Chapitre 1
er: L’autorité de l’acte juridictionnel
34. Par définition, « l’acte juridictionnel, c’est un acte qui émane d’un organe
judiciaire, qui est rendu selon les formes d’une procédure, et qui tranche une prétention
concernant une situation juridique par application d’une règle de droit »
125. Deux critères
semblent dès lors devoir s’appliquer dans le cadre de sa détermination.
En premier lieu, on retient à son encontre un critère formel. De ce point de vue, on s’attache à
la qualité de l’organe
126- c’est-à-dire de celui, qui, investi du pouvoir de juger
127, dit le
droit
128- dont émane l’acte, à sa forme et à la procédure selon lesquelles il a été pris. En ce
sens, serait juridictionnel l’acte émanant d’une juridiction, statuant suivant les règles d’équité
et d’impartialité.
En second lieu, et selon un point de vue matériel, l’on « peut définir l’acte juridictionnel […]
comme une démarche intellectuelle consistant à s’interroger sur la violation alléguée d’une
règle juridique en confrontant ce qui est effectivement et ce qui, d’après le droit existant,
devrait être, ceci pour tirer de cette constatation des conséquences très diverses selon les
hypothèses : condamnation à une peine, allocation de dommages et intérêts, annulation d’un
texte administratif »
129. Ici, on s’intéresse au fait que l’acte juridictionnel tend à départager
une contestation. A contrario ne seront pas qualifiées de la sorte les décisions par lesquelles
le juge se contente de veiller à une bonne administration de la justice
130ou celles au moyen
desquelles il intervient alors qu’aucune contestation n’est en réalité soulevée
131.
125
H. Motulsky, cité par S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chanais, Procédure civile, Dalloz, 2009, p. 102.
126
« Un criterium formel est celui qui sert à déterminer la nature d’un acte d’après le caractère de l’organe
ou de l’agent qui le fait », L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, 3
èmeéd., II, p. 445, cité par R. Guillien,
L’acte juridictionnel et l’autorité de la chose jugée, Thèse, Bordeaux, 1931, p. 221.
127
« Il n’y a d’acte juridictionnel que lorsque l’agent intervient pour résoudre une question de droit. Afin
de savoir si l’acte considéré est ou non un acte juridictionnel, il fau rechercher si l’agent public est intervenu ou
non pour résoudre une question de droit », (L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, 3
èmeéd., II, p. 424, cité par
R. Guillien, L’acte juridictionnel et l’autorité de la chose jugée, ibid., p. 26).
128
En ce sens, l’on notera avec M. Guillien « que l’acte juridictionnel est composé de trois parties, que l’on
peut, en bloc, qualifier ainsi : le fait, la loi, la conclusion sur la violation de la loi. Cette constitution tripartite,
aperçue depuis fort longtemps, a fait dire de l’acte juridictionnel qu’il se réduisait à un syllogisme : la majeure
serait la règle de droit, la mineure, la constatation de l’espèce concrète, la conclusion, la réponse donnée par le
juge » (R. Guillien, L’acte juridictionnel et l’autorité de la chose jugée, ibid., p. 145).
129
J. Vincent, S. Guinchard, G. Montagnier, A. Varinard, Institutions judiciaires, op. cit. note n° 29.
130
On nomme cette catégorie, les actes d’administration judiciaire. D’une part, il s’agit de ceux visant au
correct fonctionnement de la juridiction (désignation des magistrats appelés à siéger, règlement, rôle et police
des audiences). D’autre part, l’on retient également ceux ayant vocation à permettre un correct déroulement de
l’instance (par exemple : article 368 CPC : « Les décisions de jonction ou disjonction d'instances sont des
mesures d'administration judiciaire »). A contrario, l’acte susceptible d’affecter les droits et obligations d’une
35. L’acte juridictionnel est donc celui par lequel le juge dit le droit et tranche les
litiges
132. Toutefois, si le principe de l’autorité de la chose jugée semble, de prime abord, le
doter d’une véritable immunité, elle reste à relativiser d’un point de vue tant théorique
(Section 1), que pratique (Section 2).
