• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. L’amateurisme sous l’angle de la médiation et de la

I.2.1 L’amateurisme sous l’angle de la médiation

Revenir sur la question de la médiation

De fait, l’art contemporain est aussi un art médiatisé, au même titre que

certains mouvements culturels de masse, apparus par la suite, tels que les mouvements

issus du rock, c’est-à-dire d’un point de vue événementiel. La comparaison peut paraître extrême mais pourquoi différencierions-nous les démarches artistiques de Marcel Duchamp, d’Andy Warhol ou de Ben à celles engagés de Mick Jagger ou par Johny Cash? De même, on constate que les domaines artistiques se sont dès lors associés. L’art en a subi les influences, que l’on retrouve par exemple dans des œuvres comme celle de Basquiat, de Nan Goldin. En ce sens l’art contemporain se distingue aussi des autres mouvements artistiques, dits « classiques », par son alliance avec les autres mouvements culturels.

Il paraît difficile, dans ces modes de production, de dissocier l’art

contemporain des effusions médiatiques du milieu artistique. Les gestes excessifs de

l’art contemporain en ont fait un art aux objets et aux démarches artistiques provocantes mais ont aussi participé à l’évolution d’un système assez identique aux autres systèmes

de massification culturelle. On ne peut négliger l’aspect événementiel de l’art

contemporain dans ses mouvements artistiques où l’image de l‘artiste véhicule une certaine représentation de l‘art et de son milieu. Ses excès, ses provocations ou encore

ses dénonciations ont bien entendu été remarqués, et accompagnés par une

communication qui a démystifié l’art tout en starisant son milieu.

Les ressources du quotidien ont fait de l’art contemporain un élément vecteur qui a donné lieu à de nombreuses autres disciplines artistiques, tel que le design, le

graphisme ou encore l’illustration. Toutefois l’ouverture de l’art contemporain ne semble pas se prêter à la même popularisation que celui de la musique rock. L’art

contemporain souffre, semble-t-il d’un processus de diffusion qui ne s’en tient qu’aux frontières des mondes de l’art. Au point qu’Yves Michaud voit d’un mauvais œil une diffusion de l’art qui a « démonétisé » le monde de l’art et de la culture, « un monde

dont étrangement les artistes ne font plus partie »60. Le monde de l’art contemporain est

donc composé d’hommes importants qui spéculent sur la valeur de l’artiste. Ils se

qualifient ainsi eux-mêmes sur la scène publique, à travers un seuil de visibilité. L’objet d’art prend une autre tournure. En tant que marchandise, il amène de nouveaux concepts en sociologie, en économie ou encore en philosophie esthétique.

Ce qui est probant, et à la fois dénoncé, c'est le fait que la création dépend désormais d'un système de médiation et de médiatisation très fort qui apparaît se substituer à l'histoire car il permet de retenir ce qui est valorisé maintenant. L' « Etat contemporain » implique un autre paradoxe, celui souvent analysé par les sociologues de l'art : l'influence de l'institution sur le goût et l'art. On ne peut parler d'art contemporain sans parler du marché de l'art, des biennales, de la FIAC et du phénomène que Judith Benhamou-Huet appelle « la foire des foires »61.

De nos jours, les propositions retenues par Anne Cauquelin restent d'actualité. Si l'art contemporain est un art de la communication, il en est aussi victime. Voilà pourquoi la difficulté de définir l'art contemporain est d'autant plus grande car, comme le constate Paul Ardenne, la « prédésignation » (« une présélection ayant diverses origines – médiatique, institutionnelle, militante à travers les revues engagées ») aboutit au paradoxe suivant : « L'art qui se voit est celui dont on parle et inversement, dans l'oubli de l'art qui ne se voit pas. »62

Les sociologues de l'art ont longuement décrit cette situation problématique de

l'art contemporain. Selon la sociologue Nathalie Heinich, l'œuvre d'art contemporain n'est œuvre que si elle passe par une série de médiations « qui font passer du statut de

simple objet au statut d'œuvre d'art »63. Ses recherches portent essentiellement sur le secteur public : conservateurs, commissaires, juristes et experts. L'ouvrage repose entièrement sur les représentations mentales de l'art de ces différents acteurs et dont les

opérations transforment l'objet en œuvre d'art.

60

Y.MICHAUD, L'artiste et les commissaires : Quatre essais non pas sur l'art mais sur ceux qui l'occupent, Hachette, 1989, p.18

61

J. BENHAMOU-HUET, Le marché in et out : la foire des foires, Art Press, n°294, 2003.

62

P.ARDENNE, L’âge contemporain : une histoire des arts plastiques à la fin du XXe siècle, p.13.

63

Le postulat est simple : si l'art ce sont les œuvres, ce sont aussi le statut des producteurs, les modalités de la réception et l'action des intermédiaires qui font l'œuvre.

