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2.3 L’A GRICULTURE DE C ONSERVATION : UN POTENTIEL SOUS ESTIMÉ ?

2.3.3 L’Agriculture de Conservation comme réponse aux problèmes d’érosion et de perte

L’AdC s’accompagne de changements sur la qualité de la structure du sol ainsi que sur la biodiversité qu’il supporte. Elle affecte les processus physiques, chimiques et biologiques qui prennent place dans le profil cultural, tels que les cycles des éléments minéraux et du carbone, l’évolution des résidus de culture, les transferts de l’eau et des molécules qui y sont dissoutes. De plus, ces techniques vont également modifier la localisation de la matière organique, celle de certains inocula de pathogènes et graines d’adventices et celle des éléments nutritifs et ce de façon croissante avec le temps depuis le passage en AdC. Par ailleurs, les effets de la simplification du travail vont être plus ou moins marqués selon le type de sol et son état structural initial, les conditions climatiques au moment des interventions, la maitrise de la technique par les agriculteurs ainsi que les choix en matière de rotation culturale, de couverts végétaux et d’outils employés.

Impacts du TCS et SD sur la matière organique, et le stockage du carbone. Entre autres, les TCS et SD vont modifier la répartition de la matière organique dans le profil cultural. Celle-ci va en effet augmenter en surface, particulièrement avec le semis direct, dont l’évolution est plus rapide (West et Post 2002).

Cette redistribution de la matière organique va avoir plusieurs conséquences : - Accroître la stabilité structurale des agrégats du sol

- Augmenter le rapport Carbone/Azote (C/N) de la couche superficielle - Augmenter le taux d’humification (Girard et al. 2005)

- Diminuer fortement la vitesse des pertes de matières organiques par la minéralisation (ralentie en SD par la modification des conditions de vie des microorganismes minéralisateurs) et par l’érosion

Les sols agricoles de manière générale, ont un potentiel élevé de stockage du carbone. On estime à 1,4 milliards de tonnes de carbone stocké par an par les sols agricoles, quelles que soient les pratiques de gestion du sol appliquées (GIEC 2014, Paustian et al. 2016). Ce stockage concerne particulièrement l’horizon de surface mais on sait désormais qu’il s’opère également dans les zones plus profondes, au-delà de 30cm (de Moraes Sa et Lal 2009, Mulder et al. 2016, Plaza-Bonilla et al. 2016). Les apports de matières organiques via les amendements, les résidus de culture ou les couverts végétaux sont le principal vecteur de ce stockage. Ils permettent ainsi de stocker 300 à 500 kg de carbone par hectare et par an, que cela soit avec ou sans travail du sol (e.g. Dimassi et al. 2014). Et ces chiffres peuvent atteindre jusqu’à 500 à 900 kg C/ha/an si l’AdC est appliquée (Powlson et al. 2016). On remarquera ici encore que c’est bien l’association des trois piliers de l’AdC qui permet cette augmentation du stockage de carbone. En effet, Powlson et al. (2012) remarquent l’effet quasi nul du non travail du sol pris séparément et de Moraes Sa & Lal (2009) ne reconnaissent qu’un effet marginalement positif.

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A cela peut s’ajouter le fait que l’AdC a potentiellement un impact plus modéré sur le changement climatique via de moindres émissions de gaz à effets de serre. La consommation de carburant est diminuée de 60% (SoCo 2009) et on constate également des émissions de N2O et de CH4 après quelques années d’AdC bien conduite (Six et al. 2004, Dendooven et al. 2012, Palm et al. 2014) notamment du fait de l’activité bactérienne. L’AdC est également potentiellement elle-même plus résiliente face au changement climatique, compte tenu de la résilience de sa productivité en contexte de stress hydrique (Pittelkow et al. 2014). Cette résilience étant particulièrement imputable aux bénéfices liés aux apports de matières organiques au sol (Song et al. 2015).