Section 1 : Appréciation critique de l’objection tirée de l’autorité de la chose jugée
36. Doté de l’autorité de la chose jugée (Paragraphe 1), l’acte juridictionnel
bénéficie d’une présomption de vérité légale, et ne saurait être critiqué en dehors de l’exercice
des voies de recours prévues à cet effet. En cela, envisager une responsabilité juridictionnelle
serait défendue. Pourtant, si cette qualité conduit à doter l’acte juridictionnel d’une certaine
portée, son principe ne contrarierait aucunement l’émergence d’une responsabilité
juridictionnelle en ce qu’en réalité, ni son objet, ni ses conditions ne tendent à la remettre en
cause (Paragraphe 2).
§ 1 : Du bénéfice de l’autorité de la chose jugée pour la fonction juridictionnelle
37. L’autorité de la chose jugée tend à garantir une certaine stabilité juridique. Il
s’agit, par son biais, d’éviter que les litiges ne se renouvellent indéfiniment
133. « Nul besoin
n’est d’aller en rechercher ailleurs la justification et le fondement »
134. En considérant que ce
qui a été jugé devient intangible, l’autorité de la chose jugée permet d’accorder – sous
certaines conditions (A) – le bénéfice d’une vérité présumée à l’acte juridictionnel (B).
partie ne peut être considérée comme une mesure d’administration judiciaire (Cass. soc. 24 mai 1995, Bull. n°
168 ; RTD civ. 1995, p. 958, obs. R. Perrot).
131
Il s’agit de la catégorie dite des décisions gracieuses. Or bien que le bénéfice de l’autorité de la chose
jugée semble devoir échapper à cette dernière catégorie d’actes - à l’occasion desquels, le juge ne semble exercer
« aucun contrôle de légalité » ( S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chanais, Procédure civile, op. cit. note n° 125) -
certains auteurs estiment que même si le juge n’est effectivement pas appelé à trancher un litige, il se livre à un
contrôle néanmoins certain, lequel le conduit in fine à juger le cas soumis à ses lumières (Voir en ce sens : P.
Hébraud, RTD civ. 1957, p. 559). Toutefois, l’on admettra que « l’unité théorique de l’acte juridictionnel repose
sur la cohérence de la fonction juridictionnelle, et se prolonge en une certaine diversité pratique, entre actes
gracieux et actes contentieux » (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chanais, Procédure civile, ibid., p. 101).
132
Voir notamment : D. d’Ambra, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les
litiges, LGDJ, 1994.
133
F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 6
èmeéd., 2003, p. 561.
134
J. Foyer, De l’autorité de la chose jugée en matière civile. Essai d’une définition, thèse Paris, 1954, p.
325, cité par : C. Bouty, L’irrévocabilité de la chose jugée en droit privé, PUAM, 2008, p. 21.
A. Les conditions tenant à l’application de l’autorité de la chose jugée
38. « L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du
jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la
même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles
en la même qualité »
135. Aussi celle-ci ne pourra-t-elle s’appliquer qu’au regard de la triple
condition de l’identité des parties
136, de l’objet
137et de la cause. A contrario, la fin de
non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée ne pourra être utilement invoquée. C’est en cela
que le bénéfice de l’autorité de la chose jugée oblige le juge à se livrer à une délicate
comparaison (1), laquelle semble – au demeurant – remise en question par la nouvelle
acception accordée à la notion de cause (2).
1) La comparaison induite par le principe de l’autorité de la chose jugée
39. La question de la triple identité imposée par les dispositions de l’article 1351
du code civil induit un rapport comparatif.
De prime abord, on serait enclin à l’envisager comme la mise en perspective des deux
demandes litigieuses. En réalité, il s’agit de la confrontation entre le résultat d’une première
action, la décision alors rendue, à une nouvelle demande. Cette approche est celle défendue
par Motulsky, selon lequel : « une décision litigieuse ne saurait être à nouveau élevée devant
un juge si celle-ci, après avoir été contradictoirement débattue, a été véritablement tranchée
dans une précédente décision »
138. En ce sens, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à
l’égard de ce qui a été spécialement contesté et effectivement tranché par le juge
139. La
vérification consiste à s’assurer que la nouvelle action ne puisse aboutir à une remise en cause
de la réponse apportée en première instance, celle-ci étant reçue comme « vraie ». La
135
Dans le document
La responsabilité juridictionnelle
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