La thèse soutenue par l'auteur revient à affirmer que :

« Ce ne sont plus les médiations qui amènent aux œuvres, mais ce sont les œuvres qui deviennent l'outil permettant de tracer le passionnant parcours des mots, des

gestes, des objets, des inscriptions, ainsi que des catégorisations, des évaluations, des argumentations, sans lesquelles elles n'auraient pu elles- mêmes se frayer un chemin entre ceux qui les produisent et ceux qui les reçoivent »64.

Ainsi, bien qu'il soit question d'influence, il est moins question de sélection, et cette proposition envisage le retournement d'une situation. Les médiations ne semblent pas être décrites comme étant au service de l'art et l'art ne semble pas être intrinsèque à ces dernières. Il y a bien un rapport, une indépendance mais de nos jours le milieu de l'art se voit être bousculé et « désormais, ce ne seront plus les médiations qui tourneront

autour des œuvres pour mieux les éclairer, mais les œuvres qui tourneront autour des

médiations pour nous les rendre visibles. »65

Nathalie Heinich rend compte que les critères qui permettent de définir l'art sont liés aux intermédiaires qui en fin de compte adaptent l'œuvre et la démarche

artistique aux conditions même de leurs fonctions dans l'institution. En raison du changement radical du statut de l'artiste qui voue sa démarche à l'originalité et non plus à la commande ou à la copie, le conservateur, mû par le souci de ne pas se tromper, s'attache ainsi à appliquer plusieurs principes de valorisation étroitement liés à la

connaissance de l'artiste et non de l'œuvre. Il y a donc déplacement des critères de

sélection et des anciens critères esthétiques qui ne sont plus présents.

Les experts, face à l'hétérogénéité de l'art contemporain doivent s'éloigner

d’une esthétique désormais dépassée au profit d'une logique institutionnelle. Elle repose

ainsi sur une mise en rapport entre ce que possèdent les musées et ce qui se fait dans le

milieu qui n’est pas encore acquis. Autrement dit, mettre de côté ceux qui ont de fortes

64

Idem, p.32.

65

chances de se faire un nom et de chercher à valoriser ceux qui n'en ont pas, et ainsi participer à une valorisation spéculative.

Les artistes, bien qu’ils préexistent à ce modèle de communication, sont

désormais dépendants de ce dernier pour pouvoir être reconnus. La situation est simple : plus on parle de vous, plus vous êtes connu et reconnu. Ainsi, comme tout milieu

culturel, le milieu de l’art contemporain comporte des modalités de reconnaissance en lien avec la visibilité médiatique. L’art contemporain ne se différencie pas en ce sens

des autres domaines artistiques mais sa particularité réside dans le fait que c’est un

milieu peu fréquenté par les publics de la culture de masse.

La particularité de l’art contemporain repose aussi sur ces différents modes de perception dans lesquels la communication détermine l’objet en tant qu’art à travers son

sens initial, son exposition et sa valorisation. Il y a une proposition, une médiation et

enfin une médiatisation de cette dernière. De plus, à la différence des œuvres plus classiques, l’art contemporain, par sa revendication de l’art pour l’art, se joue de ses différents aspects communicationnels qui se font écho.

Il est important de constater à quel point l’art contemporain, contrairement à l’art moderne, a été accompagné par une communication importante et codifiée. Andy Warhol exemplifie parfaitement l’enchaînement des médias qui est apparu avec les

premières démarches exubérantes de Dali ou de Marcel Duchamp. Il n’y était plus question de l’objet d’art mais de l’image de l’artiste. Au point que l’objet d’art souvent dupliqué n’existait en tant que tel qu’au travers la signature d’un artiste devenu

médiatisé.

L’impact de la médiation sur la relation à l’objet d’art

Dans l’ensemble, on est amené ainsi à penser que les acteurs influents de l’art

contemporain tiennent par ce biais les ficelles du monde de l’art. Certains sociologues décrivent ces caractéristiques médiatiques de l’art contemporain comme un facteur d’influence sur la représentation de l’art contemporain. Ils observent ainsi les influences, à travers les dispositifs médiatiques, des acteurs du monde de l’art sur la

valorisation de l’art contemporain. La communication dans le monde de l’art accentue le paradoxe de saisir comme art contemporain ce que l’on a décidé de nous montrer.

A cet égard, la problématique de la médiation se voit être un sujet de plus en

plus évoqué. Cette dernière est étudiée en tant que source d’influence principale sur le monde de l’art. Grâce à un système de visibilité massive, la médiation, vectrice du

discours de valorisation, est à la fois le fondement de la cotation, celui du goût ou encore de la légitimité artistique. La médiation par ses discours réduirait ainsi le rapport

à l’art. Elle aurait pu être envisagée comme un élargissement au grand public, or elle ne fait qu’accentuer la problématique de l’accessibilité.

