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CHAPITRE I : Synthèse bibliographique

6. Techniques d’analyse

6.3. L’analyse des précurseurs par oxydation au persulfate : méthode TOP

Une des problématiques majeures associée à la caractérisation de la contamination en PFAS demeure la représentativité des molécules analysées par rapport à la totalité des PFAS émis dans l’environnement. Il existerait plusieurs milliers de substances apparentées aux PFAS et seulement quelques dizaines sont analysées en raison du manque de connaissances des structures, de la disponibilité des étalons analytiques et de la nécessité de développer des méthodes analytiques propres à chacune des classes et adaptées à l’analyse environnementale (Eriksson et al., 2017a). En alternative à l’analyse ciblée, des méthodes plus largement spécifique aux molécules fluorées ont été développées pour évaluer par exemple la représentativité des PFAS analysés par rapport au fluor total (comprenant le fluor inorganique et organique) ou au fluor organique extractible (Miyake et al., 2007). Le fluor total peut être analysé à l’aide de méthodes de combustion, d’électrodes sélectives d’ions ou de chromatographie ionique. La distinction entre le fluor organique et le fluor inorganique relève de la préparation de l’échantillon en utilisant une procédure de fractionnement. Jusqu’au début des années 2000, les techniques par chromatographie ionique conventionnelle n’étaient pas suffisamment sensibles pour la quantification du fluor total dans la plupart des échantillons environnementaux (ppm, ppb). Miyake et al. (2007) proposent alors une méthode utilisant un couplage CIC (pour Combustion Ionic Chromatography) pour analyser le fluor total (FT), inorganique (FI) et organique extractible (FOE) à des niveaux inférieurs au µg.L-1 dans des échantillons d’eau de mer (Miyake et al., 2007). Le FT et le FI étaient analysés sur échantillon brut, le premier en CIC et le deuxième en chromatographie ionique. Afin de séparer la fraction organique, les eaux ont été extraites sur phase solide (Waters X-AW) et l’extrait a été subdivisé en deux aliquotes, la première étant analysée en CIC pour le FOE et la seconde en LC-MS/MS pour déterminer le niveau de PFAS analysés en routine. Cette approche a permis de montrer que dans leur 4 échantillons d’eaux côtières (dont 2 impactés par des activités industrielles), le fluor inorganique est largement majoritaire (> 99,8 %), et

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surtout que seulement 1 à 36 % du fluor organique s’explique par la présence de PFAS analysés en routine (Figure 20). Il est à noter que la méthode d’extraction employée dans cette procédure ne garantit pas la récupération de toute la fraction organique, c’est pourquoi le terme de « fraction organique extractible » est employé. L’extraction sur phase échangeuse d’anions avec une élution à l’eau (solvant polaire) telle qu’elle a été développée dans cette étude ne permettait pas la récupération totale de certains PFAS analysés par LC-MS/MS. Les rendements d’extraction des PFCA à chaîne longue et de composés neutres tels que le N-EtFOSA étaient d’environ 80 %.

Figure 20 : Concentration en fluor inorganique (IF), fluor organique extractible (FOE) et la somme de 23 PFAS analysés en routine (PFAS identifiés) dans des échantillons d’eaux côtières du Japon (deux sites de référence et 2 sites impactés par des activités industrielles). Adapté de

Miyake et al, 2007

En 2012, Houtz et al. (2012) propose une méthode plus spécifique pour la quantification des concentrations en précurseurs de PFAA (pré-PFAA) non identifiés dans des eaux de ruissellement urbain (Houtz et Sedlak, 2012). Leur approche, appelée méthode TOP, consiste à convertir, par oxydation avec le radical hydroxyle (OH˙), tous les pré-PFAA présents dans les échantillons en acides carboxyliques perfluoroalkylés (PFCA) (classiquement analysés). Pour ce faire, l’échantillon est supplémenté de persulfate de potassium (S2O82-). En condition basique (pH = 12) et avec apport d’énergie thermique, la thermolyse du persulfate génère des radicaux :

S2O82- + heat→ 2SO4-.

SO4-. + OH-→ SO42- + OH.

Les conditions optimales d’oxydation ont été déterminées pour quelques pré-PFAA (EtFOSAA, N-MeFOSAA, FOSA, 6:2 et 8:2 FTSA et 6:2 et 8:2 diPAP) à 60 mM de persulfate et 150 mM de NaOH. Les profils d’oxydation étaient variables en fonction du pré-PFAA : l’oxydation des dérivées sulfonamides (N-EtFOSAA, N-MeFOSAA et FOSA) génère la formation d’un seul PFCA de même longueur de chaîne perfluoroalkylée (PFOA) ; l’oxydation des n:2 fluorotélomères conduit à une série de PFCA comprenant n, n-1, n-2 (etc) atomes de carbone perfluorés. Bien qu’on perde une partie de l’information sur la

1 10 100 1000 10000 100000 1000000 Site de référence 1 Site de référence 2 Site contaminé 1 Site contaminé 2 Concentration en ngF.L-1

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structure, cette méthode donne une idée de la longueur de la chaîne perfluoroalkylée des pré-PFAA. La concentration molaire totale en précurseurs est déterminée à l’aide de la concentration en PFCA après oxydation et avant oxydation ce qui implique de doubler l’analyse de l’échantillon.

