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1. Introduction

1.1 L’amyloïde et l’amyloïdose

1.1.6 L’amyloïde fonctionnelle

La substance amyloïde est souvent considérée comme étant une entité délétère, voire même toxique, associée avec un nombre de maladies humaines grandissant. La formation de dépôts d’amyloïde est le résultat d’un changement de conformation d’une protéine ou l’effet d’une défectuosité ou du dysfonctionnement de l’homéostasie générale des protéines cellulaires (protéostasie) (Dobson, 2003; Bucciantini et al., 2004; Uversky et Fink, 2004; Frokjaer et al., 2005; Chiti et Dobson, 2006). Les maladies associées à la formation de l’amyloïde sont caractérisées par la formation d’intermédiaires préfibrillaires toxiques et des fibrilles matures (Bucciantini et al., 2002; Goldsbury et al., 2005; Pedersen et Otzen, 2008). Ce type d’agrégat ne possède pas de fonction biologique, mais illustre plutôt un dysfonctionnement de l’homéostasie protéique (protéostasie). Certains auteurs stipulent que

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ces agrégats n’ont pas été soumis à la pression de l’évolution puisqu’ils surviennent à un état tardif dans l’âge d’un individu et ils présentent donc un manque d’optimisation biologique (Otzen et Nielsen, 2008).

Récemment, la substance amyloïde a été rapportée comme étant une partie intégrale de la physiologie cellulaire. La nature a généré et exploité la structure de l’amyloïde pour des raisons bénéfiques (Fowler et al., 2007; Hammer et al., 2008; Otzen et Nielsen, 2008; Otzen, 2010). L’amyloïde dite fonctionnelle présente alors un contraste avec les maladies reliées aux agrégats fibrillaires. L’amyloïde est souvent le produit de changement de conformation d’un type de protéine hautement régulé, impliquant de multiples protéines de transport, les chaperonnes (Epstein et Chapman, 2008; Otzen, 2010). Ceci signifie également que l’amyloïde fonctionnelle peut être exprimée au bon moment et prendre place sans les effets délétères des intermédiaires cytotoxiques. Les études effectuées sur l’amyloïde fonctionnelle peuvent conséquemment offrir de nouvelles stratégies de prévention et de traitement pour les maladies associées à l’agrégation fibrillaire.

L’amyloïde fonctionnelle ("new functional bacterial amyloids" ou FuBA) est un terme général qui regroupe les différents types d’amyloïde retrouvés chez les invertébrés ou les bactéries (Sipe et al., 2014). Les études effectuées sur les biofilms bactériens provenant de divers habitats ont démontré que 5 à 40 % de toutes les bactéries co-localisent avec du matériel ayant des épitopes de la substance amyloïde (Larsen et al., 2007, 2008). La présence de structures s’apparentant à l’amyloïde a été observée dans le phylum des protéobactéries (Proteobacteria), des Bacteriodectes, des Chloroflexis et des actinomycètes (Actinobacteria) (Larsen et al., 2007, 2008). L’abondance de matériel s’apparentant à l’amyloïde dans les biofilms et l’existence d’un large éventail de bactéries capables d’exprimer ces structures suggèrent que l’amyloïde joue un rôle important dans la vie de plusieurs espèces bactériennes (Gophna et al., 2001; Chapman et al., 2002; Claessen et al., 2003; Bieler et al., 2005; Barnhart et Chapman, 2006; Kwan et al., 2006; Oh et al., 2007; Jordal et al., 2009; Shewmaker et al., 2009; Dueholm et al., 2010; Sawyer et al., 2011). Le domaine bactérien représente alors une source majeure d’amyloïde fonctionnelle. Les bactéries sont utilisées afin de connaître les mécanismes de contrôle et de formation de l’amyloïde, en plus de décrire les applications de l’architecture fibrillaire. Les différents travaux de recherche effectués ont permis d’identifier

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et de décrire quelques propriétés de l’amyloïde fonctionnelle bactérienne (FuBA). L’assemblage régulé de ces structures, clairement distinctes de l’agrégation non contrôlée des protéines, procure des exemples instructifs sur les mécanismes de contrôle des agrégats protéiniques potentiellement toxiques.

L’amyloïde fonctionnelle a différentes fonctions dans la cellule, notamment l’agglomération cellulaire, l’attachement cellulaire et l’enrobage (enveloppage) des spores. On retrouve la structure classique croisée β qui peut être facilement identifiable grâce à l’utilisation d’un anticorps spécifique (O’Nuallain et Wetzel, 2002). Le système curli, retrouvé dans la bactérie Escherichia Coli, implique la participation d’au moins 6 différentes protéines dans la formation de FuBA au niveau membranaire (Taylor et al., 2011). La protéine CsgA (curline) forme l’amyloïde au contact avec la protéine CsgB ("curlin nucleator protein"), qui joue le rôle d’un noyau essentiel pour la formation d’une fibrille (Taylor et al., 2011) (Figure 7). La protéine CsgC est une oxydoréductase qui augmente la perméabilité de la membrane cellulaire externe, via le pore membranaire CsgG (Taylor et al., 2011). Les deux autres protéines, CsgE et CsgF, interagissent avec la membrane externe (Taylor et al., 2011). La sous-unité CsgA contient cinq régions répétitives dans la séquence et forme un motif structurel en hélice α. Chaque répétition forme le motif suivant : brin-boucle-brin (Barnhart et Chapman, 2006; Shewmaker et al., 2009). Des systèmes analogues ont été rapportés chez d’autres espèces bactériennes, dont le genre Pseudomonas (Dueholm et al., 2010). Chaque espèce bactérienne possède une caractéristique unique. La formation d’amyloïde fonctionnelle (FuBA) est liée à la présence de quelques répétitions imparfaites dans la séquence de la protéine impliquée. Curieusement, ces répétitions permettraient possiblement d’éviter l’accumulation d’oligomères potentiellement cytotoxiques (Wang et al., 2010). Les interactions entres les chaînes peptidiques latérales impliquent des acides aminés très polaires favorisant ainsi la formation d’une architecture très ordonnée (Wang et al., 2010).

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Figure 7 : Système curli retrouvé dans la bactérie Escherichia Coli.

La nucléation de la protéine CsgB provoque l’assemblage fibrillaire de la protéine CsgA. La protéine CsgC augmente la perméabilité de la membrane cellulaire externe, via le pore membranaire CsgG. Le domaine transmembranaire CsgG est important pour la formation de pore et l’assemblage du système curli. Tirée de Taylor et al., 2011.

À l’origine, la substance amyloïde était considérée comme pathogénique et reliée aux maladies depuis qu’elle a été retrouvée chez les patients atteints de désordres dégénératifs et/ou neurologiques. Plus récemment, les études suggèrent que l’amyloïde fonctionnelle (FuBA) a été optimisée pendant l’évolution afin d’effectuer un nombre de fonctions, incluant la détoxification, l’échafaudage, le mouvement, l’attachement à un substrat, la reconnaissance et l’entreposage hormonale (Gophna et al., 2001; Chapman et al., 2002; Claessen et al., 2003; Bieler et al., 2005; Barnhart et Chapman, 2006; Kwan et al., 2006; Oh et al., 2007; Jordal et al., 2009; Shewmaker et al., 2009; Dueholm et al., 2010; Sawyer et al., 2011). Même si toutes les fonctions n’ont pas été assignées à tous les types d’amyloïde observés chez les bactéries, elles le seront probablement dans un futur très proche, suite à des investigations plus poussées.

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