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Solidarités et cohésion Solidarity and cohesion

3. L’ancrage idéologique des mécanismes de solidarité financière 1 L’aléa moral

En Allemagne, la position sur l’inadmissibilité de toute sorte de défaillance aux obligations, y compris les défaillances d’États, voire même l’allègement con-sensuel de leurs dettes, est enracinée dans l’éthique protestante. Cette position sévère à l’égard des débiteurs s’est trouvée renforcée par l’argument de l’aléa moral (moral hazard). Selon cet argument, cher aux économistes néolibéraux, les opérateurs dans les marchés financiers augmentent le niveau du risque qu’ils prennent, lorsqu’ils n’en supportent pas les conséquences. L’argument fut sou-vent invoqué afin d’empêcher le sauvetage de banques et les distorsions de la concurrence qui en résulteraient ; il faut, dit-on, que les banques ne soient pas incitées à prendre des risques dans l’attente qu’elles seraient secourues par la banque centrale, en cas d’imprudences ; les banques devraient au contraire être punies par les marchés pour leur conduite irresponsable.

Est-ce une argumentation transposable aux emprunts d’État ? Les clauses du TFUE interdisant le sauvetage d’États membres sont – elles aussi – fondées sur l’argument de l’aléa moral : elles visent principalement à empêcher le com-portement irresponsable des pays emprunteurs. Les marchés sont censés

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8 À noter que dans une affaire portant sur des conventions collectives de travail, la Cour s’est déclarée incompétente pour examiner la compatibilité avec le droit de l’Union de mesures en exécution de l’accord de sauvetage du Portugal ; CJUE 7.3.2013, aff. C-128/12.

9 On notera que sous l’angle du droit de l’Union, les conditionnalités imposant des privati-sations se heurtaient à la garantie des services publics (article 14 TFUE) et au principe de neutralité des traités en matière de régime de propriété (art. 345 TFUE).

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récompenser les bons élèves et punir les mauvais ; ces derniers ne peuvent que s’adapter pour réduire l’écart des taux d’intérêt avec leurs concurrents, ce qui en fin de compte conduit à une convergence des taux. D’un point de vue politique, les clauses interdisant le sauvetage des États visent à apaiser les contribuables des pays qui satisfont aux normes européennes et qui craignent de devoir payer les dettes d’autres membres de l’Union dans le cadre d’une « union des trans-ferts ». Dans le but de prévenir l’aléa moral, les membres de la zone euro avai-ent décidé d’appliquer aux prêts bilatéraux coordonnés octroyés initialemavai-ent à la Grèce des taux d’intérêt non-concessionnels, de caractère punitif, revus depuis lors à la baisse.

Par ailleurs, l’idée fondamentale derrière le MES (qui avait déjà été appliquée au renflouement de la Grèce) était de responsabiliser les créanciers privés, en sub-ordonnant tout renflouement à la prise de pertes par ces derniers, selon la for-mule du Private Sector Involvement / PSI. Suite à une négociation unique dans les annales, les créanciers privés de la Grèce représentés par le International Institute of Finance, avaient dû accepter le plus gros échange d’obligations d’État jamais enregistré, qui comportait des pertes moyennes de l’ordre de 53%

sur la valeur nominale des obligations anciennes, et de l’ordre de 75% sur leur valeur réelle. Par la suite, l’idée de faire payer les investisseurs fut appliquée en mars 2013 dans le cas chypriote, combinant le sauvetage externe (bail-out) avec le sauvetage interne (bail-in). Ce dernier comportait l’imposition de pertes aux actionnaires et créanciers des deux plus grandes banques chypriotes, à l’exception de certaines catégories de créances et des dépôts garantis. Les investisseurs concernés étaient principalement des personnes physiques et morales originaires de Russie, mais aussi des fonds de retraite chypriotes.

Désormais, la directive sur le redressement et la résolution bancaire (Bank Recovery and Resolution Directive / BRRD)10, ainsi que le règlement sur le Mécanisme de Résolution Unique (MRU)11 applicable en zone euro imposent, indépendamment de l’instrument de résolution choisi, la prise de pertes aux actionnaires et aux créanciers. Encore faut-il souligner que la résolution d’une banque par le MRU, mécanisme supranational, sera politiquement ultra-sensible et, probablement, contre-productive, car on se demandera tout suite quelle sera la prochaine à subir le même sort. De toute façon, la directive BRRD n’a pas eu l’impact escompté, dans la mesure où des banques italiennes pratiquement insolvables ont été recapitalisées par le gouvernement italien, sans prise de

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10 Directive 2014/59/UE du Parlement Européen et du Conseil.

11 Règlement (UE) 806/2014 du Parlement Européen et du Conseil « établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution uni-que et d’un Fonds de résolution bancaire uniuni-que, et modifiant le règlement (UE) 1093/2010 »

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pertes par les actionnaires et créanciers, dans le cadre d’une « recapitalisation préventive »12.