Bien que d’autres techniques aient été proposées pour évaluer l’oxydation de précurseurs de PFAS (UV/H2O2, réaction de Fenton), cette approche est simple, efficace (conversion totale), ne requiert pas d’équipement spécifique et a un impact minimal sur l’analyse qui suit. En effet, l’échantillon n’est pas détruit (bien que modifié) après la procédure d’oxydation, ce qui permet d’appliquer le protocole d’extraction spécifique au PFAS. Par rapport à l’analyse du fluor total ou du fluor organique total, elle apporte des informations supplémentaires comme sur le type de structures possibles (longueur de chaîne) et donne une estimation des quantités en PFCA potentiellement émises indirectement. Ainsi, les auteurs ont montré qu’après oxydation, les concentrations totales en C5-C12 PFCA augmentaient de 2,8 à 56 ng.L-1 dans les eaux de ruissellements urbains ce qui correspondait à une augmentation médiane de 69 % par rapport aux concentrations initiales (Figure 21). Pour le PFOA par exemple, l’augmentation médiane de 2,3 ng.L-1 ne pouvait être expliquée qu’à hauteur de 23 % par les précurseurs identifiés en LC-MS/MS (ex. FOSA ou N-MeFOSAA).

Figure 21 : concentrations médianes des PFCA dans des eaux souterraines et eaux de ruissellement urbain avant et après oxydation (n = nombre d’échantillons). Adapté de Houtz et al,. 2012 et 2013.

Cette approche semble donc prometteuse dans le cas d’étude sur les sources et la caractérisation de la contamination environnementale en PFAS. A ce jour, elle a été appliquée sur des sols et eaux souterraines contaminées suite au déversement de mousses anti-incendie type AFFF (Houtz et al., 2013), à des effluents de STEU et eaux de rivière. Chacune de ces études révélait l’importance de la contribution des substances non identifiés (Ye et al., 2014 ; Houtz et al., 2016 ; Dauchy et al., 2017). Par exemple, 33 à 63 % de la quantité totale en PFAS en sortie des STEU de la Baie de San Francisco seraient un mélange de précurseurs de PFAA non analysés en routine (Houtz et al., 2016). La présence

0 20 40 60 80 100 120 Avant Ox Après Ox Avant Ox Après Ox Eau x d e ru is se lle m e n ts (n = 33) Eau x so u te rr ai n es (n = 26) Concentrations en ng/L

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de pré-PFAA inconnus dans des eaux de rivière suggère une exposition des organismes à ces substances (Ye et al., 2014). Or à ce jour, la méthode n’a pas été appliquée à des échantillons de biote.

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OBJECTIFS

L’objectif global de cette thèse était d’étudier l’écodynamique des PFAS dans les systèmes aquatiques continentaux lotiques depuis leur origine en milieu urbain, leurs rejets vers les rivières, jusqu’à l’exposition des organismes.

