• Aucun résultat trouvé

Pourtant, l’analyse que nous proposons de livrer tend à remettre en question ces deux hypothèses

Dans le document La responsabilité juridictionnelle (Page 41-44)

Chapitre 1

er

: L’autorité de l’acte juridictionnel

34. Par définition, « l’acte juridictionnel, c’est un acte qui émane d’un organe

judiciaire, qui est rendu selon les formes d’une procédure, et qui tranche une prétention

concernant une situation juridique par application d’une règle de droit »

125

. Deux critères

semblent dès lors devoir s’appliquer dans le cadre de sa détermination.

En premier lieu, on retient à son encontre un critère formel. De ce point de vue, on s’attache à

la qualité de l’organe

126

- c’est-à-dire de celui, qui, investi du pouvoir de juger

127

, dit le

droit

128

- dont émane l’acte, à sa forme et à la procédure selon lesquelles il a été pris. En ce

sens, serait juridictionnel l’acte émanant d’une juridiction, statuant suivant les règles d’équité

et d’impartialité.

En second lieu, et selon un point de vue matériel, l’on « peut définir l’acte juridictionnel […]

comme une démarche intellectuelle consistant à s’interroger sur la violation alléguée d’une

règle juridique en confrontant ce qui est effectivement et ce qui, d’après le droit existant,

devrait être, ceci pour tirer de cette constatation des conséquences très diverses selon les

hypothèses : condamnation à une peine, allocation de dommages et intérêts, annulation d’un

texte administratif »

129

. Ici, on s’intéresse au fait que l’acte juridictionnel tend à départager

une contestation. A contrario ne seront pas qualifiées de la sorte les décisions par lesquelles

le juge se contente de veiller à une bonne administration de la justice

130

ou celles au moyen

desquelles il intervient alors qu’aucune contestation n’est en réalité soulevée

131

.

125

H. Motulsky, cité par S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chanais, Procédure civile, Dalloz, 2009, p. 102.

126

« Un criterium formel est celui qui sert à déterminer la nature d’un acte d’après le caractère de l’organe

ou de l’agent qui le fait », L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, 3

ème

éd., II, p. 445, cité par R. Guillien,

L’acte juridictionnel et l’autorité de la chose jugée, Thèse, Bordeaux, 1931, p. 221.

127

« Il n’y a d’acte juridictionnel que lorsque l’agent intervient pour résoudre une question de droit. Afin

de savoir si l’acte considéré est ou non un acte juridictionnel, il fau rechercher si l’agent public est intervenu ou

non pour résoudre une question de droit », (L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, 3

ème

éd., II, p. 424, cité par

R. Guillien, L’acte juridictionnel et l’autorité de la chose jugée, ibid., p. 26).

128

En ce sens, l’on notera avec M. Guillien « que l’acte juridictionnel est composé de trois parties, que l’on

peut, en bloc, qualifier ainsi : le fait, la loi, la conclusion sur la violation de la loi. Cette constitution tripartite,

aperçue depuis fort longtemps, a fait dire de l’acte juridictionnel qu’il se réduisait à un syllogisme : la majeure

serait la règle de droit, la mineure, la constatation de l’espèce concrète, la conclusion, la réponse donnée par le

juge » (R. Guillien, L’acte juridictionnel et l’autorité de la chose jugée, ibid., p. 145).

129

J. Vincent, S. Guinchard, G. Montagnier, A. Varinard, Institutions judiciaires, op. cit. note n° 29.

130

On nomme cette catégorie, les actes d’administration judiciaire. D’une part, il s’agit de ceux visant au

correct fonctionnement de la juridiction (désignation des magistrats appelés à siéger, règlement, rôle et police

des audiences). D’autre part, l’on retient également ceux ayant vocation à permettre un correct déroulement de

l’instance (par exemple : article 368 CPC : « Les décisions de jonction ou disjonction d'instances sont des

mesures d'administration judiciaire »). A contrario, l’acte susceptible d’affecter les droits et obligations d’une

35. L’acte juridictionnel est donc celui par lequel le juge dit le droit et tranche les

litiges

132

. Toutefois, si le principe de l’autorité de la chose jugée semble, de prime abord, le

doter d’une véritable immunité, elle reste à relativiser d’un point de vue tant théorique

(Section 1), que pratique (Section 2).