Au-delà de ce processus de valorisation, les recherches de Nathalie Heinich

nous amènent aussi à réfléchir sur ce que la chercheuse présente en tant qu’art

contemporain à travers ce processus de médiatisation. En basant ses recherches sur des artistes reconnus de l’art contemporain, nous sommes amenée à nous questionner. Très

médiatisés, les artistes présentés ont des démarches artistiques ou controversées tel que Buren ou spectaculaires tel que Christo. Ainsi, quel impact ce caractère événementiel a-t-il sur la réception des cas analysés ? L’auteure explique parfaitement ces choix : ils sont représentatifs de ce qui se fait en art contemporain et renvoient à différentes scènes

de l’art contemporain où ils sont plus facilement visibles par tous, c’est-à-dire hors mur, et ainsi accessibles aux néophytes. Or dans ce mécanisme de médiation, le terrain

d’étude apparaît ainsi plus propice à une étude sur le rejet de l’art contemporain que sur son mode d’appréhension.

C’est exactement ce qui inspire les premiers artistes tels que Marcel Duchamp

ou encore Warhol qui font du monde de l’art un élément constructeur et vecteur de leurs œuvres. Les lieux, les encadrements structurels sont des médiations de l’art et favorisent sa reconnaissance en tant qu’objet d‘art. Ce qui environne l’objet d’art est déjà en soi une influence sur le statut même de l’objet qui n’est pas neutre de sens. Un urinoir en soi n’a aucune fonction esthétique mais s’il est exposé et qu’il provoque des discours, il perd sa fonction d’urinoir et sème le doute sur la nature de l‘objet d‘art.

La communication en art contemporain est symptomatique d‘un art apparu au

les autres milieux artistiques, l’art contemporain est constitué d’un milieu hiérarchisé allant de la création, à l’exposition, à la vente. La structure du monde de l’art comporte

de nombreuses branches médiatiques qui sont à nos jours très variées (radio, télévision,

internet, affichage…). Et les acteurs de l’art tel que les critiques, les commissaires, les historiens de l’art ont en ce sens une influence sur la valorisation des artistes car c’est

leurs propres discours qui sont ainsi médiatisés.

Dans l’étude L’art contemporain exposé aux rejets Nathalie Heinich constate

que l’art contemporain est un art qui se prête à un jugement de valeur qui n’est plus d’ordre esthétique car la beauté est un concept dépassé par l’art contemporain. A travers cette absence, l’art contemporain se prête à des réactions aux registres du discours commun à l’opinion publique. La présence de l’art sur la scène publique en tant que source de discorde renvoie à ce que l’auteure appelle un « jeu de main-chaude ».

« C’est là toute l’étrangeté de ce « jeu de main-chaude » où les institutions culturelles semblent à chaque fois surenchérir sur les

transgressions des frontières mentales (voire matérielles, lorsqu’il s’agit des murs du musée) tentées par les artistes, en les réintégrant dans l’espace des possibles dès qu’elles se manifestent (si ce n’est même avant, en les

subventionnant) ; et où les non-spécialistes réagissent à ces atteintes aux valeurs qui leur sont chères en déployant toutes les ressources axiologiques

leur permettant d’augmenter leur indignation _ sans toujours s’apercevoir que

les registres ainsi mobilisés ont toutes les chances, étant donné leur

hétéronomie à l’égard du monde artistique, de renforcer les partisans dans leurs convictions, en mettant en évidence l’incompétence des rejeteurs. »66

L’ouvrage porte ainsi sur l’étude de sujets artistiques fortement médiatisés et sur l’analyse des réactions du public. Il renforce l’aspect stéréotypé de ce qu’il se dit sur l’art contemporain surtout lorsqu’il se rapporte à des évènements déjà médiatiquement

débattus. Certaines données ne semblent pas être prises en comptes : l’image de l’art contemporain perçue à travers le processus médiatique. L’idée de ce qu’est l’art

contemporain se trouve être ce qui ressort des évènements dont on parle et qui sont

66

souvent des réalisations qui prêtent à débat. Le facteur média sur le rejet de l’art contemporain semble être peu évoqué, s’il est évoqué c’est sans dissociation avec l’objet, c’est-à-dire en tant que valorisation de l’objet d’art, en tant que support

participatif au statut de l’objet.

Les choix de la sociologue sont justifiés car, en effet, comment étudier le rejet

de l’art contemporain au sein de lieux où les publics sont généralement des adeptes de l’art contemporain ? Toutefois ces choix impliquent aussi une réflexion sur les

représentations communes que l’on peut avoir de l’art contemporain en raison de la médiatisation et dont l’auteur fait cas. Nathalie Heinich est un des premiers sociologues à réfléchir sur le rejet de l’art contemporain. Seulement, sa recherche ne porte en aucun

cas sur les connaissances que possèdent déjà les néophytes de l’art contemporain.