L’évaluation de la présence de contaminants au niveau ultra-traces tels que les PFAS, de leurs origines et leur devenir dans l’environnement implique l’utilisation de techniques d’analyse sensibles pour de nombreuses matrices plus ou moins complexes. Sur cet aspect, ces travaux de thèse ont pu bénéficier de bases solides grâce aux travaux menés par l’équipe LPTC de l’UMR EPOC depuis 2011. Au cours de son doctorat, Gabriel Munoz (Munoz, 2015) est venu compléter les efforts menés par l’optimisation de méthodes d’extraction et d’analyse des PFAS dans des matrices biologiques. Néanmoins, les résultats d’occurrence dans les eaux de surface en France montraient, à travers des fréquences de détection souvent inférieures à 70 %, le besoin de techniques plus sensibles pour ce type de matrice (Munoz et al., 2015). De plus, l’état de l’art révèle la nécessité d’élargir la liste des PFAS étudiés à des composés moins persistants pour mieux comprendre l’origine des acides perfluoroalkylés (PFAA) et les transferts d’un compartiment à un autre voire au sein des chaînes tropiques. Pour cela, il a été question de développer des techniques innovantes. L’utilisation d’échantillonneurs passifs a été préconisée dans les textes de la DCE puisque cette méthode peut permettre d’abaisser les limites de détection et d’améliorer la représentativité temporelle de l’échantillonnage (EU, 2013). C’est pourquoi, le premier objectif de cette thèse était de développer et d’optimiser l’échantillonneur passif POCIS pour l’analyse des PFAS dans les eaux de surface continentales. Ces développements sont venus compléter les travaux initiés par P. Wund (2013) et Kaserzon et al. (2012 ; 2013 ; 2014), et se sont particulièrement attachés à comparer le comportement des PFAS pour plusieurs configurations du POCIS, dans le but de sélectionner progressivement un outil quantitatif en tentant notamment d’allonger la période de linéarité et d’élargir l’application à un plus grand nombre de PFAS. Outre l’optimisation d’une configuration optimale pour les PFAS, ces travaux ont également permis de calibrer la configuration « POCIS-standard » dans le but d’acquérir des taux d’échantillonnage et d’élargir son domaine d’utilisation aux PFAS. La question de la contribution des précurseurs à la contamination environnementale en PFAS est une des problématiques abordées dans cette thèse et à deux niveaux : de leur contribution aux apports et rejets urbains à leur implication dans l’évaluation de la bioamplification des PFAA. Pour y aborder ces questions, la méthode d’oxydation des précurseurs totaux (TOP) a été optimisée et appliquée à de nouvelles matrices : eaux usées brutes, boues de station d’épuration des eaux usées (STEU) et tissus biologiques.

L’originalité des travaux menés dans le cadre du projet REGARD a été de caractériser les rejets urbains de la métropole de Bordeaux au plus proche de la source via l’échantillonnage des eaux usées et de ruissellement au sein même du réseau d’assainissement. Cette approche diffère de celle plus

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classiquement employée consistant à relier les niveaux et profils de contamination en stations d’épuration aux activités du bassin de collecte de celles-ci, sans considérer les potentiels biais liés à l’acheminement des eaux en réseau d’assainissement (ex. dégradation ou apports non identifiés). La caractérisation des niveaux et flux en entrée et en sortie des quatre principales STEU de l’agglomération bordelaise a ensuite été réalisée pour quantifier les apports globaux en provenance du réseau d’assainissement et les rejets vers le milieu naturel. Un second aspect innovant a consisté à appliquer la méthode TOP pour évaluer la contribution de précurseurs non identifiés aux apports de PFAS à l’échelle de l’agglomération. Enfin, il était question de hiérarchiser les impacts d’un effluent de STEU et d’un exutoire pluvial sur une rivière périurbaine de taille modérée. Ces résultats permettront d’apporter des éléments de connaissance nécessaires pour répondre à l’objectif final du projet REGARD qui sera de présenter des solutions pour réduire les rejets en micropolluants sur l’agglomération bordelaise et ce à plusieurs niveaux : des usages jusqu’aux traitements des eaux usées et pluviales.

La dernière partie du projet de thèse consistait à étudier le transfert trophique des PFAS en milieu lotique à travers deux études présentées en chapitre V, l’une réalisée sur le bassin Rhône-Méditerranée et intégrée à l’action ONEMA-38 et l’autre réalisée sur l’Orge (bassin Seine-Normandie) intégrée au programme PIREN-Seine. Jusqu’à présent les études sur la bioamplification des PFAS s’étaient exclusivement intéressées aux systèmes marins, lacustres et plus récemment estuariens avec les travaux de Munoz et al. (2017). C’est pourquoi, il s’agissait à travers ces deux études de renseigner la bioamplification des PFAS dans ces systèmes directement soumis aux pressions anthropiques, d’évaluer la variabilité spatiale des facteurs d’amplification trophique (TMF) en multipliant l’effort d’échantillonnage sur plusieurs sites (Publication n°4), d’élargir l’étude à des PFAS qualifiés d’émergents (i.e. fluorotélomères sulfonates et phosphonates) et enfin d’évaluer l’implication des précurseurs identifiés et non identifiés dans la bioamplification des PFAA (Publication n°5). Cette dernière question n’a été que peu abordée dans la littérature et nécessite d’être davantage creusée pour mieux comprendre les résultats observés en ce qui concerne la bioaccumulation/bioamplification des PFAS. La variabilité spatiale des TMF et ses facteurs de contrôle est une problématique abordée dans la littérature mais qui n’a néanmoins fait l’objet spécifique d’aucune étude. La finalité du projet ONEMA consistait à évaluer l’applicabilité des TMF comme outils de prédiction du dépassement des NQE dans une approche graduée. Dans la continuité des travaux de Munoz et al. (2017), une attention particulière a été adressée au traitement des données notamment pour le calcul des TMFs (application d’outils statistiques pour l’intégration des données censurées et la prise en considération des biais d’échantillonnage).

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