• Aucun résultat trouvé

L’affrontement entre le cinéaste Ed Wood et l’industrie du cinéma

L’affrontement entre les créateurs et les non-créateurs : une relation de pouvoir

2. Ed Wood : la confrontation à l’industrie cinématographique

2.1 L’affrontement entre le cinéaste Ed Wood et l’industrie du cinéma

Ed Wood est réalisateur indépendant. Il ne fait pas partie de grand studio et est à la recherche toute sa carrière de financement pour ses films. Ce cinéaste est mis de côté par l’institution, qui désapprouve son cinéma. Ed Wood est un créateur, un penseur et un artiste, sans véritable notion de l’argent. Il est un bon orateur et il possède une telle foi en ses films qu’il arrive à convaincre des petits producteurs de séries Z, des mécènes, des entrepreneurs ou même des associations religieuses de les financer. D’une certaine façon, Ed Wood casse les codes et prouve que les studios ne sont pas essentiels, car il arrive à produire, à réaliser et à projeter ses films. Son seul et unique but est de faire des films coute que coute. Ainsi le raconte l’acteur récurrent dans les films d’Ed Wood Paul Marco (interprète l’agent de police Kelton dans Plan 9 from Outer space) dans un dossier de presse Ed Wood, un film de Tim Burton de Gaumont Buena Vista International : « Nous tournions avec l’argent disponible - ou espéré –

jusqu’à ce que nous n’ayons plus un sou. Ed s’arrangeait toujours pour trouver les sommes nécessaires. Il travaillait pour pratiquement rien. Il avait cela dans le sang, il fallait qu’il tourne, qu’il retourne sans arrêt… » 69

Tim Burton dans le biopic relate et met en scène les diverses quêtes de fonds qu’effectue Ed Wood. Le réalisateur du film confronte Ed Wood à un producteur de séries Z officiant pour le studio « Screen Classics ». Burton dépeint un portrait stéréotypé du personnage du producteur joué par Mike Starr. Ce dernier apparaît aux yeux du spectateur autoritaire, grossier et souhaitant s’enrichir fortement. Il prévend des droits sur un film pas encore tourné et en crée une affiche mais n’a pas de scénario. Il s’occupe d’abord de vendre un film avant de le réaliser. La vision du producteur d’un film est radicalement opposée à celle d’Ed Wood, qui lui s’intéresse à la fabrication et non à la valeur financière du film. Au cours de l’un de leurs rendez- vous pour pouvoir réaliser Glen or Glenda de 1953, le producteur Georgie Weiss, lui répond : « Ed vous êtes bien gentil, mais ouvrer les yeux. Je ne choisis pas mes réalisateurs en fonction

du besoin qu’ils ont de raconter leur vie. Je produis des films du genre séries Z. Je cherche des

bonshommes expérimentés, qui tourneront en quatre jours des nanars, qui me rapportent plein de pognon. Je n’ai pas d’autres critères. Je suis désolé. » Ed Wood se retrouve face à une

industrie, qui veut faire des films pas chers et rentables, en peu de temps. À la fin des années soixante-dix, le vœu des studios est exaucé avec l’arrivée du genre des blockbusters ouvert par le film Jaws (Les dents de la mer) réalisé par Steven Spielberg en 1975. En revanche Ed Wood fait des films avec un budget dérisoire, tournés en cinq jours, mais qui ne sont pas fructueux. Il fait beaucoup d’économie et sous-paye ses acteurs par exemple l’acteur Bela Lugosi ne percevra qu’un cachet de mille dollars pour Glen or Glenda et Vampira deux cents dollars pour

Plan 9 From Outer Space. Ses films se nourrissent en majorité d’un budget de vingt mille dollars, comme pour The Sinister Urge de 1960. Bride of the Monster (La Fiancée du monstre) de 1955 est son film le plus luxueux, car il obtient un budget de soixante mille dollars.70

La dualité entre les producteurs et les créateurs est illustrée par Tim Burton dans le film. Ce dernier met en scène l’évolution de cette confrontation constante. Pendant le tournage du film Plan 9 From Outer Space, les deux hommes représentant de l’église des baptistes accompagnent Ed Wood dans ses moindres faits et gestes. Burton permet au spectateur d’apercevoir l’omniprésence et le pouvoir des producteurs sur un plateau. Ces derniers entourent et encadrent Ed Wood, par exemple dans certains plans américains les producteurs envahissent l’espace personnel du réalisateur. Les bras des producteurs se placent entre le réalisateur et le plateau créant une forme d’obstacle à la direction du film. Les producteurs conquièrent le centre de l’image et occupent une place importante dans la construction du film. Ces derniers requièrent le changement du titre du film, des explications sur le scénario et des indications sur le choix des décors en déclarant : « Ce cimetière sent le décor à plein nez ! » Tim Burton immerge le spectateur dans une production à faible budget avec un soupçon d’amateurisme dans le fonctionnement et la direction du plateau de tournage. Burton cherche à reproduire fidèlement l’ambiance des tournages du cinéaste Ed Wood. Cependant Burton ne cherche pas à critiquer Ed Wood ou le tourner en ridicule. Il montre la suprématie des studios exerçant leurs pouvoirs sur des cinéastes croyant en leur art.

70 Les chiffres proviennent de l’auteur Rudolph, Grey, Nightmare of Ecstasy - The life and Art of Edward D.

Wood, Jr, éd. Feral House, 1992 reprit dans un dossier de presse Ed Wood, un film de Tim Burton, Paris, éd.

