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Lorsqu’il est question d’altérisation entre les individus, cela fait référence au caractère individuel de l’identité des participants. Cela ne fait donc pas référence à leurs rôles professionnels, ou à leurs caractéristiques ethniques, mais plutôt à leurs caractéristiques personnelles. L’altérisation individuelle inclut donc tout discours direct d’un participant envers une personne en particulier ou un groupe d’individus.

On note certaines caractéristiques qui sont utilisées dans l’altérisation telle que, le manque de connaissance de la langue inuktitut, les longues vacances incluent dans les contrats des non-Inuit, la courte durée de temps que peuvent rester certains travailleurs non-inuit dans les communautés, ainsi qu’une peur, autant chez les Inuit que chez les non-Inuit, d’aller à la rencontre de l’autre.

Ce qui suit est un exemple d’une travailleuse de la protection de la jeunesse non-inuit qui travaille depuis longtemps dans le Nord qui raconte cette réalité :

« Il y a de plus en plus de non-Inuit qui sont engagés. Et avec tous les problèmes qu’ils amènent avec eux… Ils ne restent pas longtemps, ils prennent des vacances d’un mois

toutes les neuf semaines, ils ne parlent pas inuktitut… Des fois, ils ne parlent même pas assez anglais pour communiquer dans la deuxième langue, et tous les autres problèmes. Je ne blâme pas les individus, mais c’est quand même bizarre comme phénomène. »

Dans l’exemple ci-dessus, la participante pose un jugement sur les compétences des nouveaux arrivants en généralisant des caractéristiques qu’elle a observées auparavant. Elle nomme plusieurs problèmes qui peuvent découler de leur présence, tels que leur absence de la communauté, le fait qu’ils restent parfois pour des courtes durées et le fait qu’ils ne parlent pas la langue locale, soit l’inuktitut. Elle pose ainsi un jugement sur les travailleurs non-inuit venant travailler au Nord, tout en exposant un certain contexte qui l’amène à avoir ce jugement. Elle se différencie donc de ces nouveaux arrivants bien qu’elle ait été elle aussi à un certain moment, une nouvelle arrivante du Sud. Elle cherche à s’identifier au groupe de la communauté qui n’a pas tous les problèmes qu’elle nomme. Cet exemple permet de contextualiser son discours. En effet, la participante énonce aussi une problématique du Nord, soit celle du nombre grandissant de travailleurs provenant du Sud et le nombre diminuant de travailleurs provenant des communautés du Nunavik.

Des discours d’altérisation d’exclusion sont aussi présents dans lesquels un jugement est posé envers une autre personne. Ces segments de discours se distinguent de ceux cités plus haut par le fait qu’ils ne présentent pas des facteurs contextuels, mais sont plutôt une altérisation directe envers d’autres individus. Les participants ont mis de l’avant diverses raisons pour expliquer ce phénomène. Certains jugements concernent les compétences parentales d’une personne inuit ou non-inuit, les attitudes ou compétences personnelles d’une personne spécifique, ou concernent les conditions de travail de certaines personnes comparativement à d’autres.

Une interprète inuit explique une situation où elle se différencie des parents d’enfants dans la classe de sa fille sur la base de pratiques parentales divergentes :

« Ma fille est en 4e année, puis l’autre fois, elle racontait qu’un jeune de sa classe fumait et qu’un autre n’allait pas souvent à l’école. Mais tsé, c’est les parents qui vraiment ont besoin de jouer un rôle plus important et d’être plus présents parce ce n’est pas rare qu’il y a des familles du Nord qui ont des problèmes alcooliques. Je trouve que si les parents ne sont pas sains eux-mêmes, c’est les enfants qui vont souffrir et ils commencent à trainer, à fumer jeune et commencent à boire jeune. C’est aux parents d’être plus présents. Comme on dit, les jeunes sont le futur. »

Dans l’exemple précédent, l’interprète explique les comportements des jeunes par ceux des parents. Par son discours, elle se différencie de ceux-ci. Elle s’exclut d’un groupe social auquel elle pourrait s’inclure dans d’autres circonstances. Son discours exclut les parents de son groupe, mais une volonté d’améliorer le sort des enfants de la classe de sa fille est tout de même présente. La mère nomme des problématiques présentent dans la communauté et se différencie des parents avec ces problèmes, car, selon elle, elle fait partie du groupe qui pourra aider « les

jeunes qui sont le futur ». Elle se positionne donc en intervenante et s’exclut de ceux qui ont des

difficultés.