La structure du sol, évolution du risque érosif et du ruissellement Du fait de la couverture permanente du sol en surface, les TCS et le SD ont des effets positifs à l’égard de l’érosion (Labreuche et al. 2007, Soane et al. 2012) et de la dégradation du sol par les impacts de goutes de pluies, essentiellement, limitant ainsi la formation et l’expansion d’une croûte de battance (Labreuche et al. 2007). De plus, la modification de la répartition de la matière organique dans le profil de sol et son augmentation en surface améliore la stabilité structurale du sol, diminuant le risque érosif et augmentant sa portance (Soane et al. 2012). Néanmoins, l’efficacité des techniques de conservation, en termes de réduction de l’érosion, est très variable selon la texture du sol. En effet, si sur des sols argileux, leur efficacité est la plus probante (Chichester et Richardson 1992, Tebrügge et Düring 1999, Rhoton et al. 2002, Labreuche et al. 2007), leur efficacité sur des sols sableux semble moindre (Quinton et Catt 2004) et les résultats sur sols limoneux sont très variables, dépendant essentiellement d’autres paramètres comme les types de culture inclues dans la rotation (Labreuche et al. 2007).

En SD, la porosité structurale du sol est principalement crée par les alternances du climat (humectation/dessiccation et gel/dégel) et l’activité biologique, notamment celle des vers de terre et des mycorhizes, particulièrement favorisée par ces techniques. La qualité physique du sol est alors améliorée par la formation d’une porosité biologique de surface qui garantit une meilleure infiltration et améliore la valorisation de l’eau et des éléments minéraux (en particulier le phosphore) par les cultures (Soane et al. 2012). De plus, le couvert végétal permet la formation de flaques d’eau en surface, qui ralentissent l’écoulement de celle-ci, ce qui diminue le pouvoir érosif du ruissellement (Le Bissonnais, cité dans Labreuche et al. 2007), mais risque en contre-partie d’entrainer des retards de semis pour les cultures de printemps.

De plus, ces phénomènes sont lents à mettre en place et les premières années après le passage en TCS, et plus encore en SD, on observe parfois une reprise en masse du sol se traduisant par une augmentation de la densité apparente du sol en surface (sur 0 à 25cm de profondeur). Cela s’observe en particulier dans les systèmes jeunes et/ou mal maitrisés, l’aération de cet horizon de surface est réduit, le sol peine à se réchauffer au printemps et l’hydromorphie de surface d’autant plus accentuée, retardant également les semis de printemps. La porosité n’est en général reconstituée qu’après quelques années. Par ailleurs, la porosité change d’architecture, elle n’est plus mécanique (fissurations, macroporosité) mais biologique (microporosité). La porosité crée par les vers anéciques

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(gros vers effectuant des parcours verticaux de la surfaces à plus d’1m de profondeur) et associée à un réseau très connecté de microporosité, augmente la réserve en eau facilement utilisable (RFU) par les plantes ainsi que la conductivité hydraulique avec les horizons profonds et favorise le drainage de l’eau (Soane et al. 2012).

Le sol devient également moins sensible au tassement généré par les engins agricoles, sauf en conditions très humides (Labreuche et al. 2007). Le Bissonnais (cité dans Labreuche et al. 2007), remarque également que l’arrêt de l’utilisation de la charrue permet de travailler en travers de la pente réduisant ainsi fortement l’érosion aratoire dans les parcelles en coteaux où le ruissèlement est déjà problématique.

La biodiversité du sol favorisée par les TCS et le SD L’absence de perturbation et l’augmentation de la teneur en matières organiques en surface, va modifier la répartition des ressources et des conditions d’habitat (les flux d’air, d’eau et l’humidité) dans le profil pour les organismes du sol.

