parties [et] n’étant pas directement applicable en droit interne »
530- elle a néanmoins laissé
entendre, dans un second temps, que certaines d’entre elles pourraient être directement
applicables
531; pour, enfin, admettre et promouvoir, lors d’un véritable arrêt de principe,
l’invocabilité directe de certaines dispositions de la Convention de New York
532, lesquelles
étaient par ailleurs déjà reprises par le code civil
533. La Cour aurait donc pu se contenter de
s’y référer, mais elle a profité de cette opportunité pour afficher sa volonté de, dorénavant,
admettre l’applicabilité de certaines dispositions de la Convention
534. En ce sens, elle a rejoint
la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui, de façon constante, opère une distinction entre les
dispositions de self executing et celles dépourvues d’effet direct
535.
190. Ainsi l’un des enjeux de la jurisprudence consiste-t-il à faire vivre le droit. S’il
est certain qu’assurer une stabilité jurisprudentielle doit guider les juridictions, il ne s’agit pas
pour autant de figer le droit. La question du revirement fait naître une apparente contradiction
avec le double objectif de la jurisprudence : s’inscrire dans la continuité mais s’adapter au
contexte, lequel est appelé – par essence – à évoluer.
530
Cass. civ. 1
ère10 mars 1993, Bull. n° 103. Confirmé par Cass. civ. 1
ère2 juin 1993, Bull. n° 195 ; Cass.
civ. 1
ère15 juillet 1993, Bull. n° 259 ; Cass. soc. 13 juillet 1994, Bull. n° 236 ; Cass. crim. 18 juin 1997, Bull. n°
244 ; Cass. crim. 14 octobre 1998, n° 97-83877
531
Cass. civ. 2
ème7 février 1996, n° 93-12.239 ; Cass. crim. 16 juin 1999, n° 98-84.538 ;Cass. civ. 1
ère18
avril 2000, Bull. n° 112 ; Cass. civ. 2
ème11 janvier 2001, Bull. n° 2 ; Cass. civ. 2
ème4 juillet 2002, n° 00-16.526.
532
Cass. civ. 1
ère18 mai 2005, Bull. n° 212 et n° 211. On notera toutefois que la Chambre criminelle de la
Cour de cassation avait, dès un arrêt du 5 septembre 2001, n° 00-84.429, reconnu l’ « effet direct » de l’article
3-1 de la Convention de New York.
533
Article 12 de la Convention de New York, lequel énonce : « 1. Les Etats parties garantissent à l’enfant
qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les
opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. A
cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou
administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme
approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale ».
Article 388-1 C. civ. : « Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans
préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque
son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. Cette audition est de droit lorsque le
mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d'être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il
peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n'apparaît pas conforme à
l'intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d'une autre personne. L'audition du mineur ne lui
confère pas la qualité de partie à la procédure. Le juge s'assure que le mineur a été informé de son droit à être
entendu et à être assisté par un avocat ».
534
Cass. civ. 1
ère, 13 juillet 2005, Bull. n° 334 ; Cass. civ. 1
ère, 8 novembre 2005, Bull. n° 404. ;Cass. civ. 7
avril 2006, Bull. n° 195 ; Cass. civ. 1
ère, 13 mars 2007, Bull. n° 103 ; Cass. civ. 1
ère, 13 mars 2007, n° 06-12.655 ;
Cass. civ. 19 septembre 2007, Bull. n° 286 ; Cass. civ. 1
ère, 27 mars 2007, n° 07-14.301 ; Cass. civ. 1
ère, 25
février 2009, n° 08-18.126 ; Cass. civ. 1
ère, 25 février 2009, Bull. n° 41 ; Cass. civ. 1
ère, 17 juin 2009, n°
08-16.861 ;Cass. civ. 1
ère, 8 juillet 2009, n° 08-18.334.
535
CE, 22 septembre 1997, Mlle Cinar, concl. R. Abraham, RFDA 1998, p. 562. Pour un exemple récent
voir : CE, 4 septembre 2009, req. n° 311166.
Or, grâce à la liberté dans l’interprétation, ce n’est pas le texte qui change mais le sens à lui
donner, au regard du contexte sociétal. L’évolution des mœurs constitue un des facteurs
d’évolution jurisprudentielle par lequel le juge est habilité à différemment interpréter un texte,
afin d’édicter une nouvelle norme. Paradoxalement, c’est bien la liberté de l’interprète qui
assurera la continuité du droit et la sécurité juridique. A travers le revirement, et alors même
qu’il s’agira toujours du même texte, la règle aura vocation à évoluer. L’interprétation que le
juge livre n’est donc pas forcément le fruit de l’intention de l’auteur. En réalité, le juge se
libère - à travers le revirement - de la volonté originelle de l’auteur du texte pour exprimer
celle qui s’impose, pas uniquement du fait de son interprétation, mais aussi au regard des
circonstances attachées au litige.