Il semble que pour des choix aussi événementiels, la médiatisation peut être

aussi un facteur d’influence et de méconnaissance. Buren, par exemple, est un artiste

représentatif du débat sur l’art contemporain. Il est connu dans le monde de l’art mais son nom est moins connu lorsqu’il s’agit des habitants ou touristes traversant la place… Pour autant, ces derniers savent que ce qu’ils ont devant leurs yeux est considéré

comme de l’art contemporain sans en avoir des connaissances explicatives.

Les études sur l’influence des acteurs de l’art sur les institutions et les représentations de l’art contemporain, ainsi que celles sur la réception négative de l’art

contemporain semblent avoir pour tendance de faire ce qui se dit communément de l’art contemporain, de la valeur médiatique, une valeur gustative de l’objet d’art. Pourtant on oublie le sens initial de l’art contemporain qui par ses principes anesthétiques déçoit par

l’absence du beau et qui exige de s’intéresser au sens. Mais cette forme de rupture

résulte aussi de ce qui fait cas dans de nombreux autres domaines artistiques dont on dit par exemple que « ce n’est pas de la musique », « c’est du bruit », « ça crie »…

La question de la disparition des canons esthétiques se trouve être présente dans de nombreux autres domaines. Pourtant la problématique du rejet en art

contemporain comporte des associations radicales où l’art contemporain semblent être

dissocié du mouvement contemporain, c’est-à-dire ce qui ne se fait pas, tel que

du monde de l’art il ne faut pas oublier que « certains prennent des risques et innovent,

ce qui donne aux autres une raison d’être »67

.

La méconnaissance des domaines et des principes de ces derniers est aussi un

facteur auquel l’opinion publique peut servir quand on n’a rien à dire. Les valeurs discursives du monde de l’art ne considèrent en soi aucunement la réception privée car elle est biaisée par la présence de la scène publique et de la valorisation ou de la dévalorisation médiatique.

De fait, les considérations discursives de l’opinion publique sont un concept

flou sur lequel Thomas Helie et Florent Champy portent un regard suspicieux :

« Notons que si l’opinion publique peut-être invoquée, c’est toujours un segment de l’opinion qui est convoqué: lectorat d’un journal, visiteurs d’une exposition, etc. L’habilité politique dans l’usage opportuniste des

études de publics consiste justement à faire s’exprimer un segment bien

déterminé de public et à présenter son point de vue comme étant celui de

l’opinion publique en général. »68

C’est en ce sens aussi qu’il semble intéressant de considérer l’amateurisme dans une sphère différente que celle d’une institution donnée et de prendre en compte les propos d’amateurs aux statuts très variés, en dehors de la dichotomie expert/ non

expert que l’on suppose régie par la sphère publique, à travers des études

sociologiques, et accentuée par l’implication médiatique des acteurs sur l’évaluation des objets d’art.

Cette approche nous apporterait ainsi peut-être plus d’éléments sur les connaissances des amateurs et ses modes d’appréhension. De pouvoir saisir, au-delà de

cet agglomérat de groupes sociaux, ce qu’il reste de la valeur artistique et esthétique dans ce rapport intime à l’art contemporain ? Aussi si notre recherche porte sur les

67

S.THORTON, Sept jours dans le monde de l’art, Autrement, 2009, p.10.

68

T. HELIS, F. CHAMPY,. « Les jeux avec la définition du public dans la production des équipements culturels », Le(s) public(s) de la culture, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2003, p.239.

amateurs d’art contemporain, il nous faut, face au principe de hiérarchisation des

mondes de l’art, définir, dans une seconde partie, ce que nous entendons, à ce stade de

notre recherche, par « amateur ».

Une médiation distanciée

Il semble que le médium tel qu'il est défini par le sociologue Antoine Hennion n'existe pas en art. Il ne fonde pas l'objet car il est déjà-là. Les médiations sont des

supports qui accompagnent l’objet d’art et sont ainsi mises à distance de l’objet car elles n’en sont pas un fondement comme elles peuvent l’être en musique, qui ne peut exister

sans elles. La distance ainsi est là entre l’objet et soi. Elle est toujours présente car, à la

différence de la musique, la distinction entre les médiations et l'objet sont visibles.

Toutefois l'objet créé par l'artiste n'est pas encore en soi un objet d'art tant qu'il n'est pas reconnu et mis en valeur par les mondes de l'art. Ce sont ces types de

médiations que Nathalie Heinich s'attache à étudier et qu’elle décrit de la manière