Bien que dans certains discours d’altérisation les participants se différencient de l’autre pour s’exclure d’un groupe social, d’autres discours amènent les participants à se différencier pour inclure l’autre dans un groupe social. Lorsque l’altérisation d’inclusion est présente dans le discours, cela crée un effet de rassemblement entre les individus de groupes sociaux différents vers un même groupe social. Le but est donc de collaborer pour plus se ressembler.

Ce qui suit est un exemple d’une éducatrice non-inuit en garderie qui souligne les compétences d’une collègue :

« Isabel est extraordinaire parce que c’est la seule personne inuit que je connaisse qui est organisée dans ses dossiers. »

L’exemple présenté est intéressant, car l’éducatrice se différencie du groupe social de sa collègue. En même temps, elle valorise les capacités organisationnelles de sa collègue. Elle exclut donc sa collègue de son groupe ethnique d’appartenance et l’inclut dans son propre groupe social. Elle met de l’avant les compétences qui la distinguent du groupe, tel qu’elle le connaît. Pour l’éducatrice non-inuit, une compétence de travail valorisée est l’organisation des dossiers. Ainsi, elle exprime sa joie de voir que sa collègue intègre cette capacité. Ce discours ne semble pas être intentionnellement discriminant de la part de l’éducatrice. Elle cherche plutôt à inclure sa collègue, elle s’identifie à elle, ce qui informe d’une possible collaboration sur la base de cette ressemblance. Toutefois, est-ce positif de se voir séparer de son groupe ethnique d’appartenance à cause de compétences personnelles, surtout dans un contexte où les individus font partie d’une petite communauté isolée ? Est-ce mieux de faire partie de son groupe d’appartenance ethnique ou d’un groupe social valorisé par sa collègue qui ne partage pas le même groupe ethnique ?

Bref, toutes sortes d’altérisations individuelles ont émergé des données, car les participants vivent des expériences variées. Ces exemples incluent des jugements des travailleurs du Sud à cause d’une compréhension généralisée et anticipée face à ces derniers. Ces jugements portaient sur les nouveaux arrivants, les anciens (personnes non-inuit qui habitent le Nord depuis de nombreuses années) et la barrière de la langue. Les relations personnelles et individuelles que les participants peuvent avoir dans leur communauté au Nord semblent aussi teintées par la structure organisationnelle en place amenant les habitants à travailler et à vivre ensemble au quotidien.

Les frustrations face à l’organisation des services de santé et de santé mentale du Nord amènent des tensions dans les relations individuelles (contextes). L’organisation des services au Nunavik peut entrainer des difficultés dans les relations professionnelles, mais aussi personnelles. De nombreux participants nomment la joie qu’ils ressentent de travailler au Nord, mais aussi les défis que cela implique. Ce n’est pas tout le monde qui reste longtemps. La réalité du Nord et l’organisation des services entrainent beaucoup de changement dans le quotidien de la vie personnelle des gens qui y travaillent. Ceci amène certains participants à s’identifier fortement à la communauté et aux groupes demeurant dans la communauté.

Les frustrations dues à l’organisation en raison des conditions de travail et financières des travailleurs, ainsi que des changements de personnel contribuent aussi à l’émergence de discours d’altérisation individuelle. La présence de tels discours entre les individus démontre l’impact des tensions et de la réalité du Nord dans toutes les relations, et pas uniquement dans les relations professionnelles. Ces contextes amènent donc les individus à se différencier les uns des autres.

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