Section 1 : Appréciation critique de l’objection tirée de l’autorité de la chose jugée

36. Doté de l’autorité de la chose jugée (Paragraphe 1), l’acte juridictionnel

bénéficie d’une présomption de vérité légale, et ne saurait être critiqué en dehors de l’exercice

des voies de recours prévues à cet effet. En cela, envisager une responsabilité juridictionnelle

serait défendue. Pourtant, si cette qualité conduit à doter l’acte juridictionnel d’une certaine

portée, son principe ne contrarierait aucunement l’émergence d’une responsabilité

juridictionnelle en ce qu’en réalité, ni son objet, ni ses conditions ne tendent à la remettre en

cause (Paragraphe 2).

§ 1 : Du bénéfice de l’autorité de la chose jugée pour la fonction juridictionnelle

37. L’autorité de la chose jugée tend à garantir une certaine stabilité juridique. Il

s’agit, par son biais, d’éviter que les litiges ne se renouvellent indéfiniment

133

. « Nul besoin

n’est d’aller en rechercher ailleurs la justification et le fondement »

134

. En considérant que ce

qui a été jugé devient intangible, l’autorité de la chose jugée permet d’accorder – sous

certaines conditions (A) – le bénéfice d’une vérité présumée à l’acte juridictionnel (B).

partie ne peut être considérée comme une mesure d’administration judiciaire (Cass. soc. 24 mai 1995, Bull. n°

168 ; RTD civ. 1995, p. 958, obs. R. Perrot).

131

Il s’agit de la catégorie dite des décisions gracieuses. Or bien que le bénéfice de l’autorité de la chose

jugée semble devoir échapper à cette dernière catégorie d’actes - à l’occasion desquels, le juge ne semble exercer

« aucun contrôle de légalité » ( S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chanais, Procédure civile, op. cit. note n° 125) -

certains auteurs estiment que même si le juge n’est effectivement pas appelé à trancher un litige, il se livre à un

contrôle néanmoins certain, lequel le conduit in fine à juger le cas soumis à ses lumières (Voir en ce sens : P.

Hébraud, RTD civ. 1957, p. 559). Toutefois, l’on admettra que « l’unité théorique de l’acte juridictionnel repose

sur la cohérence de la fonction juridictionnelle, et se prolonge en une certaine diversité pratique, entre actes

gracieux et actes contentieux » (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chanais, Procédure civile, ibid., p. 101).

132

Voir notamment : D. d’Ambra, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les

litiges, LGDJ, 1994.

133

F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 6

ème

éd., 2003, p. 561.

134

J. Foyer, De l’autorité de la chose jugée en matière civile. Essai d’une définition, thèse Paris, 1954, p.

325, cité par : C. Bouty, L’irrévocabilité de la chose jugée en droit privé, PUAM, 2008, p. 21.

A. Les conditions tenant à l’application de l’autorité de la chose jugée

38. « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du

jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la

même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles

en la même qualité »

135

. Aussi celle-ci ne pourra-t-elle s’appliquer qu’au regard de la triple

condition de l’identité des parties

136

, de l’objet

137

et de la cause. A contrario, la fin de

non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée ne pourra être utilement invoquée. C’est en cela

que le bénéfice de l’autorité de la chose jugée oblige le juge à se livrer à une délicate

comparaison (1), laquelle semble – au demeurant – remise en question par la nouvelle

acception accordée à la notion de cause (2).

1) La comparaison induite par le principe de l’autorité de la chose jugée

39. La question de la triple identité imposée par les dispositions de l’article 1351

du code civil induit un rapport comparatif.

De prime abord, on serait enclin à l’envisager comme la mise en perspective des deux

demandes litigieuses. En réalité, il s’agit de la confrontation entre le résultat d’une première

action, la décision alors rendue, à une nouvelle demande. Cette approche est celle défendue

par Motulsky, selon lequel : « une décision litigieuse ne saurait être à nouveau élevée devant

un juge si celle-ci, après avoir été contradictoirement débattue, a été véritablement tranchée

dans une précédente décision »

138

. En ce sens, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à

l’égard de ce qui a été spécialement contesté et effectivement tranché par le juge

139

. La

vérification consiste à s’assurer que la nouvelle action ne puisse aboutir à une remise en cause

de la réponse apportée en première instance, celle-ci étant reçue comme « vraie ». La

135

Dans le document La responsabilité juridictionnelle (Page 41-44)