191. « Très vif »
536, « éclatant »
537voire « exalté »
538le pouvoir créateur du juge
existe indéniablement et s’inscrit naturellement au sein de son office. Mais si sa liberté est
avérée, elle ne saurait être absolue, car « le juge doit s’intégrer dans une histoire continue,
respecter la cohérence de l’histoire déjà commencée, tout en bénéficiant d’une liberté
créatrice qui l’amène à produire une décision lui paraissant présenter l’histoire de la
communauté juridique sous son meilleur jour possible »
539. C’est également au regard de sa
capacité à faire perdurer une norme issue de la jurisprudence que son pouvoir se révèle. La
Cour de cassation est ainsi investie d’une mission d’unification du droit et du contrôle de sa
correcte application – interprétation – par les juridictions inférieures. Elle s’assure de
l’harmonisation et de la continuité de la jurisprudence afin de garantir une certaine sécurité
juridique aux justiciables.
192. L’indépendance de la justice s’entend ainsi comme le moyen – pour le juge –
d’être suffisamment libre dans son office pour sereinement et objectivement dire le droit et
trancher les litiges. Or, « chacun sait que la responsabilité est la contrepartie légitime et
désirable de la liberté »
540. En ce sens, c’est bien l’indépendance de la justice qui fonde la
responsabilité juridictionnelle. En effet, l’indépendance-liberté du juge apparaît comme une
vertu, « garantie de la réussite de sa mission mais elle lui crée une exigence supplémentaire de
536
CE, 22 septembre 1997, Mlle Cinar, concl. R. Abraham, op. cit. note n° 535, p. 604.
537
Ibid.
538
Ibid., p. 605.
539
J. Lenoble, La crise du juge, LGDJ, 1990, p. 153.
responsabilité : il n’y a pas d’indépendance sans limites, il n’y a pas d’autorité sans rendre des
comptes »
541.
541
J.-P. Delevoye, « Seul le prononcé fait foi » in ENM, Etre magistrat dans la cité, entre attentes
légitimes et tentations démagogiques, Les cahiers de la justice, 2007, n° 2, p. 126.
Chapitre 2
nd: L’autorité de la justice
193. La justice apparaît comme une prérogative régalienne. Or, le principe selon
lequel le souverain ne saurait mal faire a induit une véritable exclusion de sa responsabilité.
Pour Laferrière, « si l’on cherche à se rendre compte des différences que présente la
responsabilité de l’Etat selon les diverses fonctions qu’il est appelé à remplir, on voit que sa
responsabilité est d’autant plus restreinte que cette fonction est plus élevée. La responsabilité
de l’Etat est nulle quand cette fonction confine à la souveraineté »
542. Aussi, et au risque de
contrarier la présomption de légalité attachée à son action, la responsabilité juridictionnelle ne
saurait-elle être envisagée.
En considérant la justice comme faillible, c’est l’autorité même du pouvoir qui deviendrait
sujette à caution. Reconnaître la responsabilité de la justice, qu’elle puisse « mal faire » aurait
été la manifestation de sa vulnérabilité, et au-delà d’une certaine fragilité du pouvoir.
194. Pourtant, il semblerait que la justice tire précisément son autorité non pas de
son irresponsabilité mais des prérogatives qui lui sont reconnues (Section 1), lesquelles
fondent une légitimité facteur d’autorité (Section 2).
Section 1 : Une autorité résultant des prérogatives du juge
195. « Il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »
543.
Chacune des puissances envisagées à l’occasion de la théorie de la séparation des pouvoirs
doit se décliner en contre-pouvoir. Ainsi chacun d’entre eux tire-t-il – notamment – son
autorité des prérogatives qui lui sont reconnues, lesquelles l’érige sous ses deux déclinaisons
de pouvoir et contre-pouvoir. En ce sens, confier à l’autorité judiciaire la protection des droits
individuels (Paragraphe 1) tout lui accordant un véritable pouvoir de sanction législative
(Paragraphe 2) confère précisément au juge son autorité.
542
J. Laferrière, Traité de juridiction administrative et des recours contentieux, t. 2, LGDJ 1989, p. 174.
543
Montesquieu, L’esprit des lois, livre XI, chap. IV, « Des lois qui forment la liberté politique, dans son
rapport avec la constitution ».
Dans le document
La responsabilité juridictionnelle
(Page 125-129)