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2. Des facteurs contextuels influencent la création et le maintien des identités

2.3 Le contexte socioéconomique

Le contexte socioéconomique particulier aux systèmes de soins au Nunavik semble aussi avoir contribué à l’émergence du phénomène à l’étude. En effet, l’éloignement géographique, le roulement du personnel, les disparités salariales, les vacances non remplacées, le manque de ressources matérielles, l’absentéisme et le manque de ressources humaines, le manque d’activités dans les communautés et les difficultés de gestion des communautés ont été rapportés par les participants. Tous ces facteurs socioéconomiques pourraient contribuer à augmenter la distance entre les professionnels et à créer des frustrations. En effet, Guinard et al. (2012) ont aussi relevé certains de ces facteurs dans leur étude sur les critères de qualité des services sociaux et de santé vécus par les Inuit de la baie d'Hudson. Ces auteurs rapportent que le nombre réduit de travailleurs, la surcharge de travail et le contexte de crise continue, le manque de ressources, ainsi que le roulement du personnel amènent des changements constants. Ces facteurs entrainent aussi une instabilité chez les intervenants présents (Guinard et al., 2012).

Par ailleurs, Deschênes (2016) rapporte que certains facteurs socioéconomiques, tels que l’éloignement géographique et les difficultés de gestion, peuvent influencer négativement la construction de relation de confiance au sein d’équipe-école dans des établissements en milieu autochtone du Québec. Ceci fait penser à ce qui se déroule dans la présente étude. En ayant de moins bonnes relations de confiance, les participants seraient amenés à vouloir plus se dissocier d’autres individus.

2.4 La discrimination, les préjugés et le renforcement de stéréotypes vécus par les individus

La discrimination associée à des préjugés et à des stéréotypes serait non seulement une démonstration d’altérisation, mais carrément un contexte qui fait émerger de nouvelles altérisations. En effet, les participants inuit et non-inuit ont rapporté des préjugés à l’égard des nouveaux employés arrivants au Nunavik, de nombreuses généralisations, parfois discriminantes, parfois non discriminantes, ainsi que des préjugés stéréotypés sur l’identité

ethnique des individus inuit et non-inuit. Ces perceptions sociales qui semblent omniprésentes obligent un certain positionnement face à l’altérisation d’autrui. Elles deviennent donc des facteurs contribuant à l’émergence d’altérisation, à l’augmentation de la catégorisation entre les individus, à la protection de l’image de soi à une réduction de la collaboration et à une détérioration des soins offerts (Allan et Smylie, 2015; Charest, 2013; Denison et al., 2014; Fraser et Nadeau, 2015; Johnson et al., 2004; Lemay, 2011; Lisant et de Leeuw, 2014; Loppie Reading et Wien, 2009; Reading, 2013; Rix, Barclay et Wilson, 2014; Steele, 1990; Swim et Miller, 1999; Tang et Browne, 2008).

Lorsqu’il est question des non-Inuit, ceux-ci ont aussi de nombreux préjugés discriminants, ou non, envers les Inuit. Les participants ont rapporté des généralisations telles que l’absentéisme et le retard au travail et dans la réception des soins, les difficultés de communication, l’alcoolisme, la négligence, le manque de compétences parentales et le manque de motivation pour le changement. De nombreux auteurs ont nommé la présence de généralisations discriminantes et de racisme dans le système de soins de santé au Canada (Allan et Smylie, 2015; Henry, Rees et Tator, 2010; Lisant et de Leeuw, 2014; Reading, 2013).

De nombreux préjugés envers les non-Inuit ont aussi été nommés par des participants non-inuit. Certains participants non-inuit travaillent au Nord depuis de nombreuses années et ont des préjugés concernant les nouveaux arrivants ou les autres travailleurs. D’autres discriminent certains individus non-inuit en leur attribuant des caractéristiques négatives et en se dissociant de ceux-ci.

Dans son étude portant sur les représentations personnelles des intervenants sociaux allochtones, Lemay (2011) note que certains travailleurs ont une représentation positive d’eux- mêmes. Dans ces cas particuliers, l’altérisation semble être utilisée comme stratégie de collaboration avec les Inuit pour marquer « l’appartenance » :

« Pour être capable de trouver légitime le fait d’exercer une profession de laquelle ils sont pour la plupart assez critiques, c’est qu’ils ont une manière de se percevoir qui diffère de la manière dont ils perçoivent leurs collègues et la nature oppressive de leur profession. Les intervenants semblent alors éprouver le besoin de se distancer des paradigmes dominants de la profession. Être marginal devient donc quelque chose de nécessaire lorsque l’on incarne la figure que l’on critique, et que les Autochtones critiquent. Par conséquent, cette marginalité permet à ces intervenants de faire du sens avec ce qu’ils sont professionnellement, en plus de leur permettre d’établir des relations

privilégiées avec les Premières Nations et les Inuits. » (Lemay, 2011, p. 105).

La manière dont certains participants non-inuit de la présente étude se différencient d’autres individus non-inuit semble être portée par un contexte de protection de sa propre personne. En se différenciant des autres non-Inuit, ils ouvrent peut-être la porte vers une meilleure collaboration avec des personnes inuit. Cette différenciation peut aussi être amenée par la culpabilité des blancs [ white guilt ], un facteur contextuel qui peut motiver l’altérisation, mais aussi la collaboration et l’inclusion. Ce sentiment peut amener les non-Inuit à vouloir se dissocier des autres non-Inuit avec lesquels ils ne sont pas d’accord, ou les motiver à faire des changements par culpabilité face au passé colonial de leurs ancêtres (Swim et Miller, 1999). Par conséquent, la culpabilité des blancs amène certaines personnes à juger leurs homologues plus négativement lorsqu’ils observent des comportements qu’ils jugent colonialistes. Cela pourrait augmenter la distance entre les travailleurs allochtones.

Une altérisation d’inclusion envers les Inuit de la part des participants non-inuit pourrait aussi avoir été motivée par la culpabilité de blancs. Une conséquence positive de cette culpabilité est que les personnes qui ressentent cette culpabilité sont plus favorables aux politiques de changement pour réduire les privilèges des blancs (Steele, 1990). Ainsi, ces personnes se différencieront peut-être des personnes inuit, mais dans un but de collaboration et de réduction de l’écart de privilèges.

Bref, ce qui est ressorti comme contexte de discrimination des données est congruent avec ce qui est présent dans la littérature concernant les préjugés et les généralisations.

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