3.2 Les risques de contagion financière

L’argument fondé sur l’aléa moral se heurte au contre-argument fondé sur le risque de contagion financière. Les banques systémiquement importantes, dont une partie importante des actifs est constituée d’obligations d’États exclus des marchés financiers, bénéficieront du sauvetage de l’État surendetté, comme en témoignent les sauvetages grecs et portugais. De l’autre côté, les banques sys-témiquement importantes qui sont confrontées à des bulles immobilières seront, elles-aussi, secourues. C’est dans cet esprit qu’à la fin de 2010, la FESF et le FMI ont accepté la demande d’assistance de l’Irlande, incapable de renflouer par ses propres moyens la Banque Anglo-Irish. Il en avait été de même aux États-Unis lors de la crise des produits subprime, où l’argument too big to fail a déter-miné l’action du gouvernement américain. En zone euro, la défaillance d’un État surendetté ou d’une banque systémiquement importante présentent autant de risques de contagion financière et seront évités à tout prix.

3.3 L’atteinte aux droits des contribuables

L’argument de l’atteinte aux droits des contribuables, garantis notamment par la Constitution allemande, fut le fer de lance de la presse populiste dans ce pays, à la différence des partis politiques qui se sont montrés plus circonspects. En réalité, les sauvetages n’étaient pas susceptibles de produire les conséquences soupçonnées sur les contribuables. Encore faut-il distinguer les opérations de sauvetage : ainsi les prêts bilatéraux coordonnés octroyés initialement à la Grèce impliquaient des déboursements qui ont été inscrits dans les budgets des États créanciers concernés, à l’exception de l’Allemagne où le prêt fut accordé par l’organisme de financement du développement (KfW) et garanti par l’État. De l’autre côté, la FESF puis le MES ont réuni les capitaux nécessaires pour parti-ciper aux opérations de sauvetage en s’adressant aux marchés obligataires ; leurs prêts sont garantis par les États membres desdits mécanismes et il n’y aucune raison de penser que les États récipiendaires ne rembourseront pas leurs dettes. Ainsi, les contribuables des États garants ne sont pas directement affectés par les sauvetages, contrairement à ce qu’ont pu affirmer certains des opposants aux sauvetages. Qui plus est, la crise paraît avoir avantagé l’Allemagne, dans la mesure où elle aura obtenu des recettes importantes, notamment sur les emprunts et titres du gouvernement grec et que surtout, grâce à la crise, les taux d’intérêt des Bund considérés comme un investisse-ment refuge, auront baissé vers des niveaux jamais atteints dans le passé.

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12 Veron, N. « Precautionary Recapitalisation. Time for a Review? » Bruegel Policy Paper, July 13, 2017.

! 75! ! 4. La prévention des crises. Une solidarité « gérée » 4.1 La révision du Pacte de stabilité et de croissance

Sous pression allemande, les deux règlements mettant en œuvre le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) adoptés en 1997 et modifiés en 2005, ont dû être révisés à nouveau après le déclenchement de la crise de la dette publique.

Avec trois autres règlements et une directive, ils allaient faire partie d’un paquet législatif, connu sous le nom de six-pack. Parmi les six actes, trois règlements et une directive visent à promouvoir la discipline budgétaire13 alors que deux règlements visent à prévenir et corriger des déséquilibres macroéconomiques14. Les seconds sont les plus innovants, dans la mesure où ils imposent pour la première fois aux membres de la zone euro des obligations juridiquement contraignantes sur les aspects non-budgétaires de leur politique économique.

Lesdits actes sont entrés en vigueur en décembre 2011, auxquels se sont ajoutés deux autres règlements15 entrés en vigueur en mai 2013.

Pour ce qui est du volet correctif de la discipline budgétaire on notera, d’abord, l’obligation faite à l’État en déficit « d’améliorer chaque année d’au moins 0,5 % du PIB, à titre de référence, son solde budgétaire corrigé des variations conjonc-turelles et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires… ». On note-ra encore l’introduction de l’obligation imposée aux États membres de réduire leur dette d’un vingtième par an, afin d’arriver à la valeur de référence de 60% ; pour les États victimes de la crise de la dette publique il leur faudra, en principe,

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13 Règlement (UE) 1175/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 novembre 2011 modifiant le règlement (CE) 1466/97 du Conseil relatif au renforcement de la surveil-lance des positions budgétaires ainsi que de la surveilsurveil-lance et de la coordination des politiques économiques ; règlement (UE) 1177/2011 du Conseil du 8 novembre 2011 modifiant le règlement (CE) 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs ; règlement (UE) 1173/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la mise en œuvre efficace de la surveil-lance budgétaire dans la zone euro ; directive 2011/85/UE du Conseil du 8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres.

