tout le travail qui avait été accompli. J’ai passé souvent rapidement sur des génériques de films, mais je ne pourrai jamais passer par-dessus celui de St-Placide puisqu’il me permet de me remémorer toutes les personnes qui ont participé de près ou de loin à mon projet. J’essaie d’être une personne reconnaissante du mieux que je peux et je compte l’être pour toutes ces personnes qui ont pris de leur temps ou de leur argent pour m’aider à accomplir ce projet qui était cher à mes yeux. Peut-être que je pourrai les remercier en les engageant dans des projets futurs où je pourrai rémunérer les participants ou les aider dans leurs propres projets, je ne sais pas. Tout ce que je sais pour le moment, c’est que je n’aurais pas pu réalisé ce travail d’envergure seul.

Sur le plan personnel, je compte poursuivre dans le milieu du cinéma et travailler dès maintenant sur des projets de films de fiction, mais aussi des documentaires. Si ceux-ci se concrétisent, ce sera en grande partie en raison de ce mémoire. En fait, il n’y aura pas de si, car je compte évidemment me rendre jusqu’au bout du chemin que je suis depuis mon parcours universitaire. Et je ne lâcherai pas.

Bibliographie

Partie scénarisation et réalisation

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Films cités

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Séraphin (Paul Gury, Canada, 1950)

L’Homme des vallées perdues (V.F. : Shane, George Stevens, États-Unis, 1953) La prisonnière du désert (V.F.: The Searchers, John Ford, États-Unis, 1956) Mon oncle Antoine (Claude Jutra, Canada, 1971)

Les Plouffe (Gilles Carle, Canada, 1981)

Bonheur d’occasion (Claude Fournier, Canada, 1983) Le crime d’Ovide Plouffe (Denys Arcand, Canada, 1984)

Séraphin : un homme et son péché (Charles Binamé, Canada, 2002) Québec-Montréal (Ricardo Trogi, Canada, 2003)

Sur le seuil (Érick Tessier, Canada, 2006)

5150 Rue des Ormes (Érick Tessier, Canada, 2009) Les Sept jours du Talion (Podz, Canada, 2010)

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