Ed Wood face à l’envahissement des producteurs sur le tournage

Les producteurs ont tous les pouvoirs sur un film dans le cinéma hollywoodien des années cinquante. Le réalisateur n’est pas reconnu en tant qu’auteur, mais comme un simple exécutant, un directeur d’acteur. La direction artistique incombe donc au producteur, le seul créateur du film. Dans Ed Wood le producteur Georgie Weiss déclare à Ed : « J’ai l’impression

que vous me prenez pour David Selznick. Je ne fais pas dans la super production. Je fais dans la merde. » Tim Burton fait référence au producteur David O. Selznick de l’âge d’or du cinéma

classique hollywoodien. Pierre Berthomieu dans son livre Le temps des folies : la fabrique du

Duel au soleil, daté de 2018 sur le film de King Vidor Duel in the Sun (Duel au soleil) en 1946

explique l’importance d’un producteur à l’époque et le rapport de création entre le producteur et le réalisateur. David O. Selznick pense qu’un film est fait par un producteur et non par un réalisateur, par exemple il produit Rebecca d’Alfred Hitchcock de 1940. Il fabrique l’ambiance, l’identité du film et du réalisateur. Il signe des scénarios et les produits par la suite. Il réécrit, change, modifie sans cesse l’histoire du film, fait et détient le final cut. Le producteur est créateur et les réalisateurs n’ont pas d’existence, ni leurs mots à dire. Par exemple la collaboration entre David O. Selznick et le réalisateur King Vidor pour le film Duel in the Sun en 1946, a généré d’importants conflits. King Vidor, finit par quitter le plateau, car Selznick est envahissant avec ses modifications perpétuelles du film pendant le tournage. King Vidor réalise soixante-dix minutes sur deux heures trente minutes du film. Ed Wood est obligé de se plier au bon vouloir de ses financiers s’improvisant producteur de films. Par exemple l’entrepreneur de viande McCoy (joué par Rance Howard) finance son film sous quelques conditions.

McCoy : - Bon deux choses, la première je veux que le film se termine par une grosse

explosion des cendres et du feu plein le ciel.

Ed : - Oui mais dans le scénario le docteur Vornoff fini dans la mare.

mon petit doigt me dit qu’il ferait un acteur épatant !

Tim Burton au travers du personnage d’Ed Wood crée une forme de rébellion, puisque ce dernier reprend le pouvoir au fur et à mesure du tournage en s’émancipant et s’affirmant face aux deux producteurs. Ces derniers se retrouvent au second plan, derrière le personnage d’Ed Wood. Ce jeu de pouvoir est affirmé dans un champ contrechamps entre Ed Wood et les deux producteurs lui faisant face. Ed Wood est légèrement en contre-plongée, marquant ainsi son autorité et sa légitimité comme créateur. Alors que les deux producteurs ne cessent de remettre en doute ses capacités, ses qualités et sa créativité de conteur d’histoires. Les producteurs adoptent le rôle de réalisateur en imposant leurs idées pour le récit, leurs choix d’acteurs et leur vision pour le film. Dans la séquence située à une heure et quarante-huit secondes, une joute s’installe entre le réalisateur s’affirmant face à la direction et les choix de ses deux adversaires.

Ed Wood : - C’est qui celui-là ?

L’un des producteurs : - C’est le chef de notre chorale ! C’est lui qui va jouer

notre héros.

Ed Wood : - Vous êtes complètement cinglé, c’est moi le réalisateur, il n’y a que

moi qui décide de la distribution.

Les producteurs demandent des explications à Ed Wood sur sa direction du film.

Par conséquent le spectateur assiste au jugement d’un créateur et de l’homme par des producteurs. Ed Wood n’arrive pas à diriger et à remplir simplement la fonction de réalisateur, il décide alors d’apparaître tel qu’il est en tant qu’homme. Il revient habillé de vêtements féminins. Les producteurs ne cautionnent pas non plus ce qu’il est en tant qu’homme. Tim Burton dépeint le rejet et l’incompréhension que peut subir un créateur face à l’industrie du cinéma. Un cinéaste est soumis constamment aux différents regards et aux jugements de son travail. Burton, lui-même, est un être solitaire en marge de la société et s’exprime à travers ses films. Ce cinéaste comme Ed Wood entretient des rapports conflictuels avec les producteurs. Il cherche à s’émanciper d’Hollywood et des dictats qu’impose cette industrie. De même pour le

pygmalion d’Ed Wood et de Burton, Orson Welles recherche la liberté de création et l’émancipation par rapport aux producteurs. Pour lui, certains producteurs et institutions demeurent des freins à la création pour les cinéastes. L’auteur Jean Domarchi le décrit dans une partie Welles à n’en plus finir extrait des Cahiers du cinéma n° 85, Juillet 1958 réunis dans un ouvrage Le goût de l’Amérique :

« L’œuvre de Welles apparaît ainsi, répétons-le, comme une protestation véhémente et

sans espoir contre un monde où le mécanisme des institutions stérilise toute initiative généreuse, interdit l’accomplissement de toute tâche véritablement grande. Welles ne peut en aucune manière prendre son parti et moins encore, composer avec un tel monde. »71

2.2 Le regard de Tim Burton sur le monde du cinéma à travers le personnage