14 Règlement (UE) 1176/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques ; règlement (UE) 1174/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 novembre 2011 établissant des mesures d’exécution en vue de remédier aux déséquilibres macroéconomiques ex-cessifs dans la zone euro.

15 Règlements (UE) 472 et 473/2013 du Parlement Européen et du Conseil. Le premier prévoit la surveillance renforcée des États membres qui traversent ou risquent de traver-ser des difficultés économiques majeures ; ces mêmes États auront accès au soutien financier préventif du MES. Le règlement en question prévoit encore la possibilité de participation du FMI à cette surveillance.

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obtenir des excédents budgétaires primaires considérables pour se conformer à cette obligation16.

Sous l’angle de la légitimité démocratique, on ne peut manquer de constater les différences entre le volet préventif et le volet correctif de la discipline budgétaire.

Le volet préventif, axé sur le « semestre européen », implique la participation aussi bien des institutions européennes que des parlements nationaux dans le processus décisionnel. En revanche, le volet correctif repose sur les pouvoirs de la Commission. Elle peut notamment décider elle-même de l’imposition de sanc-tions en cas de dérives budgétaires, sous réserve d’une décision contraire du Conseil dans un délai de 10 jours.

La plupart des États de la zone euro ont reçu des recommandations de la Com-mission pour l’assainissement de leurs finances publiques. Or, même sous le nouveau régime de correction des déficits, la Commission n’a pas franchi le cap consistant à imposer des sanctions aux États qui persistent à ignorer ses re-commandations. Parmi ces derniers figuraient la France et l’Espagne. Entre-temps l’Espagne, qui connaît un développement remarquable depuis la fin de la crise, a pu se conformer aux règles sur le déficit public. On peut voir dans l’inaction de la Commission la confirmation de la prééminence des États, ou du moins des grands États membres, face à une institution dotée d’une légi-timité démocratique qui demeure limitée (en dépit de son renforcement à la suite de l’élection de son président par le Parlement Européen). Une autre lecture voudrait cependant que, grâce aux pressions et encouragements de la Commis-sion, le déficit public moyen des membres de la zone euro soit tombé à environ 1,5% du PIB en 2016.

4.2 Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro

Outre la révision du PSC, les membres de la zone euro et les États non-membres, à l’exception du Royaume-Uni et de la République Tchèque, ont con-clu, hors du cadre des traités fondateurs, le Traité sur la Stabilité, la Coordinati-on et la Gouvernance de la zCoordinati-one euro (TSCG). Il introduisait dans sCoordinati-on chapitre sur le Pacte budgétaire une « règle d’or » selon laquelle la situation budgétaire des administrations publiques d'une partie contractante devait être « en équilibre ou en excédent » ; tel serait le cas « si le solde structurel annuel des administra-tions publiques correspond à l'objectif à moyen terme spécifique à chaque pays, tel que défini dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, avec une limite

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16 Ainsi, à la réunion de l’Eurogroupe du 15 juin 2017, il fut décidé que la Grèce, qui a obtenu un excédent budgétaire primaire de 4,2% du PIB en 2016, devra obtenir des excédents primaires de 3,5% jusqu’en 2022 et de 2% jusqu’à l’année 2060 ! Ces excédents, combinés avec des améliorations dans les délais de remboursement et les taux d’intérêt – qui seraient décidés à la fin du programme, en été 2018 – rendraient sa dette soutenable.

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inférieure de déficit structurel de 0,5 % du produit intérieur brut… » (art. 3).

L’ajustement passait par l'établissement, pour chaque partie contractante, d'ob-jectifs à moyen terme spécifiques à chacune et de calendriers de convergence, conformément au Pacte de Stabilité et de Croissance. Ce qui était cependant nouveau c’était, à nos yeux, l’introduction de deux principes : le premier, celui de l’appropriation (ou ownership) des programmes de correction des déficits, selon lequel les parties contractantes étaient tenues de mettre en place, au niveau national, un mécanisme de correction respectueux des prérogatives des parle-ments nationaux ; et le deuxième, celui du partenariat, selon lequel la partie contractante qui faisait l'objet d'une procédure concernant les déficits excessifs devait mettre en place « un programme de partenariat budgétaire et économique comportant une description détaillée des réformes structurelles à établir et à mettre en œuvre pour assurer une correction effective et durable de son déficit excessif » (art. 5 par. 1). À cet égard on notera que la Commission, dans son document de réflexion sur l’approfondissement de l’UEM, élaboré dans le sillage du Livre blanc sur l’avenir de l’Europe, a avancé l’idée de créer des incitations au soutien des réformes structurelles17. Ce type de gouvernance « par incitati-ons » pourrait s’avérer plus efficace que le cadre réglementaire actuel.