De nombreuses études sont menées sur la question mais les réponses restent en général trop variables pour que des généralités soient communément admises. En 1995, Wardle compile les résultats de 106 études menées jusqu’alors et conclut à une tendance générale à l’augmentation en termes d’abondance et/ou de biomasse avec la diminution du travail du sol. Cependant, il souligne que cette constatation est surtout vraie pour les organismes de grande taille et que la variabilité observée est très certainement due au fait que ces études sont menées : sous différentes intensités de travail du sol et d’enfouissement (pratiqué de plus à différentes dates), à différentes périodes de l’année et sous différentes combinaisons sol/culture/climat. De plus, la grande majorité de ces études ne concernent qu’un seul organisme ou niveau trophique et ne donnent pas de vision d’ensemble sur l’effet de ces pratiques sur la communauté édaphique.

Les études plus récentes, menées cette dernière décennie, confirment toujours les conclusions de Wardle. Van Capelle et al., qui ont compilé en 2012 les études allemandes sur le sujet, concluent que les impacts, en particulier à long terme, sur la biodiversité du sol sont toujours peu compris, notamment l’interaction entre pratiques, texture du sol et type de culture.

On reconnait néanmoins que l’activité biologique du sol augmente en surface grâce à l’AdC, mais qu’elle est réduite en profondeur, en raison de l’absence d’enfouissement des matières organiques. Le mulch constitué en surface par les débris végétaux va fournir un abri et une source de nourriture pour la faune épigée mais également pour certains ravageurs de cultures comme les limaces (Girard et al. 2005). De nombreuses études et observations de terrain confirment que diminuer l’intensité du travail du sol augmente le nombre de vers de terre (Kladivko 2001). La présence du mulch en surface va en effet ralentir l’assèchement du sol en fin de printemps et le gel en fin d’automne permettant aux vers de se nourrir et se reproduire plus longtemps et probablement s’acclimater plus efficacement au changement de saison. De plus, les espèces épigées (de surface) et anéciques qui s’alimentent en surface sont particulièrement favorisées par les pratiques préservant les résidus. Il

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n’est pas rare qu’en système conventionnel, plus aucun épigé (déjà rares en agrosystèmes) et anécique ne soit comptabilisé. Des espèces comme Lumbricus terrestris, anécique européen commun, peuvent complètement disparaitre suite à de nombreuses années en labour du fait de leur grande sensibilité à la perturbation du sol et à l’enfouissement des résidus et à leur taux de reproduction très bas. Il devient alors difficile de les voir réapparaitre même après un passage en AdC (Kladivko 2001) dans la mesure ou la re-colonisation de la parcelle se fera par les abords, si l’espèce y est toujours présente.

De manière générale, la composition et les structures des communautés du sol sont modifiées avec les TCS et le SD, en particulier à l’interface sol/résidus (Tebrügge et Düring 1999). Ces modifications vont influencer toute la chaine trophique des agroécosystèmes, y compris la macrofaune associée comme les oiseaux et petits mammifères. De fortes disparités sont observées d’un groupe fonctionnel à l’autre. Par exemple, il semblerait que le semis direct soit plus favorable à une domination fongique alors que ce sont les bactéries qui prédominent en système conventionnel.

Concernant la biodiversité dite “destructive” (ravageurs et pathogènes associés aux agroécosys- tèmes), l’impact des maladies (Kutcher et al. 2011, Basch et al. 2015) et des ravageurs dans leur majorité (Kesavan et Malarvannan 2010, Basch et al. 2015) sur les cultures est équivalent à moindre en AdC par rapport à un mode de culture conventionnel. Cet effet étant particulièrement imputable à une bonne utilisation de la rotation. Certains cas restent toute fois problématiques comme les limaces, largement reconnues et documentées comme difficilement gérables sans travail du sol, en particulier les premières années. Pourtant les retours des agriculteurs convertis à l’AdC depuis de nombreuses années laissent penser que si le nombre de limaces augmente certes significativement avec les changements de pratique, elles finissent par “ne plus être un problème”, sans qu’aucune raison apparente ne l’explique.